Jeanne, 19 ans, étudiante en science politique et histoire à l’université Paris 8, a prévu depuis un an de faire un Erasmus, un échange universitaire dans l’Europe, en Italie, à Bologne précisément. Elle nous dit qu’elle a eu « envie de partir un peu avec un regard neutre et pas de prévoir tout pour ne pas être déçue, heureusement du coup. »

Le 13 février, elle est dans le bus qui l’emmène en Italie. Le 30 janvier, les experts de l’OMS « ont décidé que l’expansion du coronavirus (…) relevait désormais d’une urgence de santé publique de portée internationale » mais il semble qu’en février ni les individu-e-s, ni les institutions ne prennent en mesure la gravité de la situation de crise du Covid-19.

Pour l’étudiante en échange : « Dans ma tête il n’y avait vraiment rien, ça me semblait hyper lointain. Je pense qu’il y avait une différence entre la France et l’Italie à ce moment. » L’université française n’a donné aucun conseil aux étudiant-e-s qui partaient en Erasmus en Italie – l’un des pays les plus touchés au monde. Quant à Emmanuel Macron, le 6 mars « il a assisté avec son épouse à une représentation » pour « inciter les Français à continuer de sortir malgré l’épidémie de coronavirus ».

Le 14 février, lorsqu’elle arrive, le premier cas n’est pas encore diagnostiqué. Stefano Merler, de la Fondation Bruno Kessler, a déclaré récemment : « Nous avons réalisé qu’il y avait beaucoup de personnes infectées en Lombardie bien avant le 20 février, ce qui signifie que l’épidémie a commencé beaucoup plus tôt ». Allant à l’université à Bologne, elle arrive dans une région très proche du centre de l’épidémie, qui sera la première région confinée en Italie.

Jeudi, vendredi et puis…

« J’ai passé 2 jours à l’université, j’ai eu 2 jours de cours, jeudi et vendredi, le temps de faire toutes mes inscriptions etc. Le lundi de la semaine suivante (le 24 février, ndlr), l’université était fermée, ça a été hyper rapide » se rappelle Jeanne. Durant ces deux jours, elle nous explique que « les profs n’en parlaient pas à ce moment là. Il n’y avait pas de mesures de sécurité, on était tous entassés les uns sur les autres ».

Deux jours express qui auront été ses deux seuls jours à la fac. Dès le 2 mars, les cours en ligne commencent et Jeanne sent tout de suite l’impact social qu’ils peuvent avoir : « Le fait qu’ils fassent cours alors qu’il y a plein de gens qui n’ont pas la possibilité d’avoir internet tout le temps, un ordinateur à eux.. Les messages d’encouragements, c’est un peu du foutage de gueule quand même. »

L’annonce soudaine, dès le vendredi 22 février, de la fermeture des bibliothèques est particulièrement discriminante : « Il y a plein de livres à lire, j’ai trouvé ça un peu hard. Perso, pour la première fois de ma vie j’ai utilisé Amazon, tristesse. Encore une fois ça rajoute aux inégalités dans le sens où à la bibliothèque c’est gratuit, en ligne c’est genre 30 balles pour un livre donc si t’en as 15 à acheter c’est mort quoi. »

Le logement ?

« Je me suis retrouvée à arriver à Bologne sans aucun logement », nous explique Jeanne, car trois jours avant son départ le propriétaire de l’appartement a annulé sa réservation. « Les logements à Bologne c’est compliqué parce que c’est sur-demandé, la plupart des appartements sont des chambres partagées, surtout pour les étudiants et les gens précaires en général. »

Après avoir vécu quelques jours chez la grand-mère d’une amie, elle trouve un appartement. Une perle rare, composée de quatre chambres, dont la sienne, seule. Iels sont quatre : « une Argentine, un Italien, une Catalane et moi ».

La colocation se passe plutôt bien mais le confinement, qui a commencé le 8 mars, complique les interactions car tout-e-s ne vivent pas la situation de la même manière. Elle nous parle particulièrement de son colocataire italien qui « était hyper flippé du coronavirus, hyper parano, il était vraiment à fond sur les infos donc ça prenait des proportions énormes par rapport à ce que nous on vivait à ce moment là. On savait que les hôpitaux étaient remplis, on savait tout ça mais lui son stress était énorme, du coup il y a eu quelques tensions par rapport à ça ».

Et maintenant ?

Avec très peu de nouvelle de l’université française, Jeanne n’a pas cherché plus loin pour un retour en France. Elle s’est dit que « dans tous les cas » elle allait rester à Bologne, « ça faisait un an que j’attendais ça et que j’y étais donc voilà ». Elle s’est tout de même tournée vers les services de l’ambassade sous les conseils de l’université. Sans grand succès : « En fait je suis allée au consulat, j’ai vu un avocat qui m’a dit qu’il n’y avait absolument rien, il s’en foutait en fait ».

« Pour l’instant j’envisage de rester là, de finir mes examens et de voir si on peut bouger » nous dit l’étudiante, toujours dans l’incertitude. Pour elle, le déconfinement progressif a déjà commencé mais les universités ne sont toujours pas ouvertes.

Dédramatisant la situation, Jeanne conclut : « Même si ce n’est pas un Erasmus comme tous les autres Erasmus qu’ont vécu les gens dans leur vie, j’ai rencontré des gens vraiment chouettes et j’ai appris la langue ce que je voulais faire. »

Anissa RAMI

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