La résolution a été votée à 67 contre 11 voix, jeudi 28 mars. Après plus d’un an d’échanges entre l’Élysée et la députée écologiste, Sabrina Sebaihi, un compromis autour d’un texte a été trouvé. Il « condamne la répression meurtrière et sanglante » d’Algérien.nes le 17 octobre 1961 et « réclame une journée de commémoration ».

Ce soir d’automne 1961, près de 30 000 Algériens manifestaient pacifiquement à Paris. Ils ont subi une violente répression des forces de police, dirigées par le préfet Maurice Papon. Le bilan officiel de trois morts et d’une soixantaine de blessés est réfuté par des historiens qui recensent « au moins plusieurs dizaines » de morts.

Le 16 octobre 2021, à la veille du 60ᵉ anniversaire de commémoration, Emmanuel Macron avait reconnu « des crimes inexcusables pour la République commis sous l’autorité de Maurice Papon ». Déjà, les historiens rappelaient que la condamnation de ce préfet ne pouvait faire écran sur la responsabilité des institutions de la République, de l’État.

Entretien avec la députée écologiste, Sabrina Sebaihi.

Avec la députée de Renaissance, Julie Delpech, vous avez porté une proposition de résolution « condamnant la répression meurtrière et sanglante d’Algériens » le 17 octobre 1961 et réclamant une journée de commémoration. Pourquoi avoir déposé ce texte ?

Fin 2022, je dépose pour la première fois ce texte dans la niche écologiste pour le faire passer sur notre journée d’initiative parlementaire. Le texte était un peu différent. Il mentionnait le « crime d’État » et « l’ouverture totale des archives ». Mais on s’est rendu compte qu’il ne passerait pas. Je me suis dit qu’il valait mieux essayer de le retravailler. Je l’ai fait avec des personnes de ma circonscription, notamment de Nanterre parce qu’une partie du collectif « 17 octobre » s’y trouve, des personnes qui ont marché le 17 octobre et leurs enfants.

C’est avec eux que l’on construit cette résolution qui sera déposée et qui aura un parcours semé d’embûches. Plusieurs mois se sont écoulés avant de trouver une écriture qui permette à la majorité de signer cette résolution avec nous.

Justement, vous avez déposé un premier texte fin 2022 qui a été édulcoré par l’Élysée. Pourquoi ?

Je ne parle pas vraiment d’un texte édulcoré, car la majorité et moi avons fait des compromis. Il y a eu des négociations sur le texte et il y a des choses avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord. Sur la notion de « crime d’État », la majorité dit qu’on ne peut pas employer ce terme parce que le président de Gaulle n’était pas le commanditaire. Je ne suis pas du tout d’accord.

Dans la résolution, on parle bien du préfet de police de Paris, Maurice Papon, qui ordonne ce massacre. L’État est responsable puisque c’est un agent de l’État.

On ne sait pas si le président de Gaulle a été commanditaire. Mais même s’il ne l’était pas, il a été informé et personne n’a été inquiété par la justice. Personne n’a été condamné pour ce massacre. Couverte par les autorités de l’époque, c’est une histoire qui a été totalement occultée.

Je parle de « crime d’État », au même titre que le collectif  « 17 octobre » et que les autres associations qui travaillent sur le sujet depuis de nombreuses années. Des historiens, y compris Benjamin Stora, parlent d’un « crime d’État » pour la date du 17 octobre 1961.

Le 17 octobre est la plus violente répression policière sur des manifestants pacifiques de notre histoire contemporaine

Ils [la majorité] ne voulaient pas non plus de la journée de commémoration. Pour eux, c’était inenvisageable. À plusieurs reprises, ils ont indiqué que nous pouvions tout à fait commémorer cette date le 19 mars (signature des Accords d’Évian, ndlr). Mais le 17 octobre est la plus violente répression policière sur des manifestants pacifiques de notre histoire contemporaine. Ce n’est pas du tout la même chose que de célébrer la fin de la guerre d’Algérie.

Donc, nous avons fait consensus pour atterrir sur un texte. Mon premier objectif était qu’il soit voté et qu’il y ait une condamnation et une reconnaissance du massacre des Algériens le 17 octobre inscrit dans le marbre. C’était la première étape essentielle pour continuer le travail et aller sur la reconnaissance du crime d’État.

Aujourd’hui, je considère que c’est une victoire. C’est la première fois qu’un tel texte est voté. Il ouvre la voie à la poursuite du travail pour mettre la lumière sur ce qui s’est passé et aller sur cette condamnation et cette qualification stricte de « crime d’État ».

Vous réclamez une journée de commémoration. Une résolution n’est pas contraignante. Concrètement, quels sont ses effets ?

Le choix de la résolution avait deux objectifs. Le premier était d’éviter qu’il y ait des centaines d’amendements sur un texte de proposition de loi. On aurait eu des heures de débats nauséabonds et ce n’était pas envisageable. Cela aurait été irrespectueux vis-à-vis des victimes, de leurs descendants.

Le second objectif était d’éviter que le texte passe au Sénat. Quand on fait une proposition de loi, il faut qu’elle passe ensuite au Sénat pour avoir un décret d’application. Or, il y a eu deux tentatives au Sénat qui n’ont jamais abouti. Si j’avais déposé la proposition de loi, elle serait perdue entre l’Assemblée nationale et le Sénat sans jamais être votée.

Nous allons nous mobiliser pour dire au président de la République qu’il faut passer de la parole aux actes

Certes, c’est une résolution, mais le président de la République peut tout à fait s’en emparer et décider d’inscrire à l’agenda officiel la date du 17 octobre comme jour de commémoration.

Nous n’allons pas attendre qu’il décide de le faire. Nous allons enclencher la deuxième partie de la bataille. Nous allons nous mobiliser collectivement pour dire au président de la République qu’il faut passer de la parole aux actes, puisque que la majorité a voté cette résolution.

Pensez-vous, qu’un jour, il puisse y avoir un texte qui reconnaît finalement un crime d’État ?

Nous voulons que la date du 17 octobre soit inclue dans les travaux des historiens, pour que toute la lumière puisse être faite sur les chaînes de responsabilité. Une phase de travail extrêmement importante va s’ouvrir et je souhaite que les historiens se mettent au travail avec nous.

Nous sommes quelques députés à travailler sur la question pour écrire un texte où il sera clairement écrit « crime d’État » pour le 17 octobre 1961. Il y a une reconnaissance et une condamnation, nous allons chercher la qualification.

Les onze députés du Rassemblement national (RN) présents ont voté contre la résolution. Comment se sont déroulés les débats à l’Assemblée nationale ?

Sans surprise du RN, ils ont tendance à être dans une réécriture totale de l’histoire, dans l’écriture d’un roman national fantasmé. Concernant Le 17 octobre, ils ont osé utiliser le terme « fake news ». Après, il y en a d’autres qui ont été pires qu’eux. Les Républicains (LR) ont fait preuve d’une lâcheté exemplaire. Ils ne sont même pas venus à l’Assemblée nationale. Ils n’ont pas fait de déclaration préalable ni d’explication de vote.

Vous avez porté cette résolution avec une députée de Renaissance. S’il n’y avait pas Julie Delpech, cette résolution aurait-elle été adoptée ?

Julie Delpech reprend le texte à la fin. Depuis un an, je travaille dessus avec Philippe Guillemard, un autre député de la majorité. Il était sincère dans la co-écriture pour avancer sur ce texte. Mais si la majorité n’avait pas cosigné ce texte, je ne sais pas ce qui serait passé. Mais il était certain qu’avec la notion de « crime d’État », le texte ne passait pas.

J’estimais qu’il valait mieux obtenir la reconnaissance et la condamnation du massacre du 17 octobre et ensuite engager le travail. Avec Philippe Guillemard, nous avons convenu de reprendre, dès son retour, le travail sur la résolution pour avancer sur la notion de « crime d’État ».

Propos recueillis par Marie-Mène Mekaoui 

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