« Por favor, se ruega cerrar la puerta de entrada… Gracias por su colaboración ». Nous voilà prévenus dès la porte d’entrée : nous pénétrons en terres espagnoles. Littéralement, étant donné que les immeubles et le terrain de Hogar de los Españoles appartiennent à l’ambassade espagnole. Organisé jusqu’en 1980 par des curés missionnaires, le foyer a joué un rôle très important lors des différentes vagues migratoires venues de la péninsule ibérique.

Le véritable essor de la communauté débuta avec la guerre de 1914-1918, quand de nombreuses usines de la zone adaptèrent leur production à la Défense et envoyèrent des recruteurs sillonner les campagnes les plus pauvres d’Espagne à la recherche d’une main d’œuvre essentiellement masculine. Puis au fil des années 1920 et 1930 les familles vinrent rejoindre les ouvriers et s’installèrent durablement en créant une véritable colonie espagnole qui prit le nom de « Petite Espagne ».

Les ouvriers et leurs familles firent face à d’importants problèmes de logements et à des conditions de travail éprouvantes. C’est dans ce contexte, qu’en 1913, des moines missionnaires installèrent un « Patronage » à La Plaine (Saint-Denis) qui se fit exclusivement par des dons privés et sans aucun apport financier de l’Etat Espagnol. Les frères clarétains étaient chargés de l’encadrement des activités du Patronage qui étaient composés d’une église, d’un théâtre et d’un dispensaire médical.

Un ancien me raconte qu’étant jeune, il venait se faire soigner par les ecclésiastiques. Lui et sa famille sont des habitués du foyer. Descendant d’un père d’origine espagnol né en France (Saint-Ouen), il vit le jour en Espagne alors que sa fille naîtra sur le sol français et son petit-fils en Espagne. Ce type de trajectoires familiales reflète l’attachement profond que conservent les membres du foyer pour leur terre d’origine. Le quartier a beaucoup changé depuis les années 1980. Les ouvriers sont partis lorsque les usines ont cessé de tourner. La population d’immigrés a changé. Le quartier a vu réapparaitre des sortes de bidonvilles habitées principalement par les communautés Roms et africaines.

Mais malgré le déclin économique, et alors que certains membres sont au chômage, le foyer reste un espace d’échange dont les membres ne tarissent pas d’éloge. « Il y a le bar, les tapas, puis le coiffeur pour les anciens, le dimanche », autant d’activités permettant aux espagnols de rester en contact. Le restaurant ouvre ses portes le week end et propose des plats différents chaque semaine, à un prix vraiment attractif. De la paëlla, au jambon serrano en passant par la tortilla et autres tapas, l’immersion en Espagne est totale.

La cour du foyer résonne d’ailleurs des accents andalous, galicien et castellan : aujourd’hui c’est l’assemblée générale annuelle.  Une fois par an l’association auto gérée tient ses comptes qui se révèlent positifs cette année et ce grâce aux cotisations des membres, aux petites aides du gouvernement espagnol et aux classes de danse et de guitare du foyer. Mais alors que je discute avec des membres, des coups sourds retiennent mon attention. Ils semblent venir du plus petit bâtiment de la cour.

Sur cette porte qui ne paye pas de mine,  une affiche stipule « Entrée interdite aux parents ». Alors que je commence à comprendre, les coups reprennent, plus secs, plus rythmés, et soudain une voix s’élèvent. « Uno, dos, tres ». Les coups s’arrêtent. « ¡ Gracias ! »… Le cours de flamenco touche à sa fin. La porte s’ouvre et l’on entraperçoit les danseuses, toutes vêtues de froufrous sévillans et portant le célèbre châle espagnol sur leurs épaules. C’est alors qu’arrive un vieux monsieur appuyé sur une sorte de canne, suivi de près par un jeune guitariste. Les deux hommes prennent position et les doigts du cadet commencent à danser sur les cordes. Les danseuses ne peuvent refuser l’invitation langoureusement lancée par el abuelo , qui du haut de ses nombreux hivers fait vibrer une magnifique sévillane.

La ronde reprend de plus belle et m’hypnotise pour de bon, les robes volent, les bras s’entremêlent, les talons frappent le sol et les femmes se dressent de toute leur hauteur, emprisonnant les regards par la danse hypnotique de leurs mains. L’assemblée accompagne la danse, rythmant la sévillane de leur main, recréant cette ambiance si particulière qui m’avait tant marqué lors de mes séjours dans le village de ma famille.

Soudain la chanson se finit sur une ultime rumba claquée par le jeune guitariste et déjà l’heure de partir arrive. Les images de mon village andalou disparaissent peu à peu de ma mémoire et la réalité finit par s’imposer de nouveau à moi. Mais le père d’une des danseuses me révèle que « ceci n’est qu’un aperçu de ce qui va se passer vendredi ».  Alors l’huile d’olive de Jaen et les échos des bulerías (genre flamenco) reviennent en force aux portes de mon imagination. Je repars songeur, sans avoir oublié de noter que le foyer  accueillera ce vendredi 26 juin, différents groupes du festival latino-andalou qui accompagneront les danseuses pour nous immerger de nouveau en terres andalouses, terres sauvages, terres d’amour, de haine, de douleur et de joie.

Tormentos son de mi vida
tus ojos color acero
sin ellos no viviría
y si me miran me muero.
Mi corazón te maldice
y luego se echa a llorar
y en sus lamentos me dice
(La Paquera de Jerez – La Luz de tus Ojos Grises)

Rémi Hattinguais

Pour en savoir plus : El hogar de los españoles

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