L’humoriste de 34 ans, passé par l’émission On ne demande qu’à en rire ou le Jamel comedy club cartonne aujourd’hui avec ses chroniques hebdomadaires dans l’émission C’est encore nous sur France inter. Il s’est récemment lancé un nouveau défi, celui d’organiser un festival d’humour à Saint-Denis, la ville où il réside.

Le festival a débuté mardi 28 mars et se tient jusqu’au 1er avril avec au programme : Shirley Souagnon, Élodie Arnould ou encore Hakim Jemili. L’objectif : rendre accessible les spectacles d’humour aux habitants de la ville et du département. Rencontre.

Comment as-tu eu l’idée d’organiser ce festival ?

Ça fait 10 ans que j’habite à Saint-Denis et je me rends bien compte qu’il y a très peu d’artistes qui viennent jouer ici et de la difficulté de l’accès à la culture. Dès que tu sautes par-dessus le périphérique, il n’y a plus rien. J’ai donc essayé de trouver une formule qui permette de proposer une variété d’artistes, mais que cela reste financièrement faisable.

Je suis allé voir la mairie en leur expliquant que j’avais une seule carte en main, mon bon réseau d’artistes qui connaissent mes engagements et qui pourraient accepter de venir pour des tarifs qui ne sont pas du tout leurs tarifs habituels. La mairie a accepté, elle a fourni les salles et a débloqué des fonds pour payer les artistes. Comparé à d’autres producteurs, la seule force de frappe que j’ai, c’est que les artistes connaissent ma ligne de conduite et il y en a beaucoup qui sont dans la même.

Quelle est ta ligne de conduite ?

C’est me dire que si le but de ma carrière, c’est de faire un spectacle que pour des gens qui peuvent mettre 50 euros, c’est bien pour moi, je vais être blindé et tout ira bien. Mais au final, ce ne sera pas forcément en adéquation avec ce que je fais. Alors attention, je fais ce que je peux.

Je fais ce que je peux pour avoir une éthique de travail et surtout une accessibilité

Souvent, on me demande pourquoi je fais ci ou ça, je veux bien critiquer ce monde, mais je dois survivre dedans. Je fais ce que je peux pour avoir une éthique de travail et surtout une accessibilité. Après, je ne suis pas parfait. Parfois, je fais des erreurs ou des mauvais choix comme tout le monde.

D’où te vient cette ligne de conduite ?

Je pense que ça vient des frustrations que j’avais enfant. Je n’avais pas accès à ci ou ça, car c’était trop loin, parce qu’on nous faisait croire que ce n’était pas pour nous ou, parce que c’était trop cher. Je me dis que, maintenant, je suis en position de changer certaines choses à mon niveau et comme mon domaine, c’est l’humour, je le fais dedans.

Où as-tu grandi ?

J’ai grandi au village olympique à Grenoble et à Saint-Martin-d’Hères en HLM. Mon père a été ouvrier, puis employé. Maintenant, il est directeur des achats d’une boîte d’un grand groupe européen. C’est un énorme exemple de petit miracle. Il est arrivé du Sénégal à 19-20 ans, il est allé à l’armée et ensuite il s’est retrouvé ouvrier et a monté les échelons en se battant. Ma mère a été infirmière en psychiatrie, un métier où tu te prends toute la souffrance humaine au quotidien. Ce sont des guerriers.

Est-ce que tu trouves que les spectacles d’humour sont accessibles aux personnes issues de quartiers populaires ?

Non, c’est compliqué. Moi, je le vois parce qu’à chaque fois que je vais jouer dans des villes dites « économiquement impactées », on me dit que jamais personne ne vient. Parfois, le fait que les humoristes ne viennent pas n’est même pas lié au prix de la place. Je trouve que c’est dommage parce qu’il y a une énorme demande et ce sont ces personnes-là qui partagent tes vidéos, qui les font tourner et qui font que tu existes.

Est-ce que les personnes qui habitent en dehors de Paris et qui veulent se lancer dans le domaine de l’humour y ont accès ?

Quand j’habitais à Nantes, je venais à Paris, je faisais la soirée, j’attendais le premier train et je repartais. À Nantes, il n’y avait qu’un seul Comedy club.  Le problème, c’est l’économie de ces lieux, ouvrir juste un Comedy club, c’est difficilement rentable, souvent, il faut ouvrir un bar, un resto donc c’est déjà une toute autre entreprise.

Plus tu vas te former à la dure, plus tu seras fort

Et le second problème, c’est qu’il n’y a pas de formation à ce métier de l’humour, c’est toi-même qui te l’a fait. Je conseille aux jeunes qui veulent se lancer de se fédérer et d’organiser au moins une soirée par mois dans le théâtre du coin, le centre culturel ou dans un bar. Il faut accepter de le faire un peu en mode pirate au début. Il faut un micro et des gens et même parfois pas de micro. Plus tu vas te former à la dure, plus tu seras fort.

Pour moi, n’importe quel artiste qui réussit, c’est une erreur de calcul, peu importe d’où il vient. Même s’il peut y avoir du népotisme dans le milieu, à un moment donné, c’est le public qui décide. Concrètement, tout artiste qui réussit, c’est un petit miracle. Encore plus quand tu viens d’un milieu populaire. J’aimerais bien qu’on quitte cette logique de petit miracle et qu’il y ait des points d’accès pour les arts, là où c’est le plus difficile.

Pourtant l’humour dans les quartiers populaires, c’est hyper important. Beaucoup d’humoristes célèbres viennent d’ailleurs de quartiers populaires, mais les principaux concernés n’y ont pas accès finalement…

Comme d’habitude, comme dans tous les domaines, on est les derniers de la classe, c’est le terminus. Tu es obligé d’aller gratter aux portes. C’est quelque chose qui me dépasse malheureusement, mais pour ce qui est du spectacle, ça ne viendra pas de l’État et ça viendra difficilement des artistes. Je crois qu’encore une fois, il va falloir se démerder tout seul.

Te considères-tu comme un humoriste engagé ?

L’engagement, je trouve que ça donne une espèce de côté vertueux qui m’emmerde. Je considère que j’ai le droit de critiquer les gens qui me dirigent. Si tu as pris cette responsabilité de dire que tu as le pouvoir et que tu décides de ma vie et bien si je ne suis pas d’accord, je le dis.

Pour moi, c’est la personne qui a du pouvoir qui est engagée. Nous, on est désengagés, on subit la plupart des choses. Moi, j’ai pris d’engagement envers personne à part la promesse de faire rire. Je ne me considère pas comme militant de quoi que ce soit. Oui, je veux plus de justice sociale, mais qui n’en veut pas ?

Oui, mais tous les humoristes n’en font pas leur cheval de bataille…

Sans me jeter des fleurs, il faut avoir les capacités de le faire, il faut se renseigner. C’est un autre travail et puis c’est une envie. Est-ce que tu as l’envie d’aller te frotter à ces trucs-là avec les inconvénients que ça implique ? Parce qu’il y a forcément des gens qui ne seront pas d’accord avec toi.

Quand tu fais un sketch sur les brosses à dents, tu as très peu de chance de te planter. Après les autres humoristes font ce qu’ils veulent et on est quelques-uns à être dans notre domaine à nous, on n’est pas beaucoup, mais tant mieux. Faire de l’humour, c’est une manière pour moi d’avoir une voix au chapitre. Je n’aurais jamais fait de politique, ça me dégoute, c’est pour ça que j’en fais des blagues.

Je suis sur le terrain tout le temps, je sens ce qu’il se passe, je vois la frustration, la colère

L’humour, c’est la tribune la plus efficace que je puisse avoir avec mes capacités à moi. Une chronique tout réseau confondu, ça fait trois, quatre millions de vues, je vois qu’il se passe quelque chose.

Aujourd’hui, je suis dans une position où je me suis peut-être un peu extirpé des problèmes d’urgence du quotidien, mais j’ai une famille, j’ai des potes. Je suis sur le terrain tout le temps, je sens ce qu’il se passe. Je vois la frustration, la colère et je me dis qu’avec la tribune que j’ai, si je n’en parle pas, je ne me sentirais pas légitime.

Propos recueillis par Noujoud Rejbi

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