Comment recevez-vous le témoignage de ce général français, révélé lundi par Mediapart et Le Figaro, selon lequel la mort, au printemps 1996, des sept moines de Tibéhirine, que vous connaissiez bien, serait due à une bavure de l’armée algérienne et non pas aux terroristes des GIA ?

Je le reçois avec un certain recul, et pour moi et pour nous, Eglise d’Algérie, l’important n’est pas là. L’important c’est de continuer de dévoiler le sens de l’existence des moines de Tibéhirine, de comprendre pourquoi ils ont tenu à être présents jusqu’au bout malgré les menaces qui pesaient sur eux, plutôt que d’essayer d’élucider les circonstances de leur mort.

Mais à l’époque des faits, vous qui êtes personnellement présent en Algérie depuis 1970, aviez-vous des doutes sur la thèse officielle de leur mort ?

Nous partagions certains doutes que peuvent avoir aussi des familles des 150 000 Algériens qui ont perdu la vie dans cette tourmente extrêmement douloureuse que furent les dix ans de terrorisme. Mais nous ne sommes pas des jusqu’au-boutistes de la vérité.

Vous ne cautionnez donc pas la démarche du père Armand Veilleux, une autorité trappiste, l’ordre des sept moines assassinés, qui s’est porté partie civile pour connaître la vérité, justement.

Je ne cautionne pas du tout sa démarche, je ne m’y engagerais pas. S’il pense en sa conscience devoir le faire, comme citoyen, soit, mais comme hommes d’Eglise, ce n’est pas cela que nous avons de meilleur à faire pour susciter l’esprit des moines même, qui reposent maintenant. Plutôt que de nous appesantir sur la mémoire du passé, nous devrions faire en sorte d’avoir une mémoire de l’avenir. Nous sommes face à une route de la réconciliation entre chrétiens et musulmans qui, pas tous, mais par agents politiques interposés, continuent de s’affronter.

Vos propos apparemment conciliants ne résultent-ils pas d’une raison d’Eglise comme il existe une raison d’Etat ? N’est-ce pas une parole politique que vous tenez ?

C’est une parole que je prononce au nom même de ma foi et de mes convictions, qui ne contredisent pas une parole de citoyen français ayant fait l’option de vivre en Algérie, un pays qui m’accueille, où j’ai créé des liens et où l’Eglise a un enracinement très ancien. Tant mieux si ma parole sert pour une politique plus saine entre la France et l’Algérie.

Des chrétiens d’Algérie sont parfois en butte à des formes de persécution de la part de musulmans qui n’acceptent pas la conversion de certains des leurs au christianisme. Quelle est votre position à ce propos ?

C’est un fait qu’il y a actuellement un mouvement en Algérie du côté des chrétiens évangéliques, assez prosélyte, et quelques centaines, sinon quelques milliers d’Algériens sont entrés dans cette Eglise. Mais cela ne nous empêche pas d’être ce que nous sommes, nous Eglise catholique présente dans le monde algérien depuis de nombreuses années, dans le plus grand respect des convictions de nos amis et partenaires algériens. Nous sommes quelques fois taxés de prosélytisme au même titre que les évangéliques. Mais moi, je me refuse toute démarche prosélyte. Si un musulman voulait vraiment se convertir au christianisme, je ne l’en dissuaderais pas, mais je lui dirais quelle est ma conviction par rapport à cette nécessité d’entretenir les liens de fraternité avec mon partenaire musulman.

On a l’impression, vu de France, que l’Algérie est « à cran » vis-à-vis de Paris.

Ce n’est pas l’Algérie profonde qui est à cran. C’est un pays qui a beaucoup souffert pendant la guerre d’indépendance et durant les dix années de terrorisme, et qui aspire à une certaine paix. C’est aussi un pays qui ne va pas très bien au niveau de son économie, en dépit des pétrodollars qu’il engrange, et qui a du mal à donner du travail à tous ses enfants. Il y a un contentieux douloureux qui pèse entre l’Algérie et la France de par le passé colonial. Tout n’a pas été fait, au moins du côté de la France, pour assainir cette mémoire une bonne fois. Il y avait une parole à dire, peut-être de regrets et de vision d’avenir entre les deux pays, au moment de la visite de tel ou tel président français en Algérie.

Propos recueillis par Antoine Menusier

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