Quand Serge Michel s’en est allé découvrir les banlieues, il a agi avec la plus grande finesse et une diplomatie toute helvétique qu’on loue encore à Blanqui, quartier d’origine du Bondy Blog. Quand Idir Hocini découvre une réserve indienne au Québec, ça donne à peu près ça : « Comment ça, vous vivez dans des maisons ? Allez, quoi, emmenez-moi camper dans un tipi en forêt. Pourquoi tu t’appelles Charles et pas Nuage Dansant ? Vous avez combien de mots pour dire neige ? Tu fais descendre la pluie quand tu galères ? » Une vraie plaie purulente de clichés vaseux à l’attention de mes charmants hôtes de la nation Akitamek. « Attends, filme ! Je vais chercher le poignard du grand-père, on va te faire une nouvelle coupe », plaisante un jeune « Sioux » devant mon inqualifiable conduite.
Le contact finalement passe bien, à condition que je laisse ma caméra dans mon sac à dos: « Nous les médias, on n’aime pas ça. Ils déforment tout systématiquement et nous stigmatisent comme s’il n’y avait que des problèmes ici », me lance une jeune mère. J’ai du dire la même chose à un caméraman en 2005, qui voulait immortaliser mon joli minois sur fond de chatoyante Lada en flamme.
Wemotaci, la dite réserve indienne, ne se découvre qu’au prix d’un parcours de 105 km sur une piste forestière. C’est moche et enclavé comme Clichy-sous-Bois, sauf que contrairement aux Clichois, eux ils ont un train: une ligne directe pour Montréal, un passage tous les deux jours. Pour vous donner un peu de l’ambiance pittoresque qui règne à Wemotaci, je vais citer cet aimable dépanneur qui m’a vendu une lampe de poche qui ne s’est à ce jour jamais allumée. « C’est vrai qu’il y a beaucoup de chiens dans la réserve, mais ils ne sont pas méchants. L’hiver, les loups descendent dans la communauté et en mangent un bon paquet ».
Des loups ? Ah ! Quand même… J’ai vu un truc parmi tous ces Indiens, ça m’a fait rire au début: un Noir: « Je viens d’Haïti, je suis professeur au secondaire de la réserve. » Je le regarde longuement, les lèvres animées d’un léger tremblement, il a compris qu’il fallait que ça sorte et me dit en souriant: « Ça se passe très bien. Ma couleur ne compte pas, on se retrouve un peu sur certains points, en tant que minorité invisible pour eux et visible pour moi. » Drogue, alcoolisme, contrebande, exonérés de taxes, nombre de Québécois vous glisseront ces mots dans une conversation sur les Indiens.
Ces derniers insisteront sur le fait qu’il n’y a pas que ça dans une réserve: « Ce sont des problèmes que connaissent toutes les sociétés, mais c’est nous qui faisons la une des journaux », constate Charles, un vieil Indien rencontré sous une hutte au fin fond de la forêt, après qu’on a cédé à mes caprices de touristes en mal de « Youh youh les Indiens Pochaontas et compagnie ! ». « Les Québécois nous trouvent dangereux, les privilèges sur les taxes, c’est une excuse pour nous empaqueter, les réserves ce sont des ghettos », continue mon vieux sage des bois. Je ne vous ferai pas l’insulte de disserter sur les problèmes des premières nations du Québec en ayant pour seule science le mot « indien » tapé sur Wikipédia. Lors de mon séjour dans cette réserve de 1000 âmes, je me suis contenté d’appliquer les fondamentaux: sortir la caméra et donner la parole à qui veut la prendre.
Idir Hocini (Québec)