Le Hamas a lancé une attaque inattendue sur le territoire israélien, le samedi 7 octobre. Plus de 1 300 Israéliens ont été tués, 150 restent pris en otage, et 3 200 blessés sont dénombrés par l’armée israélienne.

La riposte israélienne a tué plus de 2 300 personnes, dont plus de 700 enfants. Un bilan qui s’alourdit d’heure en heure. Un « siège complet de Gaza » a été imposé, impliquant l’interruption de l’approvisionnement en électricité, en nourriture, en eau et en gaz, et la fermeture de toutes les frontières.

Xavier Guignard, politiste et chercheur spécialiste de la Palestine, revient sur la situation. Interview.

Comment expliquer la surprise qu’a suscité l’attaque du Hamas ?

Le Hamas est à la fois un mouvement politique ayant la charge de l’administration de la bande de Gaza depuis 2007, mais il a aussi une composante armée. Cette branche-là est inaccessible à tout le monde : chercheurs, journalistes, diplomates… Même une partie de sa direction politique n’a pas idée de ce qui s’y passe.

Ensuite, la surprise est aussi israélienne. Il y avait un présupposé israélien qui voulait que le Hamas n’avait pas d’intérêt à entrer en guerre, et que de toute manière, il ne saurait pas faire. C’est ce présupposé-là qui a été mis à plat. On parle souvent de « faillite du système sécuritaire israélien », mais la faillite n’est pas tant technique ou technologique, qu’idéologique. Israël était persuadé d’avoir réglé le cas du Hamas. Là, on se rend compte que ce n’est pas le cas.

On l’oublie, mais ce conflit politique n’a jamais cessé. Ce n’est pas parce qu’on ne voyait pas d’images de violences touchant les Israéliens qu’il n’y avait pas de blocus ou de poursuite de la colonisation. Gaza n’est pas un territoire libéré, mais est maintenu sous blocus depuis 2007 et la Cisjordanie et Jérusalem continuent d’être colonisés.

Que sait-on du but stratégique de cette opération ?

Le Hamas n’a pas communiqué sur son objectif stratégique. Néanmoins, nous savons que celui-ci n’agit pas seulement pour ce qu’il se passe à Gaza. C’est aussi une réaction à ce que vivent les Palestiniens de Jérusalem-Est et de Cisjordanie, à savoir l’humiliation de la poursuite de la colonisation et les agressions à répétition contre les lieux saints à Jérusalem.

D’autre part, il y a dans cette opération quelque chose qui est de l’ordre de la guerre existentielle pour le Hamas, tant l’attaque est sans commune mesure avec ce qu’on a pu observer auparavant.

Il ne s’agissait pas pour le Hamas d’engager des échanges réguliers et maîtrisés avec Israël afin d’exprimer un mécontentement.  Au contraire, cette opération semble relever de quelque chose de plus existentiel encore. On manque encore de recul et d’information, mais cela souligne un état de désespoir, à la fois politique et populaire.

Quelle suite peut-on imaginer ?

On peut imaginer que dans les semaines ou les mois qui arrivent, la direction politique comme militaire du Hamas va être tuée lors d’opérations israéliennes.

Pour autant, cela ne signifie pas que le mouvement va disparaître et plus encore, la cause qu’il entend représenter. Beaucoup se le représentent comme une forme de résistance à l’occupation, la lutte armée ayant été une des nombreuses formes qui ont traversé le mouvement national palestinien. En ce sens, je ne suis pas sûr qu’Israël puisse se limiter à tuer ses cadres.

Peut-on mesurer l’adhésion des Palestiniens au Hamas, et savoir si cette attaque a changé la donne ?

Il n’y a pas eu d’élections libres depuis 2007, donc on est bien en peine de mesurer réellement la popularité de l’une ou l’autre des composantes politiques palestiniennes. 60 % de la population gazaouie n’était d’ailleurs pas née lors de ces élections.

Ce que l’on sait, c’est qu’il y a une colère palestinienne à Gaza sur la gestion quotidienne et politique de la bande de Gaza par le Hamas. C’est un gouvernement qui est considéré par ses citoyens comme autoritaire, corrompu et extrêmement dur avec ses opposants politiques. De ce point de vue-là, il n’y a évidemment aucune illusion à se faire.

En revanche, aujourd’hui, il n’y a aucun autre parti palestinien capable d’opposer un autre horizon politique, raison pour laquelle ils ont gagné les élections législatives de 2006 devant le Fatah (44% contre 40%). C’est d’ailleurs une complexité que l’on perd en le qualifiant seulement de groupe terroriste.

Aussi, ce qu’on peut voir à travers ces personnes qui descendent dans les rues avec le drapeau du Hamas en Cisjordanie et à Gaza, ce n’est pas tant qu’ils approuvent les crimes qui ont pu être commis, que le fait qu’ils soutiennent la capacité du Hamas d’incarner une résistance face à l’occupation israélienne.

En France, il y a des divergences sur la manière de qualifier le Hamas, et des réticences chez certains à le qualifier de terroriste. Comment mieux appréhender ce mouvement ?

La branche armée et la branche politique du Hamas sont inscrites sur des listes terroristes, notamment celles de l’Union Européenne. Ce n’est pas toujours le cas : par exemple, seule la branche armée du Hezbollah est listée comme terroriste.

On peut tout à fait comprendre l’émoi devant les images qu’on a vues ce week-end, et le désir pour certains de qualifier cela d’attaque terroriste. Cependant, ce qualificatif ne nous renseigne pas, voire disqualifie le contexte expliquant pourquoi on en arrive là.

Avec beaucoup de mes collègues juristes et politistes, nous estimons que ce qui s’est passé remplit les critères juridiques de la qualification de crime de guerre. Et un crime de guerre ne justifie ni le fait de commettre d’autres crimes de guerre derrière, ni le fait pour Israël de procéder à des exécutions hors du cadre du droit.

La cour pénale voudrait enquêter sur des crimes commis par l’une et l’autre des parties depuis 2014, mais elle ne peut pas

La seule réponse reconnue à des crimes de guerre est celle de juridictions internationales comme la Cour pénale internationale qui, elle, est entravée d’accès par Israël. La cour pénale voudrait enquêter sur des crimes commis par l’une et l’autre des parties depuis 2014, mais elle ne peut pas.

Je pense que c’est ça la bonne réponse à avoir pour nous : si on considère qu’il y a des crimes de guerres, il faut qu’ils soient jugés comme tel pour éviter à la fois l’impunité et les exécutions hors du cadre judiciaire, et évidemment les morts civils.

Quel rôle peut-on attendre des institutions européennes et de la communauté internationale ?

L’ONU prend chaque année des séries de résolutions qui n’ont jamais été suivies d’effets sur le terrain.

L’Union européenne, quant à elle, est caractérisée par son inanité politique. Elle joue un rôle de soutien économique en Palestine, pour adoucir le poids de l’occupation, mais semble condamnée à ne pas avoir de rôle politique puisqu’il y a des divergences de plus en plus marquées entre ses États membres.

Propos recueillis par Imane Lbakhar

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