Comme des milliers de jeunes, Dylan Ayissi est passé par la voie professionnelle. En 2021, le jeune de 23 ans a fondé l’association Une Voie pour tous afin de répondre à un vide politique autour de ces filières. Il publie aujourd’hui un livre, « La revanche des pros » aux éditions de L’observatoire. Il y propose des solutions concrètes pour transformer la voie professionnelle en une filière d’excellence. Entretien.
Dans votre livre, vous mettez en lumière plusieurs thématiques comme l’orientation subie. Vous proposez également des solutions pour “redorer [le] blason” des lycées pro. Quel type d’action menez-vous ?
L’association Une voie pour tous a quatre piliers. La politique publique est notre boussole. On a construit l’association comme une agence de lobbying qui traiterait de la question de l’école par la voie professionnelle. Cela se matérialise par du travail législatif et institutionnel classique. En octobre 2024, on a amené 300 élèves à l’Assemblée nationale.
Ils ont proposé 18 propositions de loi, pour améliorer leur quotidien. On a un groupe de travail là-bas qui réfléchit à la question de l’orientation subie et qui va rendre son rapport en mai. Nous avons par ailleurs un groupe au Sénat sur l’éducation populaire. Nous travaillons aussi sur la question de la remédiation sociale et de la gouvernance des établissements scolaires.
Quel est le problème des filières professionnelles ?
Ce n’est pas l’espace du lycée professionnel qui est initialement problématique, c’est sa fonction sociale et économique. Regarder le lycée pro, c’est regarder l’histoire sociale française. Dans les textes initiaux, il a été pensé pour former une élite ouvrière. Ce qui, au moment de sa conception, ne posait pas de problème, parce que ça correspondait à une structure sociale.
Le lycée pro, comme on le connaît aujourd’hui, naît en 1985, quand une directive européenne fixe à 80 % le taux de réussite au baccalauréat. À ce moment-là, l’accès au bac est quelque chose de limité, l’accès à l’enseignement supérieur encore plus. Cela va être le rôle du lycée pro de faciliter cette ouverture. Rapidement, puisque la France est un pays qui se focalise essentiellement sur la capacité d’abstraction avec tout ce que cela implique en termes de culture juridique, c’est devenu une poubelle sociale.
Vous avez aussi pu remarquer que l’accès à certaines études était impossible quand on est issu d’une filière professionnelle…
J’ai eu mon bac en 2019 et j’étais très intéressé par la politique. Un jour, j’ai voulu candidater sur le site de Sciences Po, mais je n’ai pas pu. Le menu déroulant proposait uniquement “bac général” ou “technologique”. J’ai découvert à ce moment-là que la majorité des écoles dites sélectives, et quelques universités, ne permettaient pas aux étudiants issus de lycée pro de candidater. On ne peut même pas passer l’étape de mettre son mail.
On parle énormément de diversité et de réussite, mais que puisque c’est encore de l’ordre de l’exception, on survalorise l’exceptionnel
J’ai rencontré Mathias Vicherat (ancien directeur de Sciences Po, ndlr), et lui-même ne s’en était pas rendu compte. Dans les politiques d’ouverture sociale, le paradoxe, c’est qu’on parle énormément de diversité et de réussite, mais que puisque c’est encore de l’ordre de l’exception, on survalorise l’exceptionnel. On te dit : « Regarde à la télé, il y a un mec qui te ressemble qui vient du même endroit que toi et lui a réussi. » Et si tu n’es pas dans cette trajectoire-là, tu as le sentiment que c’est encore plus ta faute.
Avec votre livre, quel public souhaitez-vous toucher et quel impact espérez-vous avoir ?
Ce livre vise les acteurs des politiques publiques, de l’éducation. Ce n’est pas un story telling. Des livres qui racontent à quel point c’est dur, il y en a tous les deux ans. C’est une analyse sociale du lycée professionnel et de son histoire. Ça traverse l’ensemble de la classe sociale et des couches politiques. Les personnes qui en sont issues constituent le premier électorat de Marine Le Pen depuis toujours.
Le lycée pro ce sont les quartiers, mais c’est surtout la France populaire des territoires
Le lycée pro ce sont les quartiers, mais c’est surtout la France populaire des territoires. L’idée, c’est de faire réfléchir sur la place de l’école et d’inspirer des acteurs de la politique publique. À la fin, il y a toute une liste de propositions sur lesquelles nous travaillons. Ce n’est pas un livre témoin. J’y pose un constat, un regard social et politique pour ensuite trouver des solutions.
Est-ce que vous menez des actions de sensibilisation auprès des jeunes dans les écoles ?
Ce n’est pas le parti pris, on s’inscrit plutôt dans un travail de long terme. C’est important la sensibilisation, mais nous, si on y va, on délivrera un discours de vérité. Moi, je sais ce qu’est le lycée pro. J’ai discuté avec Marwan Mohammed (sociologue et chargé de recherche au CNRS, ndlr), selon qui ce ne sont pas des espaces d’apprentissage. Le lycée pro est un espace social dans lequel il se passe plein de choses tristes.
Il faut se rendre compte que si on casse le lycée pro comme il existe aujourd’hui, on casse le marché
Quand tu es ado et que tu vois les gens se battre, la police venir, tu trouves ça marrant, tu ne prends pas de recul. Mais il faut se rendre compte que si on casse le lycée pro comme il existe aujourd’hui, on casse le marché. On casse le monde économique. Pendant très longtemps, on a considéré que ceux qui faisaient la politique de l’enseignement professionnel, c’était l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM). Demain, si on dit qu’il faut que les petits choisissent leur orientation, qui va aller dans les usines ?
Les problématiques autour du lycée professionnel ne mettent-elles pas en lumière des enjeux de société plus larges ?
C’est important de penser que ce qu’il se passe en lycée professionnel reflète aussi le monde économique et social. Le malheur qui commence dès la scolarité, a la capacité de briser les ambitions. Il faut repenser la place du travail dans notre société. Très tôt, ce ne peut plus être un espace d’épanouissement personnel. Vous voyez des enfants de quatorze ans en stage avec clope, café et bleu de travail, les mains grises.
Ce qui nous révolte, c’est l’incapacité de l’école à garantir l’épanouissement de tout le monde
On se dit que dès maintenant, c’est fini, c’est la fin du film. Nous, ce qui nous révolte, c’est l’incapacité de l’école à garantir l’épanouissement de tout le monde. Quand on regarde les taux d’orientation vers la voie professionnelle d’une ville à l’autre, ça peut être du simple ou double. Il y a des territoires dans lesquels l’échec scolaire n’existe pas et où l’orientation vers les filières professionnelles est inenvisageable, c’est comme un suicide social.
Jade Bellagh et Gnamé Diarra