Cela devait être un rassemblement pacifique pour protester contre la fermeture du Morning Glory Garden, un micro-jardin communautaire niché entre trois rues dans le sud du Bronx. Une assemblée générale devait se tenir sur le trottoir avec la trentaine de manifestants venus pour l’occasion avec des pancartes, des chaises et des banderoles.

Un élan stoppé net par la police. Vers 11 heures du matin, samedi, dix policiers se sont placés à l’entrée du jardin pour en bloquer l’accès. Un supérieur, identifié comme « Captain Garcia » s’approche du groupe et l’informe qu’il sera arrêté s’il bloque la circulation des piétons. La tension monte d’un cran. « Nous pouvons marcher autour du parc, de manière à éviter de bloquer le passage et tenir l’assemblée générale en marchant » suggère un militant.  Pas pratique, mais le groupe n’a pas le choix. Il commence sa ronde autour du morceau de verdure triangulaire, sous l’œil des officiers.

Puis, sans crier gare, les arrestations commencent. Arguant que le groupe barre le trottoir (alors que celui-ci est objectivement trop large et le groupe trop petit), la police menotte cinq « indignés » et les emmène au poste dans une fourgonnette aux gyrophares allumés. Dans le lot, un jeune homme muni d’une camera. « Ils vont effacer la vidéo » lance une manifestante. La confusion est palpable. On ne sait pas si un avocat a été contacté. Le groupe ne peut que constater, médusé, choqué : « Je n’y crois pas. C’est une chose de le voir à la télévision. C’est une autre que d’y assister » s’exclame Kelly, une des manifestantes.

Loin des caméras, le groupe « Occupy The Bronx » fait face à un combat autrement plus difficile que ses comparses de Wall Street. Moins médiatisé, moins organisé, le groupe est davantage exposé au zèle de la police. Une pratique malheureusement courante dans un quartier difficile qui entretient des rapports difficiles avec ses forces de l’ordre, vues comme des oppresseurs, de surcroît, des oppresseurs racistes. Pourtant, le cheval de bataille du groupe – une répartition plus juste des richesses – est plus qu’un slogan dans le Bronx, et en particulier dans le South Bronx, le quartier déshérité où il a vu le jour. Dans les années 90, le quartier fut considéré comme l’un des plus violents d’Amérique et détient toujours le titre peu flatteur de district électoral le plus pauvre du pays. Considéré comme la déchetterie de New York, les usines d’incinérations et les autoroutes qui s’y sont multipliées entraînent des problèmes d’asthme chez les plus jeunes. A cela vient s’ajouter le taux de chômage – deux fois plus élevé dans le Bronx que dans le reste de l’Etat de New York. « Les méthodes d’organisation, démocratique, sans hiérarchie, sont les mêmes qu’Occupy Wall Street, mais les besoins sont plus importants » souligne Ephraim Cruz, un des initiateurs du mouvement.

Cruz fait partie de cette nouvelle génération de militants bronxites nés et élevés dans les heures noires du Bronx et bien décidés à changer la donne. Ce solide gaillard, trentenaire, qui travaillait pour la police des frontières dirige Bronx for Change, un groupe civique favorable à davantage de transparence en politique. L’autre initiateur du mouvement s’appelle Omar Freilla. L’homme parle peu mais fait beaucoup. Il est le papa de la toute première coopérative verte du pays, une structure dans laquelle il revend des matériaux utilisés à prix cassés. « Occupy the Bronx » n’a pas de campement permanent comme l’avait « Occupy Wall Street ». En revanche, le groupe se retrouve toutes les semaines depuis début octobre pour son assemblée générale. Elle se tient d’ordinaire à Fordham Plaza, une place publique du Bronx, mais prend occasionnellement place dans d’autres lieux symboliques.

Le succès du mouvement est difficile à mesurer. Ses assemblées générales attirent au moins cent personne chaque semaine, un chiffre important compte tenu des moyens artisanaux du mouvement – il fait parler de lui via Facebook, Twitter, YouTube et le bouche à oreille plus que par la presse locale. Mais Cruz précise que la mobilisation s’est quelque peu essoufflée ces derniers jours avec la fête de Thanksgiving fin novembre et l’approche des vacances de Noël. Peut-être que l’épisode du Morning Glory Garden, que les occupants se sont empressés de relater sur Facebook, réveillera leurs ardeurs. Les cinq manifestants arrêtés ont été libérés.

Alexis Buisson

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