Pourquoi avoir souhaité traiter ce sujet ? Et pourquoi maintenant ?

On entend très souvent parler de la figure de l’antifa dans l’espace médiatico-politique. De façon quasi systématique, ce terme est utilisé comme synonyme de casseurs ou de black bloc. On décrit des gros bras, violents, tapant la police, ou cassant des choses en manifestation.

L’idée de ce travail a été d’essayer de démystifier tout ça. Ayant déjà travaillé sur le milieu antifasciste, j’avais bien conscience que cette image était éloignée de la réalité. Ce sont des militants et militantes qui s’expriment assez peu, se méfient des journalistes. J’ai utilisé les “accès” que je pouvais avoir à ce milieu, pour qu’ils et elles puissent expliquer le sens de leur combat.

Le gouvernement met un signe égal entre les violences d’extrême droite et celle d’extrême gauche. Comment observez-vous cela ?

Ça me paraît absolument évident que la violence d’extrême gauche n’est pas la même que celle de l’extrême droite, et à plusieurs niveaux. Du point de vue des autorités et de la justice déjà, il y a un nombre croissant d’attentats d’extrême-droite déjoués ces dernières années. Ce n’est pas le cas à l’extrême-gauche.

Il faut aussi rappeler que l’extrême droite tue. Il y a la mort de Clément Méric dont les militants et militantes commémorent ce week-end le dixième anniversaire, mais aussi plus récemment l’assassinat de l’ancien rugbyman Federico Martin Aramburú, par exemple.

Pour les antifas, la violence n’est absolument pas une fin en soi, c’est un moyen, un outil politique (contrairement à l’extrême-droite qui développe des idées et un projet de société qui par définition sont violents). Elle est pensée comme une contre violence en réponse à une double violence originelle : celle de la société capitaliste, et celle, physique, de l’extrême-droite.

Vous évoquez les différents types de “visions” du fascisme et donc de l’anti-fascisme. L’une consacre ses forces à la lutte contre l’extrême-droite tandis que l’autre l’étend aux politiques néolibérales, par exemple. Pouvez-vous nous expliquer ?

Ce qui est important à comprendre sur ces deux visions qui coexistent, c’est leur histoire. Le premier considère qu’il ne faut pas se limiter à combattre l’extrême-droite stricto sensu : c’est l’antifascisme autonome, très lié à l’Action Antifasciste Paris Banlieue (AFA PB).

À la fin des années 2000, il y a eu une période d’affrontement entre supporters du PSG. Ils opposait ceux de la tribune Boulogne, ouvertement nationalistes et, pour partie, marqués à l’extrême-droite, et ceux de la tribune Auteuil, à l’identité plus « populaire et cosmopolite » pour reprendre leurs termes. Cela a donné lieu à une forte répression des pouvoirs publics et à la dissolution de nombreux groupes.

Un certain nombre d’habitués de la tribune Auteuil se sont rapprochés de l’AFA PB. Il y a donc eu un apport de militants, plutôt jeunes, issus de quartiers populaires, certains racisés, musulmans ou issus de familles musulmanes. Par leur vécu et leur quotidien, ils vont amener tout un tas de sujets qui les concernent directement : les violences policières, l’islamophobie notamment.

En parallèle, le second courant est centré sur un groupe : la Jeune Garde, né en 2018 à Lyon, dans le but premier de s’opposer à l’extrême-droite, très implantée dans la ville, et de faire fermer ses locaux. Ils disent assumer une forme de “spécialisation” dans la lutte antifasciste, menée avant tout contre l’extrême-droite, qu’elle soit institutionnelle (le RN, Reconquête…) ou groupusculaire. La Jeune Garde développe aussi une démarche « unitaire » et travaille plus étroitement avec différentes organisations syndicales, politiques ou associatives.

Les stratégies politiques antifascistes sont-elles efficaces, selon vous ?

C’est difficile de juger. Cependant, je pense que les militants et militantes le reconnaitraient eux-mêmes, il y a en partie un échec de la stratégie antifa. L’extrême-droite est clairement en train de monter en puissance. J’ai un peu l’impression que ce constat écrase tout le reste. Il y a les résultats électoraux, les groupes militants qui mènent des actions violentes… Ce qui est frappant et peut-être même encore plus alarmant, c’est la reprise d’une partie du discours l’extrême-droite et de ses mots (« ensauvagement », « grand remplacement »…) par des pans entiers du spectre politique, le gouvernement inclus.

Que pensez-vous de l’émergence de mouvements comme la Jeune Garde qui tranche avec l’image traditionnelle des antifas ?

Parler beaucoup plus largement aux médias et avoir un certain nombre de cadres qui parlent à visage découvert, c’est quand même une grande nouveauté. S’il s’agit de donner de la visibilité et de faire parler de l’antifascisme, je pense que c’est plutôt un succès.

Pour ce qui est de l’efficacité, d’un point de vue militant, d’en recruter de nouveaux, je pense qu’on a des résultats plus contrastés. Si on regarde les images de communication de la Jeune Garde, ils sont max 50/60. Pour un groupe implanté sur cinq villes, ça reste limité. En manifestation, cela dit, ils sont plus nombreux si l’on compte les sympathisants qui rejoignent leurs cortèges.

Médine is the new Berrurier Noir ?

(Rires). Je ne sais pas si c’est le nouveau Béru, en tout cas clairement, c’est une référence pour certains militants. Il participe aussi au concert du week-end antifasciste en mémoire de Clément Méric, samedi soir. A priori, lui-même est ravi de s’investir de ce côté-là. Donc oui, c’est clairement un artiste que les antifas apprécient et réciproquement, je pense.

Pensez-vous que les réseaux sociaux et les streamers de gauche et d’extrême gauche participent d’un renouvellement notable des forces vives de la gauche ?

Je pense que clairement les « influenceurs politiques », comme Usul entre autres, contribuent à diffuser des idées de gauche et à politiser un certain nombre de personnes.

Pour autant, l’extrême-droite à clairement un train d’avance dans ce domaine. Je pense qu’il y a beaucoup de jeunes qui se politisent de ce côté à travers les réseaux sociaux et certains « influenceurs » d’extrême-droite.

Il y a certains problèmes internes aux groupes existants, par exemple le virilisme. Avez-vous, au cours de vos entretiens, pu observer des évolutions ?

Le milieu reste très majoritairement masculin, mais ça évolue. Dans mon panel, il y avait 25 % de femmes. Les militantes antifa se battent au sein même de leur propre milieu, pour obtenir la place qui leur est due.

On peut citer le regroupement de femmes de tout un tas d’organisations en une coordination féministe antifasciste. Elles ont des objectifs portés vers l’intérieur du mouvement pour lutter contre les problèmes de sexisme et de virilisme. Mais aussi vers l’extérieur du mouvement, au sein des mouvements féministes de manière plus générale. Il semblerait que ce soit une initiative qui a du succès et qui réussi à faire bouger les lignes.

Autre exemple : le bar le Saint Sauveur à Paris, un haut lieu du milieu antifa. On a une évolution de la présence des femmes, devant et derrière le comptoir.

Votre conclusion est un peu en demi-teinte, faisant notamment état d’un épuisement des militants, qui n’a pas dû être arrangé par les très prenantes mobilisations réforme des retraites, à titre personnel, qu’entrevoyez-vous pour l’avenir du mouvement ?

Difficile à dire. Ce n’est pas évident d’être optimiste quand on voit en parallèle les difficultés que connaissent le milieu antifasciste et la montée en puissance de l’extrême-droite. Mais parmi les pistes envisagées pour renouveler le milieu, il y a celle de l’ouverture à d’autres “causes”, comme la question écologique.

Pour la petite note d’espoir, je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais une chose est sûre, c’est que la mobilisation qu’on vient de vivre, rappelle, par certains aspects, celle de la loi travail qui a été importante dans l’histoire récente du milieu antifasciste.

De ce que j’ai pu observer, il y a une nouvelle génération militante qui semble pointer le bout de son nez. Si on regarde les profils des personnes qui ont participé aux mobilisations, notamment les manifestations sauvages nocturnes, il s’agit plutôt de jeunes, sans beaucoup d’engagements militants ou politiques par le passé. Peut-être que d’ici six mois, un an, on va constater un afflux de nouvelles énergies militantes vers le milieu antifasciste, et que ça permettra d’y insuffler une nouvelle dynamique.

Propos recueillis par Ambre Couvin

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