Vendredi soir  dans le quartier populaire de Hackney au nord de Londres. Le couple éméché qui titube en sortant  du pub ne risque pas grand-chose à part une chute sur le macadam. Les rues, elles, ne sont troublées que par les  fêtards qui piétinent en attendant  leur Kebab ou par ceux qui palabrent  en s’en grillant une petite devant leur bar non fumeur. Les émeutes sont bel et bien terminées.

Samedi  à Camden, un des spots rock et branché de la capitale britannique. Une dizaine de touristes immortalise le palais de la princesse pop qui régna sur le quartier, celui d’Amy Winehouse. Deux adolescents italiens sympathisent avec un troisième venu du Japon devant la maison de la diva trash. À Londres pour les vacances et pour améliorer leur anglais, ils ont tous une anecdote à raconter sur les émeutes. Pio et Mattia ont vraiment eu peur et n’ont pas quitté leur appartement pendant que ça chauffait aux alentours…

Chris, métisse japano-espagnol, plus téméraire, a frôlé l’agression dans un train de banlieue en provenance du sud de Londres : « J’étais parti pour rejoindre le centre ville sans aucun objet de valeur et avec mon argent caché dans ma chaussette. Un mec est venu vers moi et m’a demandé d’ouvrir mon sac à dos pour prendre ce qu’il y avait à l’intérieur. Quand il a vu que je n’avais rien d’intéressant, il a essayé de me convaincre de venir casser des vitrines avec lui… Bien sûr je ne l’ai pas suivi. » Chris ne précise pas à quoi ressemblait celui qui voulait l’embringuer dans la guérilla urbaine mais une chose l’a particulièrement frappé :  « Parmi les émeutiers, il y avait des blancs, des noirs, des pakistanais, des turcs etc.… Toutes les origines étaient mélangées ».

Camden n’a bien sûr pas échappé à la casse et au pillage. Dans sa rue commerçante principale, des boutiques, surtout celles de téléphonie mobile, portent les stigmates de la tourmente : vitrines de contreplaqué mais surtout présence policière massive. Les bobbies patrouillent mais paraissent aussi égarés que les touristes qu’ils peinent à renseigner sur les rues avoisinantes. Ils ont afflué des quatre coins de l’Angleterre pour prêter main forte à la police métropolitaine, complètement débordée en début de semaine.

Dimanche, dans les recoins bobo-chics de Notting Hill et Portobello Road, la pression policière ne faiblit pas au point d’impressionner Michèle et Leona, deux londoniennes en promenade. Elles condamnent fermement les violences et les dégradations mais elles sont intarissables et passionnées quant il s’agit de les expliquer et de les resituer dans leur contexte social et économique.

Pour Michèle, 41 ans qui a repris ses études et travaille dans un centre d’appel, il y a plusieurs types de « rioter » : des délinquants, des jeunes désœuvrés du mois d’août qui se sont joints aux délinquants, et d’autres jeunes qui n’ont que la violence pour exprimer leur « disempowerment » à défaut d’avoir les mots ou la capacité d’intellectualiser et de verbaliser leur frustration.

En effet, la pauvreté financière n’est pas l’explication de leur comportement car pour elle, les plus démunis parmi la population ne sont pas ceux qui sont allés casser. « C’est le manque d’éducation, le manque d’inspiration qui les fait glisser peu à peu vers un comportement antisocialEn plus, cette nouvelle génération a grandi avec un manque de respect envers l’autorité, comme celle de leurs professeurs par exemple… Et puis dans cette société basée sur l’hyper consommation où tout s’achète, ces jeunes ont eu l’occasion de se servir et ils l’ont fait…». Leona, 44 ans, graphiste-designer à son compte,  dont les parents sont originaires de Montserrat aux Antilles, partage les vues de son amie et argumente sur de nombreux points. Elle aussi répète qu’elle ne justifie aucun des comportements destructeurs et violents des casseurs mais qu’avec le contexte actuel en Angleterre, ces émeutes ne sont pas surprenantes.

« Le pire c’est qu’il a fallu arriver à cette violence pour que des débats reviennent sur la table comme celui des « cut backs » des services publics. A force de retirer des moyens à la police, elle ne peut plus travailler dans de bonnes conditions. Et c’est la même chose pour les infirmières, les travailleurs sociaux … Tout ça participe au climat social très dégradé. Il y a une telle accumulation de frustration, les gens vivent sous une telle pression » analyse Michèle. « Et puis il a aussi fallu ces émeutes pour que le gouvernement sorte de sa torpeur… Non seulement Cameron ne démissionne pas malgré tous les scandales qui s’accumulent, mais en plus, il est tellement déconnecté de la réalité des gens comme nous, qui luttons au quotidien pour payer nos factures ! Et le plus grand scandale dans ce pays, c’est le logement qui est devenu un produit de luxe que de moins en moins de personnes peuvent se payer… Pour survivre, les gens s’endettent. Tout le monde vit à crédit sauf une minorité de riches. »

Malgré le panorama peu reluisant qu’elles décrivent et qu’elles font remonter à l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher, celle qui a commencé toutes les réformes qui ont compliqué leur vie, Michèle et Leona se veulent positives pour leur futur. « D’ailleurs quel choix ai-je philosophe Michèle à part travailler dur jusqu’à mes 70 ans. De toutes façons, je suis trop occupée à survivre au quotidien pour avoir le temps ou l’énergie de lutter contre le système».

Sandrine Dionys depuis Londres.

Photo du haut : Quartier de Victoria Station samedi 13 août.

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