Alors que la CAN vient de commencer le dimanche 9 janvier dernier à Yaoundé au Cameroun, le tournoi majeur du football international a bien failli ne pas se jouer. Malgré la ferveur populaire de tout un continent, de sa diaspora partout en Europe et dans le monde, la Coupe d’Afrique des nations s’est vue une nouvelle fois victime du mépris institutionnel de la FIFA, des instances européennes, des clubs. Un mépris qui ne cache pas un certain racisme, face à une compétition internationale – que beaucoup jugent inférieure à leur championnat – quitte à faire pression sur les joueurs africains.

La FIFA et l’ECA, main dans la main contre la CAN

En campagne contre la tenue de la CAN au Cameroun début 2022, l’Association européenne des clubs (ECA) a écrit à la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), le 10 Décembre 2021, pour lui faire part de ses « profondes inquiétudes » concernant la Coupe d’Afrique des nations et menacer de ne pas libérer les internationaux africains.


Le courrier de l’ECA a indiqué que : « Le conseil d’administration a convenu de s’engager de toute urgence avec la FIFA pour s’assurer que toutes les précautions nécessaires sont en place pour protéger les joueurs et les intérêts des clubs alors que la situation sanitaire continue de se détériorer de manière alarmante. »

Sans surprise, Gianni Infantino, président de la FIFA, a pesé de tout son poids sur la balance pour la possible annulation de la 33e édition de la CAN. Le patron du football mondial s’érige en défenseur de la santé des joueurs et des intérêts du football africain mais la volonté de s’attaquer à la CAN s’inscrit dans une logique essentiellement économique. La première priorité de la FIFA étant le bon déroulement de la Coupe du monde des clubs, qui se jouera aux Emirats Arabes Unis, du 3 au 12 février 2022, soit trois jours avant la fin de la Coupe d’Afrique des nations. Question d’argent, sûrement.

Y-a-t-il un tournoi plus méprisé que la Coupe d’Afrique des nations ?

Le projet de Gianni Infantino, pour les années à venir est d’inverser le calendrier avec une CAN tous les quatre ans et une coupe du monde tous les deux ans. Pour le bien du football africain, sûrement pas. «L’Afrique perdrait en visibilité au niveau international. Le fait que la CAN ait lieu tous les deux ans permet à des joueurs de se faire remarquer. Elle permet également à des équipes modestes ou moyennes d’avoir des chances de participer à une grande compétition, car la Coupe du monde semble inaccessible à beaucoup », déclare à Jeune Afrique Guy Kossi Akpovy, président de la fédération togolaise de football.

La CAN, ce monstre invisible.

Ce n’est plus une nouvelle, l’appréhension grandit chez les entraîneurs des équipes européennes à l’approche de chaque Coupe d’Afrique des nations. Les managers n’hésitent pas à s’attaquer frontalement au tournoi, quitte à manquer de respect à tout un continent.

À la question de savoir si les organisateurs auraient dû envisager de reporter le tournoi, l’entraîneur de Naples, Luciano Spalletti, avait répondu qu’il n’avait pas le pouvoir institutionnel de prendre la décision, mais qu’il espérait que le bon sens prévaudra. Comprenez du côté Nord de la Méditerranée.


En France, l’OGC Nice a fait pression sur les internationaux africains au moment de leur potentielle signature au club, quant à la participation au tournoi en milieu de saison. 

Le manager italien est mécontent du calendrier de la compétition et il n’a pas mâché ses mots : « Il faut penser à gagner des matchs sans regarder ce que font les autres, le championnat est encore très long. Et puis il y a ce monstre invisible de la Coupe d’Afrique qui est là, derrière. Il fait disparaître les joueurs des vestiaires et vous ne savez pas quand vous allez les retrouver ; nous en avons quatre et ils sont fondamentaux pour notre équipe », a-t-il souligné.

La couverture médiatique de la CAN est « complètement teintée de racisme » pour Ian Wright

L’ancien attaquant de l’équipe d’Angleterre, Ian Wright, s’est révolté contre la couverture « teintée de racisme » de la Coupe d’Afrique des nations. Dans une vidéo publiée sur son compte Instagram officiel, la légende d’Arsenal a déclaré :  « Je dois demander à certaines personnes : y a-t-il un tournoi plus méprisé que la Coupe d’Afrique des nations ? » 

 

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Ian Wright a comparé l’Euro 2020 (joué dans plusieurs pays, malgré les conditions sanitaires compliquées) avec le traitement résérvé à la Can sous couvert de crise du Covid-19. 

Très remonté, Ian Wright a comparé la différence de traitement entre les joueurs africains et européens : « on demande aux joueurs s’ils vont honorer les convocations de leur équipe nationale ». « Avez-vous déjà entendu quelqu’un demander à un joueur anglais s’il allait honorer une convocation ? Pouvez-vous imaginer le scandale ? », poursuit-il avant de saluer la prise de position de l’attaquant ivoirien Sébastien Haller et de l’entraîneur de Crystal Palace Patrick Vieira, né au Sénégal. L’entraîneur français, avait lancé un appel au respect du tournoi. « Je n’empêcherai jamais un joueur de prendre part à la compétition. Je crois que ce tournoi doit être plus respecté. Il est aussi important que l’Euro ».

« Il est important d’avoir un manager noir qui puisse faire comprendre aux gens où sont ses origines et à quel point ce tournoi est important pour les Africains », a notamment ajouté Ian Wright, également consultant pour la BBC. Les commentaires de l’ancienne gloire anglaise sont intervenus alors que les joueurs sélectionnés par leur pays pour la compétition au Cameroun, font face notamment à des pressions médiatiques.


La CAN aussi importante que l’Euro pour Patrick Vieira. 

Interrogé par le média néerlandais De Telegraaf, Sébastien Haller n’a pas apprécié qu’on lui demande s’il préférait rester avec l’Ajax Amsterdam plutôt que de rejoindre les Éléphants de Côte d’Ivoire au Cameroun. « Cette question montre le manque de respect pour l’Afrique. Aurait-on posé cette question à un joueur européen avant l’Euro ? Bien sûr que je fais la CAN », a déclaré l’actuel meilleur buteur de la Ligue des champions.

Un autre épisode avait marqué la sélection algérienne : le cas d’Andy Delort, qui face à la pression de son club (au moment de son transfert depuis Montpellier) l’OGC Nice, a décidé de suspendre sa participation aux matchs internationaux, pour espérer un retour d’ici le mondial. Un refus de participer à la CAN, qui a ulcéré son sélectionneur Djamel Belmadi et qui a décidé d’exclure définitivement le joueur de la sélection.

Levée de boucliers des acteurs du football africains face aux attaques contre la CAN

À l’heure où les flèches contre la CAN arrivent du côté européen, les acteurs du football africain font front commun pour défendre la plus importante compétition africaine de football. Le nouveau président de la Fédération camerounaise de football, Samuel Eto’o, s’est placé à la tête de l’offensive africaine pour défendre le maintien du tournoi.

« Pourquoi la Coupe d’Afrique des nations ne se jouerait-elle pas ? Donnez-moi une seule raison valable ! », s’était indigné le meilleur buteur de l’histoire de la CAN, le 21 décembre dernier. « On est en train de nous traiter comme on nous a toujours traités : nous sommes des moins que rien et nous devons toujours subir. »


Samuel Eto’o, nouveau président de la Fédération camerounaise de football, sur l’annulation de la CAN 2022 au micro de Canal+ Sports. 

L’ancien milieu offensif égyptien, Mohamed Aboutrika, a accusé la FIFA de mépriser le football africain. « Je suis désolé de dire qu’ils (la FIFA) traitent le continent africain avec mépris », a déclaré l’actuel consultant pour la version arabe de beIN SPORTS. Le double vainqueur de la CAN a critiqué les pressions exercées par la FIFA sur la Confédération africaine de football (CAF) avant le début de la Coupe d’Afrique au Cameroun.

Les propos de l’ancienne star d’Al-Ahly du Caire sur l’une des émissions de BeIN SPORTS, mercredi 29 décembre 2021, interviennent après la décision de la FIFA d’autoriser aux clubs européens de conserver leurs joueurs professionnels africains jusqu’au 3 janvier, alors que la compétition a démarré six jours plus tard.

Une compensation puisque l’Association européenne des clubs (ECA) n’a pas obtenu l’annulation de la CAN. Le sélectionneur de l’Algérie, Djamel Belmadi regrette le choix de la FIFA, « Deux choses compliquent énormément notre préparation : la pandémie de Covid-19 et la décision de la FIFA concernant la libération des joueurs européens le 3 janvier », a affirmé le sélectionneur en conférence de presse.

Les grands clubs européens et la FIFA ne respectent pas assez la CAN. 

De son côté, Vahid Halilhodzic, le sélectionneur du Maroc, a taclé le Barça et la FIFA en évoquant le cas du jeune attaquant Abdessamad Ezzalzouli, qui a décliné la convocation du Maroc, sous la pression du club catalan et des médias espagnols. « Je pense que le FC Barcelone pose problème, car il ne respecte pas assez la Coupe d’Afrique des nations. Les grands clubs européens et la FIFA ne la respectent tout simplement pas assez », a déclaré le sélectionneur des Lions de l’Atlas.

Malgré les pressions de report, d’annulation, et les considérations méprisantes des instances européennes, la CAN a donc bien commencé avec une victoire du pays organisateur camerounais face au Burkina Faso. Et la ferveur s’est déjà faite sentir à Yaoundé, comme sur les réseaux sociaux. En espérant que le football gagne toujours.

Mokrane Smaïli

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