« Je protestais simplement pour que nos droits soient respectés ». Le 28 mars, Hawk Newsome, le charismatique président de la section Greater New York du mouvement « Black Lives Matter », est arrêté par la police de New York alors qu’il participait à une marche en hommage à Stephon Clark, un jeune afro-américain mort le 18 mars dans le jardin de sa grand-mère, sous les balles de la police de Sacramento, en Californie. Comme dans de nombreux cas de violences policières, il y a deux versions des faits. Les policiers, qui ont été suspendus, ont déclaré qu’ils craignaient que le jeune homme soit armé. Le jeune homme n’avait pourtant qu’un téléphone portable sur lui et selon l’autopsie, il a principalement été touché au dos.

Hawk Newsome raconte son arrestation du 28 mars. « Je ne faisais qu’exercer le premier amendement, ma liberté d’expression. J’étais au milieu de la foule, nous étions environ 1 000 personnes. Les policiers ont commencé à me pousser avec un vélo. Je crois que j’ai été la première personne à être arrêtée. Tout ce dont je me souviens c’est que j’ai été propulsé au sol, étendu par terre avec deux ou trois policiers sur moi et le vélo. Je ne sais pas si le vélo est tombé ou s’ils l’ont fait exprès ». Au total, 11 personnes seront arrêtées ce soir-là. S’ensuivent 26 longues heures de garde à vue. « C’est inhabituellement long pour une garde à vue », témoigne ce juriste de formation. Il sera finalement relâché avec trois accusations sur le dos : résistance à une arrestation, obstruction à la gestion judiciaire et violence sur officier de police.

Lorsqu’on vit dans le Bronx, on n’a peu d’opportunités de stage. Les deux seules voies qui s’ouvrent à nous en grand c’est de vendre du crack ou jouer à la balle

Ce n’est pas la première fois qu’Hawk est arrêté pour son activisme. L’année dernière, la police l’interpelle alors qu’il participe à une protestation anti-Trump. « J’étais ressorti de cette arrestation l’épaule blessée. Aujourd’hui, elle l’est un peu plus, sans compter mon dos », lâche-t-il. À l’époque, les charges contre lui avaient été abandonnées par la justice américaine.

Hawk Newsome, charismatique président de la section Greater New York du mouvement « Black Lives Matter ».

Hawk Newsome a grandi dans le Bronx, dans une famille « à faibles revenus ». Enfant, il rêvait d’être « pompier ». « Mon prof me disait toujours : tu arriveras après le feu, tu es toujours en retard ! ». Voilà pour l’encouragement. « Lorsqu’on vit dans ce quartier, on n’a peu d’opportunités de stage. Les seules voies qui s’ouvrent à nous en grand c’est de vendre du crack ou jouer à la balle ». Aujourd’hui, le voilà devenu consultant politique et papa de deux enfants. Depuis un an et demi, il dédie sa vie à la cause des Afro-américains avec une section locale non officielle new-yorkaise de Black Lives Matter qu’il a lui-même fondée en 2016. Le mouvement, qui se réclame d’une organisation horizontale et sans hiérarchie, est né en juillet 2013 à la suite de l’acquittement de Georges Zimmerman. Le garde bénévole blanc avait tiré sur le jeune Noir Trayvon Martin, âgé de 17 ans et non-armé un soir de février 2012.

Ils ne veulent pas de nous dehors ? Et alors ?

C’est en décembre que nous rencontrons les membres de la section pendant l’une de ses réunions de travail. Le lieu fait sourire tant il apparaît en contraste avec la ligne du mouvement : un local de Google, en plein Manhattan, entre la 15ème et la 8ème. Au programme de la discussion de cette réunion improvisée : une mise au point sur les différentes actions en cours.

Réunion de travail du mouvement Black Lives Matter Greater New York dans un local de Google, au cœur de Manhattan.

Si son arrestation rend Hawk amer, l’homme refuse de baisser les bras. « Je me sens plus fort que jamais ! Ils ne veulent pas de nous dehors et alors ? Nous allons continuer. Nos frères et sœurs ont besoin de nous, nous n’arrêterons pas », clame-t-il. Hawk estime d’ailleurs être « né pour le mouvement » car sa démarche fait écho à l’histoire de ses propres parents. C’est dans les années 60 qu’ils se sont rencontrés lors d’une manifestation de défense des droits civiques. Lui est né le 4 avril 1977. « C’est un 4 avril que Martin Luther King a été assassiné. C’est aussi un 4 avril que Adam Clayton Powell Jr., un grand activiste et politicien noir, est décédé. Le 4 avril est un jour extrêmement important pour les personnes noires ».

Sans cette arrestation, Hawk aurait dû atterrir à Paris le 3 avril pour participer à l’inauguration de l’exposition « La force de l’engagement » à l’occasion du cinquantenaire de l’assassinat de Martin Luther King. « J’ai du coup dialogué par Skype avec les Parisiens. Une femme m’a demandé pourquoi je n’essayais pas d’être plus pacifique. J’ai répondu que je n’étais pas plus militant que n’importe quelle mère ou grand-mère dans cette salle ! Nous représentons tout ce que nous voulons voir dans le monde et ce que nous voulons voir, c’est une société plus juste et plus en paix. Que pouvons-nous faire pour espérer voir d’autres personnes rejoindre notre action ? Nous devons leur apprendre à aimer ! » 

À l’école, on nous parle de grandes figures comme Rosa Parks, Martin Luther King mais on nous dit que le mouvement des droits civiques est terminé. Or, il est encore tristement d’actualité

Glenn Cantave, jeune activiste de 24 ans, est lui aussi membre de cette section locale de Black Lives Matter. Il fait la connaissance de Hawk en juillet 2015 pendant le tournage de son documentaire sur l’activisme afro-américain. Les deux engagés se recroisent à Charlottesville. Le militant décide de rejoindre Hawk dans sa section tout juste créée. « À l’école, on nous parle de grandes figures comme Rosa Parks, Martin Luther King et des grands événements historiques. Mais on nous dit que le mouvement des droits civiques est terminé. Or, il est encore tristement d’actualité », explique-t-il.

Glenn Cantave, jeune activiste de 24 ans, est lui aussi membre de la section locale de Black Lives Matter.

Pour Hawk comme pour Glenn et la petite vingtaine de membres que compte l’antenne, Black Lives Matter ne fait pas autre chose que prolonger le travail des anciens, à savoir lutter pour les droits civiques aux États-Unis. Ce combat passe aujourd’hui par la dénonciation des crimes policiers et l’arrêt des brutalités policières pour « mettre fin au racisme structurel ». Pour cet objectif, chacun au sein de la section, apporte ses propres compétences. Le groupe compte une quinzaine de membres dans un réseau mouvant fait de va-et-vient fréquents et de collaborations ponctuelles. Tandis qu’Hawk mobilise sa formation en droit, Glenn, par exemple, met au service du mouvement son expertise dans les nouvelles technologies.

Après la politique traditionnelle, le terrain militant

Pour Hawk Newsome, l’un des moyens de lutter passe par les urnes mais il prévient : « Je ne voterai pas tant que la vie des Noirs ne compte pas ! Qu’est-ce que les politiciens font pour nous qui nous montrons loyaux envers eux ? » Pour le consultant politique de profession, si Hillary Clinton n’a pas remporté les voix nécessaires pour gagner les élections dans les États-clés, c’est parce que la communauté afro-américaine ne s’est pas présentée aux urnes. Pourtant Hawk lui-même raconte avoir été tenté par la politique pour faire résonner ses causes. En 2012, il s’est même présenté aux élections municipales du Bronx. Sa volonté ? Parler à un électorat jeune et détourné des questions politiques. Selon son récit, le parti démocrate a refusé de le soutenir parce qu’il « ne rentrait pas dans les clous ». Il s’est donc présenté sous une étiquette indépendante. Le militant déplore un vote devenu mécanique, peu réfléchi : « On nous a éduqués avec l’idée de voter pour les démocrates, donc on vote pour eux alors même qu’ils ne nous parlent peu, pas ou plus », regrette-t-il.

Finalement, l’Américain dit préférer l’engagement de terrain « plutôt que de porter des costumes ». Mais pas question de se contenter des simples marches commémoratives. Le quarantenaire se souvient avoir participé à une première marche en 2006 pour Sean Bell, un jeune Noir tué en novembre 2006 par cinq policiers. Il avait 23 ans et enterrait sa vie de jeune garçon. « Nous devons aller à la rencontre des gens éduqués, aisés qui sont ceux qui détournent le regard parce que cela ne les concerne pas. Pourquoi toujours organiser nos marches commémoratives et nos manifestations dans nos quartiers ? Il faut aller à Park Avenue où sont les millionnaires de New York ! ».

Mon ennemi, c’est la suprématie blanche, pas les personnes blanches

Une autre facette du combat pour Hawk et ses acolytes : mettre en avant les héros nationaux délaissés dans les célébrations du pays. Une démarche qui passe par la remise en question du récit national officiel américain. « Un de nos objectifs dans ce combat : nous débarrasser de la statue de Christophe Colomb », précise Glenn Cantave. Une statue qu’il aimerait voir remplacer par des figures moins sanglantes et plus consensuelles. Parmi les personnalités souhaitées : Toussaint L’Ouverture, Malala Yousafzai ou plus récemment le joueur de football américain Colin Kaepernick qui s’est agenouillé pendant l’hymne officiel pour protester contre les violences racistes.

Parmi les projets en cours : le développement d’une application sur « la vraie histoire de Christophe Colomb » pour informer sur les épisodes moins glorieux de la figure historique. « Nous souhaitons que ce livre de réalité augmentée soit disponible dans toutes les écoles de la ville et que ce projet soit disponible sur la place de Christophe Colomb à New York, détaille-t-il. Avec un téléphone portable, n’importe qui pourra alors voir apparaître d’autres figures que celle de la statue actuelle« . Face aux critiques, Glenn n’a qu’une réponse. « Mon but n’est pas de créer des divisions. Notre ennemi, c’est la suprématie blanche, pas les personnes blanches. S’il y a des divisions ou des tensions, elles ne viennent pas de nous. Des gens se sentent menacés parce que nous recherchons une vision de l’histoire plus fidèle à la réalité. Nous ne faisons que remettre en cause des inégalités qui règnent dans notre société ».

Tout ce que j’entends, c’est qu’en France aussi des policiers brutalisent des hommes non-blancs avec un système qui les protège

Après un an et demi d’existence, malgré sa méfiance envers les institutions, Hawk et son antenne locale de Black Lives Matter interviennent désormais dans des écoles et des églises. Ils se battent pour imposer une réforme de la police. « Dans nos quartiers, la police devrait circuler à pied. Les policiers devraient mêmes nous rejoindre dans nos revendications de réforme ! », s’insurge Hawk Newsome. Les demandes sont claires : poursuivre tout policier qui falsifie les informations durant une enquête, mettre en place une unité d’investigation indépendante pour enquêter sur les affaires de violences policières, créer une banque de données nationales sur les violences policières et instauration d’un jour national de commémoration des victimes de ces affaires.

S’il n’a pas pu venir cette fois-ci en France, Hawk Newsome ne perd pas l’Hexagone de vue et notamment la région parisienne. Il envisage de venir aux alentours de juin. Pour lui, il est primordial d’établir des ponts entre les deux cotés de l’Atlantique. « Tout ce que j’entends, c’est qu’en France aussi des policiers brutalisent des hommes non-blancs avec un système qui les protège. C’est la même histoire partout dans le monde ».

Amanda JACQUEL

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