Samedi 19 mai, milieu de matinée. On allait oublier Bernard Susini, le candidat de l’UMP. Il apparaît, Corse à la fois humble et étincelant, au marché de L’Estaque, village côtier où les chichis, délicieux beignets, s’accrochent à nos souvenirs mieux que la reproduction d’un tableau de Cézanne logé dans l’église. Adjoint au maire de Marseille, chargé du contrôle de la politique de la ville, Susini est donné perdant dans sa conquête de la 4ème circonscription. Le résultat réalisé ici par Ségolène Royal au second tour de la présidentielle, près de 58% des voix, plaide, selon « La Provence », le quotidien local, en faveur du sortant, le communiste Frédéric Dutoit. Jacques Lalain, qui suit Bernard Susini dans sa tournée électorale, veut croire que « la division de la gauche, qui part à trois », permettra à son candidat de sortir en tête au premier tour. Tiens, voilà Dutoit. A L’Estaque également, avec son jeune suppléant, Nabil Kadri. « Grâce à lui, j’aurai le vote des femmes », plaisante le communiste. Qui ne perd pas le nord : il a placé Kadri sur ses affiches de campagne. Méthode somme toute habile pour pêcher des voix chez les électeurs « algériens ». 

Marié, père d’un petit garçon, le suppléant de Frédéric Dutoit est né à Taberdga, dans les Aurès. « C’est ma grand-mère qui m’a sorti du ventre de ma mère », dit-il comme pour souligner la singularité du chemin parcouru jusqu’ici. De sa famille, nombreuse, il est le seul à avoir obtenu la nationalité française. Bientôt midi. J’ai rendez-vous avec Slimane Azzoug, le candidat centriste, pour l’heure fidèle à François Bayrou. Cet homme de 50 ans, d’origine kabyle, décoré de la légion d’honneur, a fait fortune dans le commerce de la viande et les échanges franco-maghrébins. Les boucheries Slimani, à Marseille, dont son beau-frère a la charge, lui appartiennent à raison de 50%. Slimane Azzoug a un physique de boxeur, tout en nerfs et en muscles. Une tête sympa et des yeux qui voient tout. Il a installé son QG dans la villa Angèle, une belle demeure avec portique à colonnades, où « Fernandel recevait ses maîtresses », assure Armand, son directeur de campagne.

L’endroit, situé dans la zone portuaire, sent le frais et l’aisance. Avec Karim Zeribi, qui se présente sous l’étiquette de la Nouvelle Gauche, il est l’un des deux candidats de la diversité à convoiter la 4ème circonscription de Marseille. « Karim Zeribi, dit Slimane Azzoug, c’est quelqu’un d’Avignon, qui a fait des tentatives là-bas, mais qui n’a pas réussi. A l’opposé, c’est un bon orateur pour les Grandes Gueules sur RMC. » Après ces menues vacheries, le centriste opère un rééquilibrage: « Il a été trahi par le PS, qui aurait dû l’investir pour les législatives à Marseille. » On quitte en voiture la villa Angèle pour le Marché du soleil, un souk du 3ème arrondissement, près de la porte d’Aix. Ici, c’est l’Algérie. C’est donc Marseille. Nadia Azzoug accompagne son mari dans sa visite aux commerçants. L’ancien boucher sait s’adapter à la clientèle électorale. Celle du Marché du soleil est attachée à l’honneur. Il lui parlera d’honneur. Dans un haut-parleur que porte à ses côtés un membre de sa campagne, il passe d’échoppe en échoppe. « C’est mon nom, mon histoire et le nom de ma famille que je mets dans cette élection », dit-il à un vendeur. « Je ne sais pas si vous connaissez Azzoug, l’aïd, les moutons Slimani », s’enquiert-il auprès d’un autre. « Bonjour, el Hadja, les jeunes, il faut les mobiliser les 10 et 17 juin », insiste-t-il face à une marchande dont l’âge respectable indique qu’elle a pu faire le pèlerinage de La Mecque. Quelques mots d’arabe par-ci, « assalam aleikoum » par-là, et le tour paraît joué.

Il doit être 14 heures. J’appelle Karim Zeribi. Il décroche enfin. Je le rejoins au café de la Douane, boulevard de Strasbourg, à deux pas du Marché du soleil. Il y a là Mélissa, une jeune femme de son équipe, qui a milité pour Ségolène Royal durant la présidentielle. Elle porte aujourd’hui le tee-shirt bleu des supporteurs de Zeribi, marqué du slogan « Rien ne se fera sans vous ». Elle a rallié le candidat de la Nouvelle Gauche plutôt que celui investi par les socialistes marseillais, Henri Jibrayel, qui ne lui convient pas. Cette infidélité n’a pas plus au PS local. « Un jour, on m’appelle pour m’indiquer de me rendre d’urgence à la mairie de la Major, rapporte-t-elle. J’y vais donc sans savoir de quoi il s’agit. Vous faites campagne avec qui ? me demande une personne de la mairie. « Avec Zeribi », dis-je. « Non », me répond-elle, « vous faites campagne avec Jibrayel ». « Sur ce, je ne me laisse pas démonter, je prends un stylo rouge, je barre le nom de Jibrayel que j’étais censée soutenir et à la place, j’écris celui de Karim Zeribi. Le 10 juin, je tiendrai le bureau de vote, on verra bien ce que les partisans de Jibrayel diront. »

Le convoi de Zeribi – Jean-François, Bruno, Yassine, Roland, Rosetta, Mélissa et les autres – se met en route. Direction un vide-grenier de l’Estaque, où des particuliers écoulent le rebut de leurs armoires. Karim Zeribi serre des mains et tape la discute. Une dame, accompagnée de sa belle-fille et de sa petite-fille, affirme que chez elle, toute la famille vote à gauche. Elle a un faible pour Henri Jibrayel: « Il a fait beaucoup pour l’Estaque. Il aide beaucoup les vieux », dit-elle. Puis, à propos du candidat Zeribi à qui elle vient de parler, elle demande, intriguée : « Il est algérien, non ? ». Et d’ajouter: « Mais je ne suis pas raciste. »

Antoine Menusier

Antoine Menusier

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