Beaucoup de jeunes filles de mon âge ont compris qu’elles appartenaient au sexe féminin quand elles ont eu leurs premières règles ou quand elles ont commencé à fréquenter des garçons. Mais pour moi c’était différent, tout autre chose même.

J’ai compris que j’étais une fille quand l’une d’entre nous se plaignait de douleurs quelles qu’elles soient, on croyait presque automatiquement qu’elle avait forcément ses règles.

On me faisait comprendre que j’étais une fille quand avoir de bonnes notes et être sage était considéré comme banal pour « nous ». Et qu’au contraire si un garçon avait les mêmes comportements d’élèves plutôt studieux, et qu’en plus de ça il se révélait introverti, c’était étrangement beaucoup plus félicité et remarqué par les professeurs, ou bizarre pour certains. La plupart du temps ils étaient qualifiés de « bouffon », « bolosse » ou « d’intello ».

On m’a fait comprendre que j’étais une fille quand, dans la cour de récréation si tu jouais au foot, on ne te ferait jamais la passe ou rarement car c’est bien connu, les filles c’est nul au foot. Malgré les grands signes de mains et les hurlements de leurs prénoms, les garçons ne me feront jamais la passe. Quitte à perdre le match parfois. Et ce cliché à continué de me suivre jusqu’au collège. « Eh gros tu es sérieux tu te fais tacler par une fille, la honte », « non mais c’est normal si vous avez perdu, vous êtes des filles t’façon », « non mais fait doucement quand tu joues, c’est une fille ».

Il y avait un facteur clé sur lequel les gens aimaient bien s’arrêter : ma couleur de peau.

Ce statut de fillette s’était collé à ma peau. Tellement que j’ai eu du mal (encore aujourd’hui) à m’en défaire. Cette manie insupportable, dès que quelque chose devenait trop physique, de me réduire qu’à mon genre, ma féminité, la chose la plus voyante de ma personne à laquelle ils s’attachent pour me comparer à eux, (les garçons ) et se rassurer dans leurs egos de mâle.

En grandissant j’ai aussi compris que j’étais une fille quand l’une d’entre nous se plaignait de douleurs quelles qu’elles soient, on croyait presque automatiquement qu’elle avait forcément ses règles.

Mais j’ai aussi vite compris que le fait d’être une fille n’était pas le seul problème pour certains. Quand j’ai commencé à prendre conscience de mon corps et de ses caractéristiques, il y avait un facteur clé sur lequel les gens aimaient bien s’arrêter : ma couleur de peau. Je suis noire, et quand on voulait me comparer aux autres filles de mon âge ou de ma couleur, les remarques que je prenais étaient très ciblées sur ma nuance de carnation plus que sur la couleur en elle-même.

Trop noire pour certains, trop claire pour d’autres

On m’a fait comprendre que j’étais noire, mais pas assez, quand on comparait sans cesse ma couleur de peau à celle de ma sœur par exemple. Depuis qu’on a commencé à aller à l’école. Des remarques répétitives et gênantes pour nous qui n’avions même pas encore pris conscience de nos couleurs de peau. « Pourquoi tu es claire et ta sœur elle est foncée ? C’est bizarre », « Vous avez vraiment la même mère et le même père ? ». Ces phrases tellement entendues que je ne compte même plus le nombre de fois où on me les a dites. La plupart du temps je ne répondais pas, ne sachant pas quoi répondre à des remarques aussi stupides selon moi.

On m’a faite comprendre que j’étais noire, mais pas assez, même à l’étranger quand ma sœur et moi passons nos vacances d’été au Mali. Certaines personnes en nous voyant, aimaient nous caractériser avec le terme « fima ni jeman », qui veut dire « noire et blanc » en bambara (la langue nationale la plus parlée du Mali). Je ne comprenais rien et ne répondais pas. Je n’ai pris conscience que récemment de ce que cette affirmation voulait dire.  « La noire et la blanche » parce que nos carnations n’étaient pas assez similaires selon eux. Jamais satisfaits de notre ressemblance ou non. Pas assez noire, pas assez blanche.

Quand on éteignait les lumières des salles de classe, on [les camarades de classe] désignait toujours tous les noirs de la classe pour dire qu’on ne les voyait pas

Pour approfondir le sujet sur la couleur de peau, j’ai interrogé une jeune camarade lycéenne (qui a souhaité rester anonyme) sur son enfance en tant que petite fille noire et foncée de peau aussi communément appelée « dark skin ».

Elle me raconte une anecdote qui s’est déroulée lorsqu’elle était encore en primaire entre le CE2 et le CM1. « Un jour, je jouais en bas de chez moi avec des voisines de quartiers, à des jeux comme ‘trois petits chats’, et quand est venu mon tour de jouer avec ma voisine magrébine elle m’a dit : ‘Non ma mère m’a dit que je ne joue pas avec les noirs’. Ce qui d’ailleurs s’était révélé être totalement faux selon elle par la suite. A ce moment-là j’ai ressenti de l’incompréhension totale. Il m’a fallu plusieurs minutes pour réaliser ce qu’elle venait de me dire. Mais je suis rapidement passée
au-dessus. »

Elle poursuit, « quand on éteignait les lumières des salles de classe, on [les camarades de classe] désignait toujours tous les noirs de la classe pour dire qu’on ne les voyait pas, y compris moi du coup, du genre ‘attention on voit plus Fanta’». Elle m’explique que les moqueries sur sa couleur de peau l’atteignaient peu au départ. Beaucoup plus en grandissant.

La découverte du colorisme

J’ai compris que j’étais noire mais toujours pas assez, quand la musique de Keen’V – Elle T’a Maté (Fatoumata) est sortie en novembre 2012. Les jours qui ont suivi, toutes les filles à la peau noire foncée et qui en plus ne s’appelaient pas forcément Fatoumata se faisaient chanter le refrain de la musique toute la journée. Pas moi. J’ai compris que selon les élèves, je n’avais pas les critères pour entrer dans la case d’une « Fatoumata ». C’est ça le colorisme : quand les gens aux tons les plus foncés, sont les plus discriminés. Ma camarade m’avoue en avoir été victime également.

Plus tard, j’ai aussi compris à quel point les paroles de cette chanson étaient problématiques. « Tu as préféré ses seins moins clairs que ceux de ta femme hein, Tu m’as tué, là ! », chantait-il. Ou encore dans ce clip on voit l’homme qui interprète Fatoumata, maquillé vulgairement, rouge à lèvre écarlate, perruque synthétique noire, faux seins et fausses fesses, vêtu d’un dashiki bleu (tunique originaire de l’Afrique de l’Ouest). Une forme de misogynie où la couleur et le genre sont stigmatisés : on appelle cela la mysoginoire.

Dans ce clip, « Fatoumata » se fait plusieurs fois toucher la poitrine et fessée par des figurants. Ces mots et ces images sont profondément gênants, malaisants, insupportables même, à regarder ou à écouter en 2021. Mais pourquoi une réalisation aussi problématique aujourd’hui plaisait tant en 2012 ? Je me pose encore la question.

Le plus important reste aujourd’hui
d’en parler.

Lorsqu’on est une fille et qu’on est noire ou même d’une minorité, notre vécu est différent de l’expérience de beaucoup, le ressenti face à certaines choses aussi. La charge mentale l’est également, souvent supérieure pour certaines, dès notre plus jeune âge.

Mais le plus important reste aujourd’hui d’en parler et de reconnaître que beaucoup de ces situations sont du racisme ordinaire et du sexisme déguisé sous forme de petites remarques enfantine. Pour cela des moyens existent pour redonner confiance aux enfants victime de racisme sur leurs couleurs de peau comme le livre de Tahar Ben Jelloun « Le racisme expliqué à ma fille ». Ou encore les vidéos YouTube, poupées et livres de l’auteur Hashley Auguste « Little Nappy » qui propose les histoires d’une petite fille «Hashley», qui aide les jeunes filles noires à faire face aux remarques racistes et à accepter leurs cheveux crépus.

Enfin rappelons que les personnes qui tiennent ce type de discours et d’actes discriminatoires, peuvent aussi être des personnes elle-même racisées. Et n’oubliez pas qu’il est important de nous éduquer et d’éduquer en retour, pour que ces comportements aussi précoces soient-ils, se terminent.

Kadidiatou Fofana 

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