Mardi 27 juin au matin, Nahel 17 ans, est abattu d’une balle à bout portant pour un refus d’obtempérer à Nanterre. Cette fois, le drame a été filmé par plusieurs témoins. Avant même que la vidéo ne devienne virale, la version des policiers est relayée par la préfecture et certains médias comme Europe 1. « Des sources policières » affirment que le conducteur leur aurait foncé dessus et invoquent la légitime défense.

Les mots sont choisis. La préfecture de police parle de « la mort d’un conducteur suite à un refus d’obtempérer » et affirme que l’adolescent était « connu des services de police pour conduite sans permis et stupéfiants. » Il est à peine 10 heures.

Un syndicat de police désavoué par Darmanin, une première

Comme d’habitude, les syndicats de police saturent l’espace médiatique. Le Syndicat, France Police, avec le très médiatique Bruno Attal, tweete : « Je préfère une racaille morte plutôt qu’un policier mort ». Une publication qui lui vaudra la suspension de son compte et, chose rare, le courroux du ministre de l’Intérieur qui a saisi le procureur de la République en vue d’une dissolution du micro syndicat.

Il est à peine 15 heures et une vidéo vient enrayer la mécanique. Le drame a été filmé par plusieurs témoins et sous plusieurs angles. Les motards qui effectuaient le contrôle n’étaient pas en position de légitime défense, comme ils le prétendent. La vidéo d’une qualité d’image et de son sans précédent pour une telle affaire se répand comme une traînée de poudre.

Une fois de plus, on a le sentiment que dans les quartiers populaires, on peut abattre jeunes, comme ça, que leurs vies ne valent rien

Cette fois, impossible de nier la réalité des faits pour l’institution policière. Dans la soirée, Nanterre s’embrase. Parce qu’une fois de plus, on a le sentiment que dans les quartiers populaires, on peut abattre jeunes, comme ça, que leurs vies ne valent rien.

La colère n’a fait que monter la deuxième nuit après les faits. Les banlieues se sont embrasées. Le parallèle avec les révoltes urbaines de 2005 et la mort de Zyed et Bouna est frappant.

Pour ce qui est des faits en eux-mêmes, rien de nouveau malheureusement. En 2022, 13 personnes sont mortes après avoir reçu des balles dans leur véhicule pour un refus d’obtempérer, un record. Reste que l’on assiste à ce genre de drames depuis plus de 40 ans. Chaque fois, la légitime défense est invoquée comme un totem d’immunité.

Youssef Khaif : 1991, Mantes-la-Jolie

En juin 1991 à Mantes-la-Jolie. Youssef Khaif, 23 ans, est abattu au volant d’une balle dans la nuque par un policier, Pascal Hiblot. Un drame qui intervient alors que le quartier du Val Fourré est en proie à des violences urbaines suite à la mort, quelques jours plus tôt, d’Aïssa Ihich, 17 ans, dans l’enceinte du commissariat.

Les policiers sont déployés dans toute la ville. Une demi-heure avant la mort de Youssef, une policière meurt percutée par la voiture d’un autre jeune du quartier, sous les yeux du policier Pascal Hiblot. Une demi-heure plus tard, il ôtera la vie de Youssef.

Le décès de la policière provoque l’émoi de toute la France. La mort de Youssef Khaif se traduira quant à elle, 10 ans plus tard, par l’acquittement du policier. Si la légitime défense ne peut être établie compte tenu du fait que les tirs sont arrivés par l’arrière du véhicule. La justice parlera d’État de nécessité.

Abdlekader Bouziane : 1997, Dammarie-les-Lys

En décembre 1997, Abdelkader Bouziane, 16 ans, originaire de Dammarie-les-Lys emprunte la voiture de sa mère avec un ami. Pris en chasse par la police, une course poursuite s’engage. Un barrage est posté sur la route de Fontainebleau, alors qu’Abdelkader cherche à l’éviter, il est tué par un tir dans la nuque. S’ensuivront plusieurs nuits d’émeutes dans le quartier de la Plaine du Lys, d’où l’adolescent était originaire.

Gaye Camara : 2018, Champs-sur-Marne

En janvier 2018, Gaye Camara 26 ans, originaire de Champs-sur-Marne est tué par un tir policier alors qu’il démarrait une voiture qu’on lui avait demandé de récupérer à Épinay-sur-Seine.

Dans toutes ces affaires, la liste est non exhaustive (on aurait aussi pu citer les frères Camara sous le pont neuf en avril 2022, Souheil El Khalfaoui à Marseille… et d’autres) la mécanique est identique.

Les auteurs des tirs ont tous invoqué la légitime défense, avec le soutien de l’institution policière. Des versions démenties au bout de plusieurs mois, voire années, par les expertises balistiques ou les enquêtes indépendantes.

Toutes ces victimes ont été criminalisées, voire déshumanisées. Toutes sont de jeunes hommes racisés pour ne pas dire Noirs et arabes qui habitaient dans des quartiers populaires. Tous les policiers incriminés ont bénéficié d’un non-lieu ou d’un acquittement.

Si le meurtre de Nahel n’avait pas été filmé, la version initiale des policiers aurait sans aucun doute fait foi. Il y a deux semaines, Alhousseine Camara a été tué par un policier lors d’un contrôle routier près d’Angoulême. Comme Nahel. Alhousseine se rendait ce matin-là à son travail, il est mort à 19 ans. Cette fois, le drame n’a pas été filmé.

Céline Beaury

Crédit photo : Nnoman 

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