« Interdite de manifester, et verbalisée pour un t-shirt, en France, en 2023 ? ». Estance, militante de 32 ans, pleure. Venue apporter son soutien aux habitants de Gaza vêtue d’un t-shirt floqué « BDS France » (l’association Boycott-Désinvestissement-Sanction vise au boycott d’Israël). La Francilienne s’est retrouvée encerclée par la police avant même le début de la manifestation. « Ils m’ont demandé de retirer mon t-shirt sous peine d’être verbalisée ». Elle a préféré rester vêtue et quitte les lieux. « Je n’ai pas signé le procès-verbal », assène-t-elle.

Plus tôt, dans le métro, une femme l’avait apostrophée au sujet de son vêtement. « Elle m’a dit avec colère que les Palestiniens s’en étaient pris à des civils », raconte la jeune femme. « Je lui ai répondu que couper l’eau et l’électricité à 2 millions de personnes était aussi un acte barbare ». Estance dénonce la politique militaire israélienne, qu’elle juge se dérouler au détriment de sa propre population. « Ce peuple a beaucoup trop souffert au fil des siècles pour laisser faire des choses pareilles en leur nom », estime-t-elle.

Un problème politique

Sarah Katz le précise d’entrée, elle est juive. Elle n’a pas hésité à braver les interdictions pour venir dénoncer le blocus de Gaza et les bombardements. « Je ne risque plus rien, c’est l’avantage de l’âge » sourit-elle. Dans ses mains, une pancarte où elle scande son antisionisme et son soutien à la résistance palestinienne. « Mon nom de famille, Katz, est un mélange des initiales Koen qui signifie prêtre, et Tsedek qui signifie justice, détaille-t-elle. C’est ce nom qui m’amène ici ».

Lunettes rouges et sourire aux lèvres, cette fille de résistant refuse les idées simplistes qui entourent la question palestinienne. « L’antisémitisme est un racisme. Le fait de dénoncer les crimes de l’état colonial israélien est un devoir. Ça n’a rien à voir avec le racisme, absolument rien ». Elle accuse l’État juif « d’écrabouiller » les Palestiniens et critique la position de la France. « Notre réponse politique et médiatique à nous aussi est une honte absolue », regrette-t-elle. Et d’ajouter : « En ayant sans arrêt refusé d’écouter les Palestiniens, nous avons collectivement créé l’horreur qui s’est déroulée ces derniers jours ».

Djamila* partage l’avis de Sarah. « S’il y avait une reconnaissance des droits des Palestiniens, on n’en serait pas là aujourd’hui ». Elle aussi rejette les soupçons d’antisémitisme qui pèsent sur les mobilisations. « Je refuse d’entendre ces accusations. La Palestine a toujours été une terre d’accueil multiconfessionnelle. Le problème est d’ordre politique, pas religieux », argue cette conseillère municipale en région parisienne.

« On veut la paix pour tout le monde, Israéliens et Palestiniens »

Plusieurs milliers de personnes ont investi la place de la République pour crier leur indignation. Ils portent tous à bout de bras panneaux, images, et cartes où ce territoire est inlassablement grignoté au fil des années par la politique mise en place par Israël. Une tranche de pastèque gonflable, symbole des couleurs palestiniennes, côtoie une photo de Shireen Abu Aqleh, la journaliste, tuée en 2022 par l’armée israélienne en plein reportage. L’inscription « End Apartheid » sur un morceau de carton est brandie, les youyous sont chantés.

Plus loin, trois jeunes hommes, majeurs ou presque, agitent un drapeau algérien. « L’Algérie a toujours été du côté de la Palestine, c’est normal que son drapeau soit là aujourd’hui », soutiennent-ils. Tous trois viennent de quartiers populaires de la banlieue parisienne. Karim*, Sajid* et Yanis* se sont retrouvés à Paris pour appeler à l’entente entre les peuples. « On veut la paix dans le monde, pour tout le monde, Israéliens et Palestiniens », explique Karim. « On ne veut voir aucun enfant mourir, d’où qu’il vienne ». Si leur présence est avant tout pacifique, l’interdiction de la manifestation leur laisse un sentiment d’injustice. « Les soutiens à Israël ont manifesté sans problème, pourquoi on ne pourrait pas, nous ? ».

Les franco-palestiniens à la marge

Un éclat de colère résonne, que les chants ne parviennent pas à taire. Un homme est retenu par la foule, éloigné dans une rue adjacente et consolé. Majid, d’origine palestinienne, explose. « J’ai grandi en Palestine, je l’ai vue la guerre. Eux, ils n’ont rien vu », hurle-t-il à propos des forces de l’ordre qui tentent de le faire taire, avant de confier avoir perdu son cousin deux jours auparavant, à l’autre bout de la Méditerranée. « Ne t’en prends pas à eux, ne leur donne pas raison », l’implore un groupe de femmes.

Parmi les manifestants, certains sont des franco-palestiniens. À l’image de Sabrine, jeune femme de 31 ans. Accompagnée de sa colocataire, toutes deux recouvertes de broderies traditionnelles, Sabrine est venue apporter son soutien au peuple de ses origines. Le village de sa famille, Al Faluja, est passé sous contrôle israélien en 1949. La Nakba (la « catastrophe » qui désigne l’exil forcé des Palestiniens) les a conduits en France. « Je peux dire qu’avec ce qui se passe en ce moment, j’ai honte d’être française », lâche-t-elle, exprimant son ressentiment. Elle estime que les siens sont déshumanisés, depuis trop longtemps.

Une manifestation dispersée promptement

Juste en face, plusieurs jeunes ont escaladé le monument à la République, et brandissent au pied de l’allégorie les bannières palestiniennes, tunisiennes, algériennes et marocaines. Leurs fumigènes nimbent de rouge la nuit tombante.

La police somme, puis disperse la foule à l’aide de canons à eaux et de gaz lacrymo. La place se remplit de cris, de confusion et de quintes de toux. D’une odeur âcre, asséchante. Quand les forces de l’ordre cernent les manifestants, une femme ironise. « Ça y est, on est enfermés, comme à Gaza ! ». Les compagnies de CRS poursuivent leur ballet sous les yeux muets de la statue, en une chorégraphie désordonnée, mais répétitive.

Certains cherchent à quitter les lieux, d’autres s’installent. Une bouche de ventilation de métro devient le terrain de jeu des irréductibles. Le vent des conduits fait voler leurs drapeaux à la verticale, comme des flammes. Il est 20 heures. À la télévision, Emmanuel Macron, appelle les Français à l’unité. « Israël a le droit de se défendre en éliminant les groupes terroristes, dont le Hamas, par des actions ciblées, mais en préservant les populations civiles, car c’est là le devoir des démocraties », insiste-t-il.

Le discours présidentiel ne parvient pas jusqu’à la place de la République. Là, un jeune manifestant lance une minute de silence pour les civils qui ne sont pas épargnés, en leur mémoire.

Sofien Benkhelifa

*Les prénoms ont été changés

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