C’est cher. Pas d’argent. La vie est dure. On n’a pas de travail. Heureusement que vous vivez en France pour nous aider. Ici, c’est la misère. On en peut plus… En Algérie c’est ce qu’on dit, ce qu’on répète. On en a marre. Tout le monde est lésé… Quand ma mère appelle le « bled » j’entends des bribes de conversations. Toujours les mêmes. Tellement répétitives que je n’y fais plus attention. Pourtant avec les évènements récents en Tunisie et en Algérie, j’ai tendu l’oreille. Parce que les infos c’est bien, mais finalement, c’est reste parfois un peu en surface. La véritable information, il faut aller la chercher chez ceux qui vivent les évènements, pas chez ceux qui la commentent.

Abdelaziz Bouteflika, le président de l’Algérie, est adoré, voire adulé dans ce pays. D’après ce qu’on m’en dit, Bouteflika c’est un « héros », il a « chassé les terroristes », alors forcément, le peuple se sent obligé de « voter pour lui », il lui est en quelque sorte redevable. Mais pas seulement. Avec de récents évènements tels que les prises d’otages au Niger, ou ailleurs, les Algériens peuvent en venir à se dire : au fond, c’est peut-être mieux de garder ce président, même si on n’en veut plus vraiment. Il nous évite une grande peur. Celle des terroristes.

D’après les récits de ma grand-mère, les terroristes qui ont régné dans certaines parties de l’Algérie de 1992 à 1998, étaient sans cœur, dénués d’émotions, de sympathie, d’humanité tout simplement. Ma grand-mère m’a raconté qu’elle avait entendu je ne sais où, il y a de nombreuses années, que des terroristes avaient éventré une femme enceinte, et avait pris le fœtus pour le mettre dans un four en marche. Peut-être qu’il ne s’agit que de légendes, ou de faits qui ont pu être déformés par le bouche à oreille.

Mais quand on parle de cette période, c’est le regard dans le vide, une tension apparaît. Moi, je reste scotchée aux lèvres de celle qui a tant vu. Ma grand-mère est une vétérante, comme probablement toutes les femmes de son âge. Elle me raconte parfois la guerre d’Algérie, les horreurs, le combat du peuple. Elle a été infirmière pendant la guerre, elle soignait ceux qui revenaient mutilés de leurs combats contre les français.

Elle a assisté à pas mal de bouleversements. De la guerre d’Algérie au terrorisme, en passant par la misère… L’Algérie est une nation qui a souffert, comme tant d’autres et qui a déjà lutté pour son indépendance. Désormais, le peuple veut  la paix, la prospérité et la tranquillité. Voilà comme je comprends les choses quand j’entends parler autour de moi. Les Algériens que je connais, veulent des progrès technologiques, scientifiques ou encore économiques.

En attendant, il n’y a pas de travail. Alors pour s’occuper, on tient les murs. On traîne dans le quartier. Les garçons cherchent à draguer des filles, prennent des numéros. « Pss ! Pssssssssss… », c’est comme ça qu’on approche une fille là-bas. Pas de temps à perdre, si elle se retourne c’est ok, sinon, on attaque la suivante. Comme ça, ça va plus vite. Une fois qu’on a fini de se promener, on rentre à la maison, poser les pieds sous la table, pour un bon repas préparé par les femmes. Dans le quartier tout le monde se connaît. Mais parfois on en a marre, quand on n’en peut plus de la misère on met en place un plan, complexe et risqué : on monte dans une barque et on tente l’Europe.

Pourquoi ? Parce que ces jeunes qui partent veulent être une fierté, une source de revenus pour la famille restée au pays, parce qu’ils aiment leur patrie, mais que finalement, elle ne fait rien pour eux. C’est peut-être un amour non réciproque finalement. Ils ont tenté d’y rester fidèles, mais ils n’ont pas le choix. S’ils le pouvaient, ils resteraient chez eux. Personne ne veut quitter son pays, sa famille et ses proches, pour entamer un long et périlleux voyage, vers l’inconnu, probablement dans un pays qui ne veut pas d’eux. Qui met en place diverses lois et stratagèmes pour que les clandestins ne foulent pas le sol national.

Je connais quelqu’un qui y est parvenu. A rejoindre l’autre côté de la mer. Un jeune homme, beau, drôle et qui a toujours été attiré par l’Europe. Il a passé plusieurs jours sur une barque. Il a vu des gens mourir. La mer, la nuit, sur une barque, ça effraie. Il est arrivé à Malaga en Espagne sain et sauf. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde.

Le point de vue que les jeunes de là-bas se font de l’Europe est utopique. Comme le dit si bien ma mère : « Ils pensent qu’une blonde les attend à l’aéroport, avec une voiture de luxe et un loft a Paris. » C’est un peu exagéré. Mais ça résume bien l’état d’esprit. L’Algérie se développe lentement, la plupart des gens y vivent mal et ont très peu de moyens. Presque tous les Algériens ont au moins un membre de leur famille qui habite à l’étranger. Ce membre envoie de l’argent au pays, bien souvent. Là-bas, 100 euros, c’est le salaire de beaucoup. Pourtant, les prix y sont les mêmes qu’en France. Comptez 100 euros pour une paire de baskets de marque. Pour frimer dans le quartier. D’après ce qu’on m’a rapporté, on vit avec 150 euros pour un mois.

Cela va faire une dizaine d’années maintenant que je me rends en Algérie, au moins une fois par an. J’y ai vu peu de changements. Ou, si, peut-être, l’ouverture de quelques magasins occidentaux, qu’on trouverait facilement en France, quelques fast-foods. Mais c’est tout. Pas de vrais changements, de nouveautés, qui amélioreraient les conditions de vie du peuple. La vie est toujours aussi chère, les offres d’emploi toujours aussi rares, et peut-être encore plus pour les femmes. Les infrastructures mettent du temps à se développer et les mentalités restent fermées. C’est ce que j’ai observé. Entendu. « J’ai compris qu’il ne suffisait pas de dénoncer l’injustice, il fallait donner sa vie pour la combattre. » Albert Camus, « Les justes ».

Doria Attia

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