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Une bretelle d’autoroute, un gymnase et un parking. Mais derrière cette apparence de zone industrielle se cache en réalité 1,3 hectars de terre agricole. Un vaste terrain occupé par la Ferme des Possibles.

C’est ici, dans cette ferme urbaine et solidaire, que Laurence Tubiana a choisi de se déplacer pour la première fois depuis que son nom a été suggéré au poste de Première ministre par une partie du Nouveau Front Populaire (NFP). Au cœur de la ville de Stains et de toutes ses fonctionnalités, coincée entre une zone pavillonnaire, le lycée Maurice-Utrillo et la clinique de l’Estrée. La gare Stains-Pierrefitte se trouve, quant à elle, à seulement quelques minutes à pied. Le projet ? « Comment construire un îlot de nature et de nourriture au cœur de la ville, dans nos quartiers populaires », raconte Mohamed Gnabaly, cofondateur de la coopérative.

Les quartiers se mettent au vert

Cette exploitation agricole est bâtie et entretenue à 100% par des personnes en situation de déficience mentale et/ou de handicap : « L’idée, c’est aussi comment faire en sorte que ce projet génère des emplois pour les plus vulnérables », complète fièrement celui qui est aussi le maire de l’Île-Saint-Denis. Au total, la ferme compte dans ses rangs 60 collaborateurs « de la graine à l’assiette », à la fois agriculteur, restaurateur, maraîchers, ou encore soigneurs animaliers. Pendant près d’une heure, Mohamed Gnabaly troque sa casquette de cofondateur pour celle de guide. Au programme : les quelques poneys, lapins et poules accueillent les visiteurs curieux. Balade au milieu des arbres et des serres, présentation des fruits et plantations maraîchères. Mais aussi, des activités proposées par la coopérative. Avec toujours les mêmes trois mots d’ordre : local, durable et solidaire.

Dans les cités, on se retrouve souvent face à des bâtiments où il n’y a pas beaucoup de végétation

« C’est géant dis donc, c’est vraiment super » s’émerveille Laurence Tubiana, accompagnée par quelques associés. Une admiration pour ce lieu, partagée par des jeunes des quartiers populaires des villes alentours, également invités à prendre part à la visite. « Voir cette ferme, de beaux paysages, ça change totalement », se réjouit Benjamin, 17 ans. Des paysages riches en verdure auxquels certains d’entre eux sont peu confrontés dans leur quotidien : « Dans les cités, on se retrouve souvent face à des bâtiments où il n’y a pas beaucoup de végétation. Le fait qu’il y ait un espace où il y a des animaux, et le fait d’engager des personnes en situation de handicap, ça fait plaisir », ajoute-t-il, le sourire aux lèvres.

Déconstruire des préjugés

Autre enjeu de cette visite, déconstruire de vieux stéréotypes opposants quartiers et questions écologiques : « Le fait qu’on se dise dans l’imaginaire collectif que ce n’est pas un endroit [la ferme] pour nous à la base, et qu’on soit quand même là, c’est ça qui est bien », reconnaît Rajim, engagé dans la lutte pour l’environnement sur son territoire. « On est aussi légitime que les autres à être dans des endroits comme ça, proche des animaux. Cité, pas cité, banlieue, pas banlieue, Paris, pas Paris. On est tous ici de la nature au final », rebondit instinctivement Benjamin.

Cité, pas cité, banlieue, pas banlieue, Paris, pas Paris. On est tous issus de la nature au final

Pourtant, les habitants et habitantes des quartiers populaires sont eux aussi confrontés à des problématiques liées à leurs propres territoires : « Sur les sujets écologiques, les quartiers, on est en ligne de front. Bagnolet, c’est la ville la plus polluée du 93. Tu sors du métro, tu as la A86 directement derrière toi, c’est pas ouf », alarme Luka, aussi engagé dans plusieurs organisations. Si elle [Laurence Tubiana] est venue, c’est parce qu’elle avait envie d’être là. Se déplacer, c’est une preuve de respect et d’envie. »

Associer systématiquement la lutte environnementale aux plus « riches », et en exclure les classes populaires, ne serait finalement que bénéfique pour l’opposition. Avec en tête de file, le Rassemblement national. « Comme d’habitude en politique, on instrumentalise pour séparer. Moi, mon cœur de conviction, c’est vraiment la transformation écologique avec les gens, pas contre les gens, ne pas les monter les uns contre les autres », s’agace Laurence Tubiana.

La femme de 73 ans considère l’écologie comme un élément central pour accéder à une meilleure justice sociale : « Qui est-ce qui se paye la pollution dans les quartiers ? Qui est-ce qui, quand il y a des vagues de chaleur, ne peut pas mettre de clim ? Qui est-ce qui fait que finalement tu ne peux pas avoir de la nourriture de qualité parce que la culture bio c’est trop cher ? Ça, c’est mon combat, et c’est pour ça que j’ai refusé d’aller dans des gouvernements », poursuit-elle.

Une tribune au cœur des polémiques

« Ce n’est quand même pas très chouette toutes ces histoires politiques. C’est bien de voir ce que les gens vivent », se confie la diplomate du climat, en route pour la visite intérieure du site. Au moment de l’interroger sur les raisons de sa venue, l’économiste fond en larme : « C’est l’énergie qu’il y a dans le lieu. Je trouve que la belle politique, c’est ça. Il faut sortir, aller sur le terrain. La politique, c’est aussi là où sont les gens. Je suis venue là parce que j’avais besoin de ça pour me rebooster »

Depuis plusieurs jours, Laurence Tubiana est au cœur de plusieurs polémiques. Soumise par les Écologistes, le Parti socialiste et et le Parti communiste au poste de Première ministre, la France Insoumise (LFI) s’est formellement opposée à cette proposition. En cause, une tribune cosignée par la concernée, encourageant le Nouveau Front Populaire à « tendre la main aux autres acteurs du front républicain pour discuter d’un programme d’urgence républicaine et d’un gouvernement ». Selon Manuel Bompard, coordinateur de LFI, cette proposition reviendrait à « faire rentrer par la fenêtre les macronistes chassés par les électeurs et les électrices ». 

« J’ai signé cette tribune pour leur dire de prendre leur responsabilité, pour leur dire “dépêchez vous”», se défend Laurence Tubiana, le programme du  Nouveau Front Populaire plié en deux, sur la table en face d’elle. Malgré un Front républicain en réussite pour faire barrage à l’extrême droite, la majorité relative remportée par le NFP ne serait pas suffisante pour gouverner le pays à eux seuls : « Si vous voulez faire des choses importantes pour les gens, augmenter le SMIC, bloquer la réforme des retraites etc, il va falloir faire des lois. Et les lois, ça se vote. Dans un gouvernement de gauche, il faudra bien trouver des majorités pour faire passer ces éléments », admet-elle, convaincue. Sa « proximité » avec Emmanuel Macron, ce dont l’accusent les insoumis, lui est aussi grandement reproché. Une ambiguïté niée en bloc par l’économiste : « J’ai refusé quatre fois de rentrer dans ce gouvernement exactement parce que je savais pourquoi il fallait refuser », rapporte-t-elle.

« La politique c’est aller sur le terrain »

Depuis les résultats du second tour des élections législatives, les électeurs et électrices attendent encore, impatiemment, que la gauche s’organise. Laurence Tubiana se dit « prête à y aller » [au poste de Première ministre] pour ne pas laisser sa place à « ceux qui n’ont pas l’intention de faire quelque chose de bien pour le collectif ». Et l’économiste compte bien suggérer cette intention à l’ensemble des députés du NFP, y compris les insoumis : « J’ai envoyé un message à Manuel Bompard, Eric Coquerel et Mathilde Panot. Je leur ai dit, “si vous voulez discuter, je suis là”. Pour le moment, ils n’ont pas donné suite », révèle-t-elle.

« Il est important de savoir pourquoi tu fais de la politique, pourquoi tu es là ». A priori, c’est ce qui a motivé Laurence Tubiana à visiter la Ferme des Possibles ce jeudi 18 juillet. Un déplacement qui n’est pas resté inaperçu auprès des acteurs locaux : « La politique c’est aller sur le terrain, au contact humain, à la compréhension du territoire, des enjeux et de comment ça fonctionne. C’est ce qui permet de réfléchir à quelle politique publique mettre en place », rappelle Mohamed Gnabaly, cofondateur de la Ferme. Une déduction logique pour un acteur de terrain, moins évidente côté politique.

Coralie Chovino

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