« Montrer au monde ce que la France a de plus beau. » C’est avec ces mots que le compte Twitter de l’équipe de France a présenté le nouveau maillot des Bleus pour la prochaine Coupe du Monde. Sur la publication du compte Instagram Nike Paris, un casting de « BG » pose avec la tunique frappée du coq, faisant voler en éclats les quelques reliquats du folklore français. Aux producteurs de la série « Emily in Paris » : en France, on ne porte plus de béret mais le maillot de Mbappé.

Sport le plus pratiqué en France, le football est aussi le plus populaire. La Fédération Française de Football (FFF) revendique environ 2,2 millions de licenciés. Un chiffre que l’on peut aisément multiplier par 2 en tenant compte des artistes freelance du bitume. C’est rien, c’est la rue. Au quartier, on s’est tous imaginé une carrière de footballeur mais avant la tendinite au bras, il y avait les ligaments croisés.

En toute franchise, avec la perspective de voir Karim Benzema jouer, j’étais davantage concentré à récupérer un boîtier IPTV que de réfléchir à boycotter la compétition. Mais à moins de 2 mois du coup d’envoi, des voix s’élèvent pour protester contre la tenue de l’événement. Les raisons sont légion.

Soupçons de corruption et coût écologique mirobolant

Le Qatar s’est vu confier l’organisation de la Coupe du Monde 2022 en décembre 2010. À la surprise générale, le pays l’emporte face aux Etats-Unis 14 voix à 8. Tout de suite, l’attribution de la compétition à l’Émirat est débattue dans les hautes sphères du ballon rond. Avec des températures frôlant les 50°C en été, la FIFA (Federation International Football Association) décide que la Coupe du Monde 2022 aurait lieu en hiver. Plus que ce point météo, ce sont surtout les soupçons de corruption qui s’immiscent rapidement dans les débats.

Des enquêtes judiciaires sont, en effet, ouvertes en Suisse, aux Etats-Unis et en France. Chez nous, un déjeuner informel à l’Elysée entre Nicolas Sarkozy – encore lui – Michel Platini et deux hauts dirigeants du Qatar, dont le prince héritier devenu depuis émir, intéresse la justice.

On soupçonne que le vote de l’ancien numéro 10 de l’équipe de France, alors patron de l’UEFA (l’instance européenne du football), a été acheté par l’Émirat. De l’autre côté de l’Atlantique, le procureur fédéral de Brooklyn accuse, en mars 2020, des dirigeants de la FIFA d’avoir reçu des pots-de-vin pour attribuer la Coupe du monde au Qatar.

À ces soupçons de corruption, s’ajoute l’impact environnemental de la compétition. Le coût écologique est estimé à 3,6 millions de tonnes de CO2 par la FIFA, un chiffre sous-évalué pour de nombreux experts. Un des sujets récurrents concerne la climatisation des stades à ciel ouvert. Un non-sens écologique.

Des stades tristement renommés : « Les chantiers de la mort »

À ce propos, il faudrait également se pencher sur l’impact environnemental des pelouses chauffées l’hiver en Europe. Enfin, difficile d’ignorer les conditions de travail des milliers d’ouvriers, venus pour la plupart d’Asie du Sud-Est, et dont plus de 6 500 ont trouvé la mort depuis 2010 dans les chantiers de construction des stades. Ces chiffres sont, là aussi, sous-évalués, selon les ONG. Et les terrains sont tristement renommés depuis : « Les chantiers de la mort ».

Conscient de ces scandales et aberrations, comment réagir en tant que passionné de football ? Perso, l’envie de me refaire « tous les épisodes de Columbo », comme Éric Cantona, ne me botte pas trop. Il est certain qu’au regard des éléments connus depuis 2010, il aurait fallu réagir avant.

À titre d’exemple et toute proportion gardée, en 2019, la Confédération Africaine de Football (CAF) avait désigné l’Egypte comme pays organisateur de la Coupe d’Afrique des Nations en remplacement du Cameroun jugé insuffisamment prêt. Une décision prise 6 mois avant le début du coup d’envoi du 1er match.

Jusqu’à présent, la tenue de la Coupe du monde ne semble pas être remise en cause et aucune équipe qualifiée n’a décidé de se retirer. Par le passé, plusieurs compétitions de football ont été entachées d’appels au boycott avec plus ou moins de succès. Amnesty International préfère négocier aujourd’hui avec la FIFA un programme d’indemnisation des violations des droits humains plutôt qu’un boycott. Une pétition a été également lancée : « Qatar 2002, les droits humains ne doivent pas être hors-jeu ».

Pas la même levée de boucliers lorsque le Qatar investit en France

Vu les enjeux financiers et face à un événement qui, d’une certaine manière s’impose à nous tous, difficile d’aller vers un boycott « dur » de la compétition. Soyons réalistes. Sans faire dans la provoc’, je n’assiste pas à la même levée de boucliers à l’égard du Qatar lorsque celui-ci investit en France.

L’hexagone est en effet le 2ème pays d’investissement en Europe pour l’Émirat avec des participations importantes dans des « fleurons nationaux » comme Vinci, Total ou encore Airbus. Des entreprises françaises qui se tiennent à la disposition du Qatar pour l’organisation de la Coupe du Monde, comme le rappelait en 2019 Édouard Philippe, alors Premier ministre.

Pourquoi exiger des seuls supporters de porter cette responsabilité et d’éteindre leur télévision ?

Ces grandes multinationales et notre gouvernement prétendent être impuissants. Le gouvernement a dernièrement affirmé qu’il était « compliqué » pour la France de faire machine arrière. Dès lors, pourquoi exiger des seuls supporters de porter cette responsabilité et d’éteindre leur télévision ?

Il a fallu un été 2022 très inquiétant sur le front écologique pour que le changement climatique se hisse au 2ème rang des préoccupations des français (32%) derrière l’inflation (33%). Et j’ai le sentiment qu’il a fallu une Coupe du Monde de football, la 1ère dans un pays arabe, pour que l’on se penche sérieusement sur les conditions d’attribution d’une compétition sportive.

Pour autant, hors de question de se murer dans le silence. Profitons de cette vitrine médiatique mondiale pour informer et sensibiliser le plus grand nombre autour de la question des droits humains, des inégalités et de l’écologie. La FIFA assure de son côté que le critère environnemental sera renforcé pour la sélection du pays hôte de l’édition 2030. Une première étape.

Chacun est libre d’éteindre ou non sa télé l’hiver prochain. Pour ma part, j’espère que ce ne sera pas une coupure d’électricité du fait de la crise énergétique qui me fera rater le but de la victoire de Benzema en finale de Coupe du Monde.

Ahmed Aït Ben Daoud

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