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Un succès unanime et retentissant. Diffusée sur Arte, la série documentaire consacrée à la carrière de DJ Mehdi rencontre un plébiscite rare, quand on sait que les productions liées à l’univers du Rap sont souvent l’objet de critiques et de polémiques.

Cette série rend hommage à l’un des plus grands compositeurs de notre époque, un « génie » qui a réussi à faire communiquer des mondes que tout oppose, en apparence. Proche de DJ Mehdi, Thibaut de Longeville, le réalisateur de cette série documentaire, nous en parle. Interview. 

Parlez-nous de la genèse du projet. Comment est venue l’idée de réaliser une série documentaire sur DJ Mehdi ?

Dans les semaines qui ont suivi son décès, je me suis à écrire. Nous étions tous dépassés par l’émoi qu’a suscité sa mort. On voyait des messages de Pharrell Williams, Drake, Rick Ross et j’en passe. Lorsqu’on s’est rencontré en 1996, je lui avais parlé de mes envies d’être réalisateur.

Il m’avait encouragé à prendre une caméra et filmer mon environnement. Je me suis rapidement rendu compte qu’il y avait une place centrale. De son vivant, je songeais déjà à lui consacrer un documentaire. Son histoire raconte beaucoup de choses sur la France et mérite d’être connue au-delà des passionnés de musique. Tu te rends compte que l’histoire de DJ Mehdi est universelle. Finalement, j’aurais mis 13 ans à mener ce projet à son terme.

Pourquoi avoir choisi la forme du documentaire, alors même que la tendance est plutôt au biopic ?

C’est un genre qui me passionne. Le documentaire de manière générale cherche à raconter une vérité. La portée est totalement différente. Voir Mehdi et Kery James faire du rap à 13 ans tout en ayant en tête ce qu’ils sont devenus, sera beaucoup plus impactant que de voir des acteurs dans un film traditionnel. De même pour le concert légendaire à l’Élysée Montmartre en 1999. Dans un film, le spectateur peut se dire que l’histoire est exagérée ou volontairement dramatisée. Avec les images d’archives, tu ne peux tromper personne. Donc le mieux à faire était un documentaire.

Tout au long de la série, on peut apercevoir différents intervenants qui ont côtoyé Mehdi à différents moments de sa vie. Comment ont-ils réagi lorsque tu leur as évoqué le projet ? Y en a-t-il qui étaient plus durs à convaincre que d’autres ?

Mehdi a été extrêmement généreux tout au long de sa vie, tant sur le plan musical que personnel. Tous les gens qui apparaissent dans le documentaire ont accepté sans la moindre hésitation. Il y avait une vraie sympathie à l’égard de ce projet lorsque j’en parlais aux intervenants.

J’ai eu le droit à une grande générosité de temps et de narratif de la part de tout le monde. J’ai passé une journée avec chaque intervenant pour recueillir leur témoignage. On écoutait de la musique, on jouait des archives, on rigolait. On souhaitait célébrer la vie de Mehdi.

On découvre également la place prépondérante qu’avait sa famille tout au long de sa vie. Comment ont-ils réagi lorsque tu leur as parlé de ton projet ?

J’étais très proche d’eux du fait de mon lien avec Mehdi. Ils étaient dans un deuil profond et certains n’avaient pas de lien avec la musique. Au moment du décès, ils ont été submergés par les hommages de toutes ces célébrités. Ils ne comprenaient pas forcément. Pendant des années, ils m’ont avoué qu’ils n’étaient pas prêts à ce que quelque chose soit fait autour de Mehdi.

Il m’était inconcevable de faire ce documentaire sans la participation de la famille

J’ai attendu qu’ils expriment d’eux-mêmes leur souhait de participer au documentaire. Je souhaitais respecter leur peine. Il m’était inconcevable de faire ce documentaire sans la participation de la famille.

Tout au long du documentaire, on comprend que Mehdi est le produit de son époque et de son environnement. Cela te semblait important de retranscrire l’évolution sociétale de la France à travers son parcours ?

Dans l’essence de son histoire, ça aurait été réducteur de parler uniquement de ses collaborations avec les rappeurs et les DJ’s de l’électro. Il existait à l’époque un mur infranchissable entre le rap et l’électro, qui symbolisait un fossé social. Il y avait une vraie réticence des deux univers. Je voulais également dépeindre la France de l’époque, d’où le nom du documentaire. Il était important de resituer la vie de Mehdi dans un contexte social et multiculturel.

Le rap était ostracisé dans la France des années 90, tout était défavorable à son expansion

Mehdi a fourni des efforts manifestes pour que les deux mondes se rencontrent. Il y avait une importance de donner un contexte social, pour souligner que les mouvements dans lesquels il évolue sont assez hostiles. Le rap était ostracisé dans la France des années 90, tout était défavorable à son expansion.

À titre personnel, c’est un beau message pour la jeunesse. Ils pourront voir des jeunes qui ont complètement bouleversé les règles du genre, exporter la musique française en y contribuant grandement. Il y a trop de choses dans sa vie personnelle qui méritaient d’être mis en avant au-delà de sa discographie.

Depuis sa sortie, le documentaire connaît un véritable succès. T’attendais-tu à une telle résonance ?

Le succès dépasse clairement nos attentes ! On a mis énormément de temps et d’énergie dans ce travail. De là à imaginer que Drake reposte la bande-annonce, ou que Kid Cudi veuille rentrer en contact avec moi pour en parler est assez gratifiant.

D’ailleurs, j’ai pu le rencontrer la semaine dernière. Lui et DJ Mehdi avait fait une tournée américaine à l’époque. Il a gardé un souvenir poignant et le considérait comme un « demi-Dieu ». Il m’a exprimé son grand regret de ne pas avoir eu le courage de demander une collaboration avec Mehdi. Il m’a dit qu’il n’avait jamais vu un documentaire qui l’avait autant inspiré.

J’ai aussi été surpris de voir l’enthousiasme de ceux qui n’écoutent ni du rap ni de l’électro.

Un épisode est consacré à l’album du groupe 113 dont tu as confectionné la pochette. Comment cela s’était passé ?

J’ai eu la chance de suivre de très près la confection de l’album. À l’époque, il n’y avait aucune ambition autour de ce groupe et de leur projet. Le process a été très fascinant. Tous les trois voulaient faire quelque chose d’inédit à la fois musicalement et visuellement. Ils ne souhaitaient pas que leurs têtes apparaissent sur la pochette, ce qui n’était pas commode à l’époque. D’autant plus pour un groupe qui n’était pas connu.

On s’est embarqué dans l’idée de créer une mosaïque avec pleins de scènes de vie dans Vitry-sur-Seine. On a pris énormément de temps à la réaliser. Quand je regarde la pochette aujourd’hui, je me dis qu’elle ressemble beaucoup à un documentaire. Elle témoigne de plusieurs moments de vie dans un quartier de France.

J’étais avec Mokobé à ce moment-là qui appelait tout le monde à venir poser pour la pochette. Les gens ne comprenaient pas pourquoi les membres du groupe ne posaient pas. Ils trouvaient étrange qu’on prenne en photo le sol, une boîte aux lettres, des pierres, un panier de basket, une horloge, etc. Ce qui était assez drôle.

Dans une tribune publiée dans Libération, l’écrivain Mahir Guven réclamait que Mehdi soit panthéonisé. Partages-tu son point de vue ?

Le texte est assez puissant ! C’est une manière de provoquer les instances culturelles françaises. Je suis très touché par sa démarche qui rend compte du manque de reconnaissance de la culture française à l’égard de Mehdi de son vivant.

Il était précis sur les raisons pour lesquelles les instances ne saisissent pas les talents comme Mehdi. Parmi elles : le snobisme de classe, le racisme et l’idée qu’un banlieusard puisse avoir un si grand impact dans la culture musicale française.

Propos recueillis par Félix Mubenga

Crédit photo : Xavier de Nauw

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