Ces derniers jours, la mort est revenue rôder au Sénégal. Son souffle froid effleure nos nuques, une nouvelle fois. En mars 2021, la violente répression des manifestations, qui a suivi l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko, a tué quatorze jeunes. Aucune enquête n’a cherché à identifier les responsables de ce massacre.

De ces quatorze jeunes, je porte toujours le deuil. Aujourd’hui, la même détresse et la même rage me frappent, comme ils frappent mon pays. Depuis le 1er juin, l’ONG Amnesty International dénombre au moins 23 morts, dont 3 enfants. La Croix-Rouge sénégalaise fait, elle, état de 390 blessés.

Rien ne peut effacer cette douleur, celle des parents, des proches, notre douleur. Leur sacrifice nous oblige. Un devoir impératif et impérieux de résister à notre tour au président Macky Sall et à son gouvernement s’impose. Résister ensemble, groupés, sans division, sans polémique, sans jamais d’accommodement avec le pouvoir.

Ces derniers jours, les nervis du régime ont pénétré massivement dans la capitale et sa banlieue aux côtés de la police nationale, armés de machettes et d’armes lourdes. Les manifestants pacifiques, qui ne réclament que justice et liberté, ont tout de suite compris que l’histoire se répétait.

Cette abjecte violence est calculée pour imposer par la peur

Longtemps pourtant, du moins jusqu’en 2021, personne n’a cru que le régime de Macky Sall était en train de se transformer en dictature. En 2012, n’avait-il pas lutté, avec le peuple sénégalais, contre la forfaiture que son prédécesseur Abdoulaye Wade voulait lui imposer  ? Mais depuis mars 2021, plus de doute. Le Sénégal n’est plus en République. Cette abjecte violence est calculée pour imposer par la peur, la soumission, le chacun pour soi, le renoncement aux valeurs communes.

Jeudi 1 juin, de longues files de 4×4 Toyota sans immatriculation ont quitté le siège du parti présidentiel remplis d’hommes en armes pour prendre le contrôle de différents quartiers de Dakar et d’autres villes, la police venant à l’appui. Les habitants ont aussitôt fui vers les banlieues.

Une panique rappelant les heures sombres de la colonisation et les massacres de tirailleurs sénégalais. Thiaroye, Médina, Grand Yoff, Pikine, Bargny, Rufisque, Guédiawaye… ont été successivement occupés avec des démonstrations de force spectaculaires et terrifiantes. Macky Sall a replongé le Sénégal dans une violence politique qu’il n’avait plus connu depuis 1960 et l’Indépendance. Une brutalité qui vise à priver de parole et neutraliser ses opposants. Journalistes, artistes, étudiants, citoyens… Tous ceux qui s’opposent à sa politique.

Le caractère inéquitable de l’élection à venir, dans un tel contexte répressif, est prévisible

Son dessein ? Briguer un troisième mandat en 2024 et imposer un changement de régime et son seul pouvoir avec une réforme de la Constitution. Cette réforme remettrait en cause l’ouverture démocratique acquise depuis le soulèvement populaire en juin 2012. S’il n’a pas encore déclaré sa candidature, tout laisse penser, au regard de ses actes, qu’il le fera. Le caractère inéquitable de l’élection à venir, dans un tel contexte répressif, est prévisible. Tout est écrit d’avance ? Tout est déjà perdu ?

Non, je ne le crois pas, car, au fil des jours et malgré la répression, ce scénario a été contrarié par la force et la colère de la population sénégalaise. Une contestation appuyée par la campagne d’opinion internationale sur les réseaux sociaux et grâce au soutien inconditionnel des Sénégalais émigrés, soit plus de 700 000 personnes, selon des chiffres de 2020.

Ces compatriotes ont organisé des rassemblements devant leurs ambassades respectives comme à Paris samedi dernier, en Italie, aux États-Unis devant la Maison Blanche, en Espagne, au Maroc…. Ces manifestations rappellent la cause, empêchent le silence de retomber sur les crimes commis, mobilisent la solidarité au-delà des frontières et confortent les Sénégalais de l’intérieur. En face, Macky Sall se tait. Le ministère de l’Intérieur a clairement surestimé ses forces et sous-estimé la résistance de la population, ici et ailleurs.

Aujourd’hui, la résilience de la population sénégalaise, incarnée par sa jeunesse, enraye la machine d’oppression de Macky Sall et de son gouvernement. Les pertes humaines et matérielles très élevées de part et d’autre correspondent à ce que les organisations nationales et internationales désignent comme des combats de haute intensité. Mais beaucoup sont prêts à soutenir les affrontements.

Ce qui s’est ouvert, c’est un fossé de haine excluant en l’état toute tentative de négociation

L’intransigeance mackyste, l’emprisonnement de ses adversaires politiques, la tentative de maîtriser la population par ses nervis, ne peuvent que renforcer la détermination des Sénégalais à se battre. Ce qui s’est ouvert, c’est un fossé de haine excluant en l’état toute tentative de négociation. Même l’appel à l’apaisement des chefs religieux, considérés jusqu’ici comme de puissants régulateurs sociaux, n’a pas porté ses fruits.

Les opposants ont remporté d’indéniables victoires. Dans le Sud, à Ziguinchor (ville dont le principal opposant Ousmane Sonko est maire) la population résiste au quotidien face aux policiers.

À Dakar, le poumon portuaire, cœur industriel et grenier de l’économie du pays, la place de l’Indépendance et le centre-ville sont occupés par les manifestants. Une résistance qui se fait au prix de destructions massives et qui rend difficile la viabilité économique de la région, surtout à l’approche de la fête de d’Eid el-Kébir.

Contrôler ces espaces permet aussi de faire pression sur le palais de la République qui est à quelques kilomètres. Le Sénégal semble être dans une impasse stratégique avec un conflit inscrit dans la durée, mais désormais connu du monde entier. De fait, les jours à venir vont être décisifs avec le risque de voir l’armée prendre le pouvoir. Il va y avoir des conséquences économiques fortes, mais comme me disait un ami, « c’est un mal nécessaire dans le processus de construction d’un État ».

À vous, mes compatriotes, de partout où nous sommes, marchons ! Marchons sur les traces de nos frères et sœurs tombés dans la bataille. Marchons, mes compatriotes sénégalais, avec eux. Le moment est venu, en sachant que nos triomphes demain seront la preuve de leur présence. Aujourd’hui et pour toujours.

Kab Niang

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