Quatre ans de prison pour deux jeunes qui ont posté sur leur Facebook un message appelant à l’émeute ; six mois pour un étudiant de 23 ans qui a pris des bouteilles d’eau dans un Lidl saccagé à Brixton. La dureté de certaines sentences commence à diviser le pays encore sous le choc des émeutes et des quatre nuits de grande violence qui ont secoué Londres et plusieurs villes d’Angleterre entre le 6 et le 10 août, provoquant cinq morts, plus de 100 millions de livres sterling de dégâts et plus de 1500 arrestations.

Les médias britanniques ont été les témoins et la caisse de résonance des « pires émeutes depuis 30 ans », comme elles sont largement décrites dans la presse. Des titres à très gros tirages diffusant les visages des « rioters » captés sur les 4,2 millions de caméras de surveillance qui quadrillent les rues du Royaume : voilà l’une des spécificités de cette couverture médiatique. « Name and Shame rioters : Shop a Moron » (Nommez et faites honte aux émeutiers : Dénoncez un crétin) avait titré le très fameux et classé à droite The Sun dans son édition du 10 août sans que cela scandalise. Ce procédé, avec lequel de nouvelles photos d’émeutiers sont régulièrement publiées, ne choque pas grand monde Outre-Manche, où la dénonciation s’apparente plus à un acte de mobilisation citoyenne qu’à de la délation comme cela pourrait être le cas en France.

Jordan Blackshaw, 20 ans, et Perry Sutcliffe-Keenan, 22 ans (ci-contre), de Northwich, dans le Cheshire, condamnés à 4 ans de prison pour avoir publié un statut sur Facebook donnant rendez-vous au fastfood local pour aller casser (sans s’y rendre eux-mêmes, et où aucune déprédation n’a finalement eu lieu), sont décrits dans un titre du Sun comme appartenant à un gang . Le Guardian, classé à gauche, lui, ne parle jamais de gang mais s’interroge sur la dureté des peines qui  correspondent normalement à un kidnapping, une agression sexuelle ou un homicide lors de conduite en état d’ivresse.

Pour Lindsay Johns (ci-contre), écrivain et journaliste indépendant de 35 ans vivant à Streatham, au sud de Londres, les médias ont couvert et analysé les émeutes en fonction de leur orientation politique. « Pour moi un journal comme The Guardian trouve trop d’excuses. Ils sont trop dans la narration de la victimisation des casseurs. » Lui qui œuvre auprès de jeunes pendant son temps libre, au sein de l’association « Leaders of Tomorrow », à Peckham, dans un des quartiers les plus défavorisés du Grand Londres, a une vision des choses plus conservatrice. « Je suis en faveur de mesures draconiennes car la pauvreté n’explique pas tout. Il y a pour moi un manque de discipline. Il manque du « Tough love » à tous ces jeunes. » De l’attention et de l’amour en somme mais doublés d’une grande fermeté.

Lindsay est aussi très critique envers ceux qui veulent racialiser le débat autour des émeutes. Lors de la très populaire émission Newsnight de la BBC, média qu’il classe à gauche, il a été choqué par les déclarations du célèbre historien David Starkey : « The whites have become black (Les Blancs sont devenus des Noirs). » Pour le jeune journaliste diplômé de la prestigieuse Université d’Oxford, les mots employés par Starkey sont racistes envers les Noirs : « Il culpabilise toute la race noire en une seule phrase. Il utilise le terme « des Noirs » dans ce sens-là pour désigner des « criminels » en général… »

Au fil de la discussion qui glisse sur le thème de médias et diversité, Lindsay, fils d’une Anglaise blanche et d’un Sud-Africain noir, révèle que même si le Royaume-Uni a eu, dés les années 90, des personnes de couleur aux postes de présentation des journaux télévisés, la diversité sociale et culturelle au sein des médias britanniques est loin d’être gagnée : « Des présentateurs noirs comme Trevor Mac Donald (ci-contre) donnent bonne conscience mais ils sont l’arbre qui cache la forêt. Il y a très peu de diversité culturelle et ethnique au sein des rédactions. Les gens comme moi sommes une toute petite minorité, pour ne pas dire une « anormalité »… »

Le problème du manque de diversité socio-culturelle que soulève Lindsay porte selon lui préjudice à la façon dont sont traités les sujets sur les quartiers difficiles et leurs habitants. « Quand des journalistes qui viennent tous de classes moyennes ou aisées avec leurs études à Oxbridge (Oxford et Cambridge) vont à Peckham ou Brixton, c’est comme s’ils débarquaient dans un pays étranger, très éloigné de leur propre background et réalité. Comment peuvent-ils vraiment comprendre ce que vivent les gens pauvres de ces quartiers ? »

Ce que souhaiterait Lindsay, c’est une diversité des profils et des voix dans les médias de son pays pour ne plus risquer la caricature et la simplification dans laquelle tombent parfois, même les médias les plus prestigieux : « Je me souviens qu’au moment de l’élection de Barack Obama, Newsnight, une des émissions les plus regardées de la BBC, avait invité un rappeur pour représenter la communauté noire. Comme s’il n’existait pas des avocats, des médecins ou des professeurs noirs dans ce pays ! »

Les émeutes de 2005 en France avait mis au cœur du débat le manque de représentativité des minorités « visibles » dans les médias. En 2006, Harry Roselmack devenait le premier présentateur noir du journal de TF1, la chaîne française la plus regardée. Les émeutes de 2011 en Angleterre permettront-elles à Lindsay et aux autres journalistes issus des minorités ou de classes modestes de briser leur plafond de verre comme les émeutiers ont fait voler en éclat les vitrines de leur quartier ?

Sandrine Dionys (de retour de Londres)

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