Une semaine après la mort de Nahel, les révoltes commencent à s’apaiser. Depuis celles enclenchées de Vaulx-en-Velin (1990) ou celles de Clichy-sous-Bois (2005), ces mouvements sont toujours qualifiés d’émeutes, vidés de leur caractère politique.

Sami Zegnani est maître de conférence en sociologie en délégation à l’INED (Institut national des études démographiques) à l’Université de Rennes. Il est notamment l’auteur de Dans le monde des cités, de la galère à la mosquée (Ed PU Rennes, 2013). Pour le Bondy blog, Sami Zegnani revient sur le sens de ces révoltes de Vaulx-en-Velin à Nanterre. Interview.

Quelles sont les spécificités des révoltes de 2023 par rapport à celles des dernières décennies ?

Ce qui a changé par rapport aux années 1980, c’est qu’aujourd’hui, l’information circule beaucoup plus vite. Aujourd’hui, on a la vidéo de la mort de Nahel. Une partie de la population comprend l’événement comme un homicide volontaire.

Parler de révolte permet d’accorder un caractère politique à des événements marqués par la violence 

Par ailleurs, on observe en 2023 un âge un peu plus jeune, tant chez ceux qui subissent les violences policières, que chez ceux qui se révoltent. Je parle bien de « révoltes » car quand on fait référence aux « émeutes » urbaines, on est dans le champ de la délinquance. Parler de révolte permet d’accorder un caractère politique à des événements marqués par la violence.

Comment des jeunes en arrivent-ils à brûler des infrastructures publiques de quartier ?

Depuis les premières révoltes de banlieue, on a eu des difficultés, y compris les sociologues, à comprendre les motifs de ces mouvements. Les commentateurs ont souvent proposé des analyses qui mettent en avant le nihilisme, des violences sans objet, parce qu’ils avaient des difficultés à saisir ces motivations.

Détruire son environnement, ça symbolise le peu de valeur accordée à ces territoires

C’est ce qu’on pourrait appeler des « destructions de proximité ». Elles s’expliquent par un sentiment profond de la part des jeunes de quartier que leur lieu d’habitation et les infrastructures associées n’ont pas de valeur. Détruire son environnement, ça symbolise le peu de valeur accordée à ces territoires.

Ces phénomènes peuvent s’expliquer par l’accessibilité directe de ces immeubles, et par le symbole qu’ils représentent. Installer une médiathèque dans un quartier, c’est utile et crucial. Mais ça ne s’accompagne pas de réforme profonde de la société. De la même manière, quand on fait des rénovations d’immeubles, c’est absolument nécessaire, mais on ne remet ni en cause le processus de ghettoïsation, ni les inégalités sociales qui ont lieu dans ce pays. Dans tous les cas, ils ne pourraient pas aller en centre-ville pour se révolter.

Historiquement, les premières révoltes ont donné lieu à des réponses en termes de politiques

Et en même temps, casser ça fait parler. Historiquement, les premières révoltes ont donné lieu à des réponses en termes de politiques publiques. Les jeunes savent qu’après ces événements, il y a des choses qui vont bouger. On a vu depuis trente, quarante ans, qu’à chaque fois ça a provoqué des mesures, pas toujours à l’avantage des quartiers populaires. Mais ça a permis de mettre sur la table des sujets comme les discriminations, l’accès au droit, etc.

Que pensez-vous des propos du président de la République qui pointe la responsabilité des parents et des jeux vidéos ?

C’est une explication à moindres frais. Auparavant, ça a été le rap ou l’islam ont été pointés. C’est une façon de dépolitiser la mobilisation. Mais en plus, ça permet d’éviter de s’attaquer aux causes profondes de cette crise des quartiers populaires qui demande des réformes en profondeur de la société. Les chantiers vont de l’entrée dans l’âge adulte aux conditions d’entrée sur le marché de l’emploi, en passant par les conditions de rémunération. Plutôt que d’évoquer ces problèmes structurels que les sociologues dénoncent depuis 40 ans, on préfère détourner l’attention.

Le traitement médiatique des quartiers populaires a-t-il participé au sentiment d’exclusion ?

En France, depuis de nombreuses années, des médias accordent une tribune quotidienne à des essayistes et analystes dépourvus de légitimité qui amalgament tous les problèmes. Ils participent à la « délégitimation » des luttes des jeunes des quartiers populaires.

C’est un gros changement depuis le début des années 2000 : cette profusion de médias qui font des quartiers populaires leur fonds de commerce.

Les mobilisations violentes sont le reflet des échecs des politiques de la ville et de la jeunesse. Beaucoup de médias se concentrent uniquement sur le caractère perturbateur de ces violences. Ils omettent d’analyser ces mouvements sociaux sous le prisme des inégalités socio-économiques. C’est de cette manière que l’on produit une image déformée des problèmes que traversent les quartiers populaires.

Quelles ont été les réponses aux premières révoltes urbaines ?

Les révoltes des années 1980 ont provoqué la mise en agenda d’un « problème des banlieues ». Mais il faut voir le résultat de ces politiques de la ville. Elles étaient censées améliorer les capacités de la société à provoquer de la mobilité sociale, c’est-à-dire créer une égalité des chances. Au lieu de ça, l’État a entériné une dynamique de ghettoïsation. On accepte qu’il y ait des quartiers pauvres, et on injecte un peu d’argent pour les dynamiser sans remettre en cause l’existence même de ces quartiers.

La population s’est homogénéisée avec l’appauvrissement global et le départ des classes moyennes

La question de la mixité s’est posée, notamment dans les grands ensembles. Dans les années 1960, il y avait de la mixité dans les grands ensembles. Mais la population s’est homogénéisée avec un appauvrissement global de ces territoires et le départ des classes moyennes. On a récemment mis en place une politique de mixité sociale, notamment à l’école. Mais elle risque d’échouer aussi, tant qu’on ne prend pas au sérieux la question des inégalités sociales.

Comment ces territoires ont fini par devenir des lieux d’assignation à résidence pour les habitants ?

Une des réponses de l’État a été de « surcontrôler » les espaces publics des quartiers populaires. En limitant de façon restrictive les rassemblements, en mettant en place de la vidéosurveillance. On verra peut-être même un jour l’utilisation d’algorithmes (suggérés par la loi Olympe promulguée récemment pour assurer la sécurité pendant les JO) pour surveiller et sanctionner les habitants de certains quartiers.

Les jeunes perçoivent ces territoires comme des lieux d’assignation résidence, de harcèlement, et de contrôle.

Tous ces dispositifs sont vécus comme des dispositifs violents à l’encontre des populations alors que les espaces publics sont les lieux par excellence de la vie sociale et publique des classes populaires. Ces dernières investissent les espaces publics depuis des siècles. Il n’est donc pas étonnant que ces mesures confiscatoires de la vie sociale soient contestées par une partie des habitants des quartiers populaires. En plus des violences physiques, les conditions d’existence sont encadrées par une surveillance quotidienne et ininterrompue.

Propos recueillis par Hadrien Akanati-Urbanet

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