À l’image de la nymphe à laquelle il emprunte son nom, le robot Epione vient soulager les maux. Ceux de patients atteints du cancer du foie. Alors que cette maladie touche plus de 8 000 nouvelles personnes chaque année selon l’Institut Curie, son traitement peut désormais se faire de manière plus précoce et moins invasive grâce à la technologie développée par Bertin Nahum.

En 2017, Bertin crée la start-up Quantum Surgical pour développer le robot dont la précision résorbe les tumeurs au moyen d’une aiguille, sans incision. Depuis, Epione assiste avec succès les chirurgiens, à l’Institut de cancérologie Gustave-Roussy et au Centre hospitalier universitaire de Montpellier. Innovation majeure, le système robotique vaut à l’ingénieur de 53 ans de recevoir en octobre dernier le prix Galien USA, le plus prestigieux du secteur, l’équivalent d’un Nobel. Une reconnaissance internationale pour ce Franco-Béninois, né au Sénégal.

Une enfance en banlieue de Lyon

Bertin arrive en France à un an et grandi en région lyonnaise avec ses sept frères et ses sœurs. Élevé par un père gérant d’une épicerie et une mère au foyer, il se retrouve orphelin à quatorze ans. Il réside alors en foyer. « Ma vie n’a pas été un long fleuve tranquille, concède Bertin. Mais je ne regarde pas vers le passé. Ce n’est pas dans ma personnalité. Je me tourne vers l’avant. » À dix-huit ans et un bac scientifique en poche, il applique déjà ce principe : il se lance dans des études secondaires en tant qu’élève boursier et intègre l’IUT de Grenoble.

Je comprends qu’en tant qu’ingénieur, je peux aider les patients à être soignés

Deux ans plus tard, il traverse la Manche pour suivre le programme Erasmus à l’université de Coventry. Il y découvre la robotique médicale. « C’est une révélation. Jusque-là, je n’étais pas inspiré. Mon parcours était sinueux et je faisais des études par défaut. Mais, pour un projet d’études, j’effectue une première immersion dans le secteur de la santé et je comprends qu’en tant qu’ingénieur, je peux aider les patients à être soignés. »

Entreprendre : une nécessité

De retour en France, Bertin termine son cursus à l’Institut national des sciences appliquées de Lyon et devient salarié. Mais il ne tarde pas à être confronté à une évidence : il doit entreprendre. « J’étais sur le terrain, au contact des équipes médicales, et je voyais leurs besoins. C’est comme ça qu’une idée m’est venue. À l’époque, j’en ai parlé avec mon responsable, mais j’ai compris qu’elle ne se concrétiserait pas dans ce cadre. Alors, j’ai pris un risque et j’ai quitté mon poste. Je devais aller au bout de ce en quoi je croyais, le faire pour moi et pour ne pas avoir de regrets. »

Le bonheur, ce n’est pas d’atteindre le haut de la montagne, si tant est qu’il y en ait un. Le but est dans le chemin

Nous sommes en 2002. Sa première start-up MedTech voit le jour et, avec elle, son premier robot, Brigit, pour la chirurgie du genou. Ensuite vient Rosa, utilisé par les neurochirurgiens à travers le monde entier. Une aventure de 14 ans qui prend fin lorsqu’il vend son entreprise au groupe américain Zimmer Biomet pour… 164 millions d’euros.

« Le bonheur, ce n’est pas d’atteindre le haut de la montagne, si tant est qu’il y en ait un, relativise l’ingénieur, les yeux de pétillants de fierté, mais aussi de sagesse. Le but est dans le chemin, dans ce qu’on fait au quotidien. Ce qui me reste en mémoire, ce sont des choses anecdotiques, comme remplir des caisses à deux heures du mat’ ! C’est l’aventure humaine et collective avec les personnes de MedTech… Les bons moments qui valent d’être vécus. »

Le cerveau toujours en ébullition, Bertin ne se repose pas sur ses lauriers et crée dans la foulée Quantum Surgical. Aujourd’hui, face au succès de son robot Epione, l’entrepreneur s’apprête à quitter Montpellier où il réside. Dans quelques mois, il s’installera aux États-Unis avec sa famille. « Nous y avons déjà passé deux ans pour la commercialisation de MedTech. Je suis un citoyen du monde. Comme je suis de plusieurs cultures, je suis un étranger partout… et nulle part ! Ça peut être vécu comme une faiblesse, mais aussi comme une force. Quand j’étais aux États-Unis, je me suis aperçu que le racisme est souvent plus culturel qu’ethnique. On ne me considère ni comme un Noir, ni comme un Blanc. Plus que la couleur de peau, ce sont les codes, les langages qui nous séparent. »

Le Bénin en héritage

Pour Bertin, si ses origines et son parcours n’ont pas toujours facilité son ascension, ils ont parfois pu être un atout : « Les gens me remarquent et je pense que mon histoire a participé à ce que l’introduction boursière de Medtech en 2013 batte tous les records. »

Aujourd’hui père de quatre enfants, Bertin s’attache à leur transmettre la culture béninoise dont il a été coupé suite au décès précoce de ses parents. « Je n’ai pas eu la chance d’avoir cette transmission. Il a d’abord fallu que je découvre moi-même le Bénin en y allant. Pour mes enfants. » Car malgré sa réussite, Bertin garde la tête froide et ne se perd pas en chemin. Il n’oublie pas d’où il vient, ni les personnes qui ont croisé sa route : « J’ai toujours mes amis d’enfance, ceux que j’ai rencontrés à l’orphelinat. Ils sont ma boussole, présents pour me confirmer que je ne change pas. »

Nora Kajjiou

Crédit Photo : Mario Sinistaj

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