Le gospel, pour moi, c’était « Sister Act » où des femmes en tenue orange et violette chantent « Oh Happy Days » et tapent dans leur main. Ce qu’on en voit dans les films, quoi. Dimanche, jour du Seigneur, je me suis levé tôt pour aller dans Harlem assister à une messe gospel. En vrai, pas au ciné. Sur le net et dans tous les guides, ils proposent d’aller à l’Abyssinian Baptist Church, qui est super ultra touristique et où l’on doit faire la queue pendant 2 heures pour ne se retrouver, disons-le franchement, qu’avec des Blancs, alors qu’on est au milieu de Harlem.

Je décide de me rendre à l’Elmendorf Reformed Church, la plus ancienne église de cet immense quartier situé au nord de Manhattan. A 11 heures, me voilà devant le lieu de culte avec deux amies. Ceux qui pénètrent dans l’église sont sur leur 31, costume, cravate, chaussures cirées pour les hommes et les enfants, les plus vieux portent tous un chapeau. Pour les femmes et les plus petites, c’est robes, chapeaux et talons.

A peine est-on entré que toute l’assistance regarde en notre direction. Les fidèles nous adressent un large sourire, viennent nous saluer, demandent comment nous allons, d’où nous venons, si New York nous plaît. C’est la pasteure en personne qui nous accueille. On discute un peu, en particulier du fait que je ne suis pas chrétien. Très compréhensive, elle me dit que si je ne veux assister qu’à la partie « gospel », et pas aux prières, je le peux, que je suis totalement libre ici. Toujours un grand sourire aux lèvres, on sent chez elle une vraie passion pour ce qu’elle fait !

11h30, ça commence. Je pensais qu’on allait tous se lever et taper dans nos mains en chantant des « Oh happy days », mais nan, ça c’est dans « Sister Act » seulement. Ça démarre en douceur, d’abord un petit discours pour remercier les fidèles, puis un « thank you » particulier aux Français présents ce jour-là. Derrière elle, il y a les musiciens, basse, batterie, cymbales, saxophone et d’autres instruments que je ne connais pas.

Les membres de la chorale se lèvent, et font en chantant des « Mmm Mmmmm Mm » et des « Oowoooowh ». Une femme vient sur la « scène » et se place devant le micro. C’est à son tour de saluer les personnes réunies dans l’église, de dire quelques remerciements, et à partir de ce moment-là, c’est de la folie. Les chansons, je ne les connais pas, mais ça ne m’empêche pas de me lever et de faire semblant de chanter. J’ai le groove dans la peau, moi. Lorsque la femme se met à chanter chacun dans l’assistance a un énorme sourire aux lèvres. Nous sommes debout et tapons dans nos mains.

Malheureusement ce moment de gospel passe trop vite. Les quinze minutes qu’on a passées à chanter et danser m’en ont paru deux. Quinze minutes de gospel, ça fatigue, même Johnny n’aurait pas tenu le rythme. La femme qui a « mis le feu » se retire et tout le monde se rassoit. Les musiciens ralentissent la cadence, jouent un peu moins fort. La chorale reprend ses « Mmmmmh mmmh » et ses « Ooowoooh ». Dans la foule des femmes chantent les unes après les autres et remercient Jésus, qui pour le diplôme obtenu par leur fils, qui pour une vie paisible, sans maladies et sans malheurs. Bien sûr, tout ça c’est de l’impro, elle ne chantent pas fort, mais elles sont si bien en rythme que beaucoup d’énergie se dégage de leurs voix.

Je pense alors que la partie chant est derrière nous, mais non, c’était une légère pause pour que la chorale reprenne des forces, car voilà qu’une autre femme arrive devant le micro. Une femme âgée, elle doit avoir au moins 80 ans. Elle dirige la chorale comme une chef d’orchestre (avec les deux mains en l’air, sauf qu’elle n’a pas la baguette), puis chante au micro. Personne ne se lève, on est pour ainsi dire paralysé devant elle qui chante et a les larmes aux yeux, comme ceux qui l’écoutent. Une fois qu’elle a fini, elle aussi remercie les personnes présentes, et remercie Jésus aussi.

Ça repart de plus belle avec un duo homme-femme. Nous nous relevons, le groove entre en nous, notre corps bouge tout seul, dans ces moments-là, rien ne sert de résister, il faut laisser la musique nous emporter. L’ambiance devait être la même lorsque Ray Charles chantait dans les petits bars des années 60. On approche des 45 minutes de show. Le gospel est fini, vient le moment des prières. Je m’éclipse le plus discrètement possible. Je ne pratique pas la religion chrétienne. Me voyant sortir, la pasteure me lance un sourire et un clin d’œil, comme pour dire « J’espère que t’as bien kiffé ! ».

Une fois dehors, je discute avec quelques personnes de plusieurs sujets, pas que religieux. Il y a là un Américain, âgé de 21 ans, qui parle très bien français. Il l’a appris tout seul, avec des livres qu’il lisait à la bibliothèque. Il m’impressionne vraiment, il me parle de ses conditions de vie qui ne sont pas super, du fait qu’il ne peut pas aller à la fac, comme tous ses amis qui vivent à Harlem.

« Ici quand on a mon âge, si tu es riche tu vas à la fac, si tu es pauvre tu cherches un travail. » Il ne se plaint pas, il me dit juste les choses comme elles sont. Il se réfugie souvent à l’église, car il a peur de mal tourner dans la rue. Artiste dans l’âme, il se fait de l’argent en dessinant sur les t-shirts, pulls et casquettes des gens. Retenez son nom, Marcus, peut-être que dans quelques années il aura sa propre ligne de vêtements, le rêve américain, quoi !

Quelqu’un vient me chercher de l’intérieur de l’église. La pasteure en personne veut me voir, quel honneur ! Nous trois, les trois Français, la pasteure nous remercie d’être venus de si loin, elle prend aussi une photo avec nous, qu’elle affichera sur un mur où il y a une grande mosaïque de photos. Elle nous invite ensuite à l’étage d’en-dessous, pour manger en compagnie des fidèles. Je refuse poliment, mais je sais qu’elle va insister et que je vais accepter – mon estomac crie famine. Nous nous retrouvons autour d’une immense table, avec un repas digne d’un roi. Nous sommes une trentaine, on dirait une grande famille. Bonne humeur, convivialité et appétit sont les mots d’ordre.

Nous remercions le Seigneur puis nous, les hommes, servons les femmes, et une fois que chacun a son assiette pleine, nous savourons ce succulent met. Je ne vous fais pas la liste de tout ce qu’il y avait à manger, tous les plats ont été préparés par les fidèles. Pas une minute de silence autour de la table, les sujets de conversation – de la place de la religion dans la vie à la dernière tenue de Michelle Obama en passant par le Superbowl et le dernier talk-show d’Oprah Winfrey – ne manquent pas et apportent de la gaité autour de la table.

Malheureusement, toute bonne chose a une fin, et c’est le cas de cette matinée en compagnie des Harlemiens (je ne sais pas si ce mot existe mais bon…). Sans aucun doute mon meilleur souvenir de New York (pour le moment) !

Saïd Benarroudj (New York)

Paru le 27 février

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