En 2020, pour la majorité de l’humanité, l’année a été marquée par l’épidémie de Covid-19. Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment a évolué la situation du peuple Ouïghour pendant cette année ?

Pour les Ouïghours au pays, cette année est encore pire car la situation sanitaire a largement profité à la Chine dont l’économie a été peu affectée. Elle a été une usine mondiale de fabrication de millions de masques que des pays se disputaient. C’est l’un des premiers pays qui s’est lancé dans la création de vaccin. La Chine s’est positionnée comme un sauveur. Cela a empiré la terrible situation des Ouïghours qui sont encore plus passés sous silence.

En France, on a très mal supporté le confinement. Imaginez pour les Ouïghours sous surveillance permanente. En 2020, des millions de Ouïghours ont été torturés dans des camps de concentration ou utilisés comme esclaves, dans les usines pour fabriquer des produits profités par des capitalistes ou comme esclaves sexuelles. Leurs conditions de vie et donc sanitaires étaient déjà déplorables avant le coronavirus. Le risque d’attraper le Covid a été multiplié. Je pense qu’il s’agit d’une belle occasion pour le régime chinois d’en finir plus tôt avec les Ouïghours.

2020 a été une année de mobilisation de l’opinion publique française.

Alors certes il y a une évolution minime par rapport à ce qu’il se passe, puisqu’on a rien changé pour les Ouïghours dans les camps, mais 2020 a été une année de mobilisation de l’opinion publique française. En ces termes-là, pour la diaspora c’était malgré tout une année de progression.

Diriez-vous que les médias français ont porté plus d’attention à cette cause-là ? À ce sujet, remarquez-vous une augmentation des témoignages ouïghours ?

En 2020, les médias audiovisuels français ont beaucoup participé à la visibilité de la question avec de courtes vidéos. Je pense à AJ+, Loopsider, Melty ou encore Brut. À l’étranger il y a eu des média comme channel 4 ou la BBC.

Il fallait un visage ouïghour et c’est tombé sur moi. La force de la situation m’a poussée à être visible.

Pour ces médias, il fallait des porte-paroles. En France, il y a notamment l’eurodéputé Raphaël Glucksmann qui a donné son mandat pour la cause ouïghoure. Nous travaillons ensemble depuis fin 2019. Et ensuite il fallait un visage ouïghour et c’est tombé sur moi. La force de la situation m’a poussée à être visible.

On estime que seule 10% de la diaspora ose parler, 90% reste dans le silence et dans la peur totale.

À l’international, il s’agissait surtout des témoignages des rescapés, des révélations, des études des chercheurs, et des datas dévoilées aux yeux du monde. Ces informations ont été largement diffusées par les médias traditionnels, notamment la presse écrite. Je tiens à mentionner Le Monde et Libération entre autres.

L’effet collectif a poussé des Ouïghours à prendre la parole depuis 2018. Malgré tout, on estime que seule 10% de la diaspora ose parler, 90% reste dans le silence et dans la peur totale. Cette année les témoignages ont augmenté mais ce n’est pas le cas en France.

Quels ont été les pays les plus actifs dans la lutte pour le droit des Ouïghours ?

Il existe deux pôles pour la cause : les États-Unis, et l’Europe, centrée sur la France. Le pays le plus actif reste les États-Unis car ils ont agi concrètement. Dans la guerre économique avec la Chine, les USA profitent de la question ouïghoure.

Ils ont voté une loi pour la protection des Ouïghours, ils ont aussi sanctionné administrativement et financièrement une trentaine d’entités chinoises qui sont impliquées dans le génocide ainsi que quatre individus considérés responsables des camps de concentration.

En France, c’est la mobilisation populaire qui a poussé le gouvernement et les politiques à réagir. La jeunesse a été essentielle à la visibilité de la cause. De ce point de vue, ce que nous avons réalisé en France est plus fort. Le Parlement européen a adopté une résolution d’urgence contre le travail forcé. J’ai réussi à créer un collectif de solidarité avec les Ouïghours à l’Assemblée nationale qui compte 55 députés des sensibilités de gauche.

La charte de solidarité avec les Ouïghours proposée aux partis politiques et aux maires : seules six formations politiques de gauche l’ont signée. Je pense que c’est une question de courage politique. 

Concernant la charte de solidarité avec les Ouïghours proposée aux partis politiques et aux maires, seules six formations politiques de gauche l’ont signée. Je pense que c’est une question de courage politique. Cependant, une dizaine de villes comme Marseille ou Clermont-Ferrand ont signé la charte de solidarité des maires. Cela reste une victoire.

À l’international, le Canada a reconnu le caractère génocidaire de cette répression. En Angleterre, il y a eu la création du Uyghur Tribunal qui juge officieusement la Chine. L’IPAC (l’Institut pour l’Analyse Politique des Conflits) a soutenu l’initiative des ONG Ouïghours dans leur requête adressée à la Cour Internationale de Justice d’enquêter sur ce génocide commis par la Chine.

2020 a été une année de mobilisation de l’opinion publique en France pour de nombreuses causes. Comment les citoyens français ont-t-il contribué à défendre le droit des Ouïghours ?

Le travail collectif avec l’équipe de Raphaël Glucksmann, nous a permis de mobiliser les jeunes qui ont été centraux dans la défense des droits des Ouïghours. En octobre, des jeunes ont distribué des tracts et diffusé des informations sur les réseaux sociaux. Ils ont également participé aux hashtags sur Twitter. Ils ont massivement participé à l’interpellation de plusieurs patrons des 83 marques incriminées.

Nous avons obtenu une certaine victoire, notamment avec Adidas, Lacoste ou H&M. 

Nous avons obtenu une certaine victoire, notamment avec Adidas, Lacoste ou H&M. Sur Instagram, ils ont interpellé leurs élus et d’autres ont organisé des conférences. De nombreux youtubeurs et influenceurs ont fait des vidéos pour sensibiliser. Avec les carrés bleus qui ont recouvert les réseaux sociaux dès le premier octobre, les stars ont aussi plus ou moins participé.

Les Jeunes pour le climat avaient lancé leur action de sensibilisation « Étiquettes ». Ils ont participé à la dénonciation du partenariat entre le Val d’Oise et la marque Huawei. Nous avons réussi à faire annuler ce partenariat. Après ma tribune dans Le Monde, les féministes, le mouvement des jeunes féministes et les colleuses de rue nous ont également soutenu publiquement.

Le footballeur Antoine Griezmann nous a soutenu en rompant son contrat avec Huawei, directement liée au génocide. Ça a été une énorme victoire.

Dernièrement nous avons vu la participation active de personnalités comme Médine qui a consacré une chanson aux Ouïghours. Le footballeur Antoine Griezmann nous a soutenu en rompant son contrat avec Huawei, directement liée au génocide. Ça a été une énorme victoire. Tous ces individus connus ou anonymes ont contribué à la cause ouïghoure en France.

La Chine étant un leader dans la production de quasiment tous les produits commercialisés, diriez-vous que la catégorie des consommateurs est difficile à mobiliser ? Comment la France se positionne-t-elle vis-à-vis de la Chine sur cette question économique ?

Il n’est pas facile de boycotter 83 marques qu’on utilise au quotidien. Ça concerne presque toute notre vie. C’est horrible car nous sommes dépendants, sans le vouloir on contribue au génocide. Cette prise de conscience est importante car non seulement on arrête de collaborer en consommant, mais aussi on développe l’économie locale, le made in France. Ça ne bouge pas beaucoup, certes, mais surtout du côté politique pour moi. Nous avons mobilisé les gens, notamment les jeunes qui sont de bonne foi, cependant on ne peut pas en dire autant du côté du pouvoir.

Avec le traité d’investissement entre l’Europe et la Chine, ce sont des produits chinois qui vont envahir l’Europe, et produits chinois signifie esclavagisme des Ouïghours. 

Au départ la France était opposée au traité d’investissement entre l’Europe et la Chine et ne souhaitait pas voter en raison des questions de travail forcé des Ouïghours. Deux jours plus tard, on apprend qu’en réalité la France avait ouvert la voie pour la signature. Il n’y a pas de mot pour décrire ça.

Ça veut dire que l’Europe a donné une ouverture, une carte verte à la Chine en disant :  “vas-y fonce, nous aussi on en profite”. Ce sont des produits chinois qui vont envahir l’Europe, et produits chinois signifie esclavagisme des Ouïghours. Ils pensent uniquement au profit. Ils se moquent royalement de ces millions de torturés. Ce ne sont ni leurs familles, ni leurs proches, ni leurs coreligionnaires.

En 2019, vous lanciez un message aux musulmans en écrivant une tribune « Je ne vous souhaite pas un bon ramadan« , est-ce que ce rapport a changé en 2020?

Lorsque j’ai écrit cette tribune c’était le sommet de l’immondice des représentants du monde musulman. J’étais convaincue qu’en 2019 ou 2020, les Ouïghours allaient abandonner massivement l’islam aussi car leurs coreligionnaires ont collaboré ou soutenu la Chine. Y compris des musulmans français. Après mes interviews, je voyais des réactions de commentaires avec des pseudos à consonance musulmane qui qualifiaient mes propos de mensonge. Ils parlaient d’une machination de l’occident jaloux, car la Chine serait un allié des musulmans.

Ça a pris du temps pour que les gens cessent de collaborer mentalement.

Ce n’est que récemment que les populations musulmanes ont changé de camp, et Dieu merci. Fin 2019, des documents confidentiels chinois ont été révélés. On commençait à avoir plus de rescapés et des chercheurs ont publié d’autres études. Ça a pris du temps pour que les gens cessent de collaborer mentalement.

Suite aux caricatures de Charlie Hebdo, le monde musulman hanté par la forme et l’apparence, s’est attaqué à la France et ses produits. C’était facile car les retombées ont été faibles. Se sont-ils attaqués à la Chine où l’humiliation du Coran est du pain quotidien ? Au moindre incident sur le Prophète dans les pays occidentaux, ils réagissent. Mais les portraits du Prophète dans les films et séries chinoises ne posent aucun problème. Il y a un deux poids deux mesures.

Quelles sont les prochaines actions à venir ?

Premièrement nous devons tout faire pour bloquer le traité d’investissement entre l’Europe et la Chine. Deuxièmement, nous devons stopper Huawei qui a implanté sa toute première usine à l’étranger en Alsace, à proximité d’un site de la branche renseignement de l’Armée de terre française.

Nous allons continuer l’attaque contre les entreprises incriminées et avancer au niveau législatif à l’Assemblée Nationale.

C’est absolument scandaleux car Huawei a participé à la reconnaissance faciale et raciale des Ouïghours. L’entreprise a élaboré la surveillance des masses et des camps. C’est une entreprise génocidaire qui ne devrait même pas pouvoir entrer en Europe. Mais nos dirigeants ont laissé cette entreprise d’espionnage de haute technologie, s’implanter à côté de renseignements militaires français.

Et puis nous allons continuer l’attaque contre les entreprises incriminées et avancer au niveau législatif à l’Assemblée Nationale. Enfin, nous sommes en discussion avec la mairie de Paris pour que l’Institut ouïghour puisse avoir un local afin de débuter nos activités.

Le bilan de 2020 peut paraître mitigé pour le sort des Ouïghours et sa médiatisation. Qu’espérez-vous pour 2021?

J’espère que 2021 sera la fin des camps et qu’on va parler de la responsabilité de la Chine devant la Cour internationale de Justice. Je souhaite la fin de l’esclavagisme, et la levée de toute cette société orwellienne de la surveillance.

Chaque citoyen ordinaire peut faire quelque chose.

Chaque citoyen ordinaire peut faire quelque chose. La première est d’écouter, de diffuser et de partager les témoignages pour lesquels les Ouïghours jouent leurs vies et celles de leurs familles. Ensuite c’est d’écrire massivement aux députés pour leur faire signer le traité de solidarité et aux élus municipaux afin qu’ils signent la charte de solidarité des maires.

Il faut déjà que le régime change. Il est dangereux pour la population chinoise mais aussi pour le monde entier à qui la Chine vend son modèle dictatorial.

Lila Abdelkader

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