Les vapeurs du narguilé. Les bâtisses de pâtisseries mielleuses. Les quartiers de poulets baignés dans des épices. « Ici, y’a vraiment l’esprit oriental » prévient Hajer, française d’origine tunisienne. Elle a quitté la France à jamais, depuis un an et demi. « Je voulais sentir un autre air. » Elle a choisi l’air new-yorkais. « J’y suis venue une première fois, pour trois semaines. Quatre mois plus tard, je m’y suis installée. » Hajer est timidement maquillée. Elle porte un voile rouge qui couvre ses cheveux. Elle est musulmane.

« Un musulman vit mieux ici qu’en France » dit Hajer. Et de poursuivre : « Il y a une liberté d’expression, une liberté de penser et une liberté de pratiquer sa religion. » On descend au bout de la ligne N, à Astoria, dans le Queens. C’est le quartier des musulmans d’Afrique du Nord. « On l’appelle Little Egypt, mais il y a de tout. » Elle s’aventure sur Steinway Street. Les barbiers accolent les cafés. Des hommes s’enfilent des cafés noirs. Ils parlent. « Moi, je suis musulman d’origine algérienne et ça fait 22 ans que je suis là. Ici, ils voient l’Islam comme une autre religion, point. On est respectés. Et si quelqu’un vous tracasse ici, y’a la loi. »

La grisaille s’évapore, le soleil perce les nuages. Chez le coiffeur, un voisin du quartier s’agace : « Ceux qui critiquent les musulmans sont des ignorants. » Il n’a rien d’autre à dire. « Ce qui est surprenant, constate Hajer, c’est de savoir que les réactions hostiles ne se sont pas faites d’un coup après le 11 septembre. Mais plutôt ces dernières années. D’ailleurs, la vraie campagne anti-musulmane est relayée par des médias ultra-conservateurs comme Fox News. »

Un bloc plus loin, une boutique islamique propose des vêtements et livres religieux. La femme qui la tient est musulmane du Pakistan. « Le business marche très bien. Beaucoup de musulmans achètent, mais pas seulement. Par exemple, on propose des traductions du Coran en espagnol et chinois » prévient-elle. Hajer reprend : « Étrangement, après le 11 Septembre 2001, il y a eu de nombreuses conversions à l’Islam. J’ai même rencontré une japonaise qui s’est convertie. »

Dans un café de Little Morroco, un homme s’empiffre « un mélange d’huile d’argan, miel et amandes. » En Amérique, il pense que tout est possible « tant qu’on touche pas à l’État. » Juste à côté, des hommes estiment qu’ils peuvent « vivre pleinement leur religion, sans aucun souci. » Majid, installé depuis une vingtaine d’années, trouve qu’on se fait « une mauvaise idée de l’Islam partout dans le monde. » Et d’ajouter, en sifflant sur sa cigarette : « À partir du 11 septembre, les stéréotypes se sont accentués. Mais maintenant je pense que ça s’est estompé, les gens se sont mis à s’intéresser autrement à l’Islam. »

Hajer, qui cherche activement un poste de journaliste à New York, a suivi attentivement la polémique autour de Park 51. Un projet de construction de mosquée « à deux blocs de Ground Zero. » « Ce n’est pas que les Américains n’acceptent pas les Musulmans, c’est juste qu’ici, aux États-Unis, les lobbies anti-musulmans veulent créer un problème musulman » analyse-t-elle.

Tout près du Dockin Donuts, où un donuts s’échange contre un dollar, les fidèles s’amassent devant la mosquée Al- Iman d’Astoria. Des dorures ornent les grandes portes. « Y’a une grande mosquée avec un dôme et un minaret à la 96ème, à Manhattan. Et y’a même une mosquée où l’on entend l’appel à la prière en pleine rue, à Brooklyn » se réjouit Hajer. C’est l’heure de prier. Un fidèle s’avance : « Je boycotte la France. Les États-Unis sont mon deuxième pays, el hamdoulilah. On a des policiers qui font la prière avec nous, les femmes peuvent conduire avec leurs niqabs… On est bien mieux qu’en France. »

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah.

Teaser – Prochainement, une balade dans les rues du quartier juif de Brooklyn.

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