Septembre. Rentrée scolaire. Le coup de feu pour les élèves et leurs enseignants. Le stylo 4 couleurs reprend sa place de roi de la trousse dans le cycle de la vie. Les professeurs, dans leur salle, retrouvent une cour où règne une reine bichonnée, la photocopieuse, à qui l’on passe tous les caprices techniques. Les parents, eux, se demandent dans quel monde parallèle il va falloir « slider » pour trouver une pochette perforée souple rose raisin.

Bien au-dessus des Habsbourg et autres Romanov consanguines, les grandes dames de service combattent tous les jours la mort. A 18h00, dans les salles à nettoyer, kebab, brick au thon et tacos de la veille sont transformés en gaz mortel. Sans parler du couscous merguez, en ébullition dans le corps du prof d’histoire. J’avais déjà assez à faire avec les prénoms de mes élèves; je ne peux pas tout retenir.

Pensées aux grands oubliés de la rentrée : les conjoints de profs

J’aimerais, enfin, accorder toute ma pensée aux grands oubliés de ce tableau, marronnier de toutes les rédactions du pays. Les conjoints de prof, leurs chums, leurs zouzouzes, les maris, plans Q et autres collègues de la friend zone. Ils tremblent ces tristes sires.

Ils ont certainement dû bombarder Londres ou fouetter Kunta Kinté dans une autre vie pour que le destin se mette sur leurs côtes dans celle-ci. La rentrée, pour les vraies victimes de notre système éducatif, c’est le retour des soirées profs. L’enfer est pavé de bonnes intentions et de ces milliers d’anecdotes qui n’auraient jamais dû sortir d’un établissement scolaire.

Je suis Bondynois. Et Algérien avec ça. Plutôt bonne pâte dans mes bons soirs. Un peu poissard aussi. Les journées au consulat, le retour à pied après le dernier train le long du canal, les déménagements à Nantes où à Rocamadour, perdre un pari et lécher un cactus, des petits plaisirs de la vie qui m’ont préparé à absolument tout.

J’ai déchargé un 20 tonnes pour un ami restaurateur au milieu de la nuit, avec quatre statuts de soldat de l’Empereur Quin de 400 kilos chacunes. Je sais désormais que lorsque le dos de granite frappe le dos d’os, c’est le dos d’os qui craque. Je suis entraîné, préparé, affuté pour affronter tous les plans galères de la Terre. J’ai des rames à la place des bras !

Ce n’est pas humain une soirée de profs

Seulement, je ne suis pas un bestiaux. Ce n’est pas humain une soirée de profs. Ils sont dans leur monde et malheur à l’étranger qui y pénètre sans le décodeur. Vous les réunissez dans une pièce autour d’une bonne bouteille et un paquet de chips : le monde autour d’eux disparaît. Nos enseignants sont institutionnalisés. Leur corps bouffe des Mikados mais leur esprit est resté derrière les grilles de leur lycée.

Parler boulot après le travail c’est homo sapiens comme concept. Mais là… il y a beaucoup trop de noms ! 25 par classe en moyenne. Plus les collègues ! Les conjoints ne peuvent pas suivre. Personne ne le peut, même la lumière et sa vitesse ne peuvent pas. Ils n’ont pas fait la réunion de prérentrée et l’histoire d’un établissement, ce n’est pas une passion très répandue. C’est qui ce nain ? Et la blonde qui joue à Atriyu sur son dragon ? On ne regarde pas Game of Thrones, au beau milieu de la saison 4, avec les voix tchèques. C’est ça une soirée prof : la chose la plus incompréhensible qui soit pour un profane.

Les conversations sont alimentées d’anecdotes aussi intéressantes pour le commun des mortels que la neige fondue pour un Inuit. Mais surtout, ces braves, qui font le plus beau métier du monde, nourrissent une passion obsessionnelle pour les acronymes et les abréviations en vogue dans le cercle ultra fermé de leur corporation. Je comprends mieux le Klingon de Star Trek quand ils causent. Exemple :

–  Les TZR de la DSDEN  on en parle ?

–  Carrément ! Mon coPP était avec le CDE à l’AEFE.

– Pour le TPE ?

– Non. Pour la DHG.

– Avec les CC et mes deux CCD je n’ai pas trop suivi. Je suis en consult’ DIMAR.

– DIMAR ?

– Oui mardi ! C’est du verlan : on est muté dans le 9-3 après tout!

– LOL

– MDR

– PTDR

– JPP

– TOZ !!!!!!!!!!!!!

Le dernier est de moi : Prout en bougnoulerie. T’es où Zorro ? Sauve-moi le doliprane…

C’est la raison pour laquelle on a élu Emmanuel Macron, un mari de professeure. Il n’y a plus rien qui lui fait peur. J’avais quoi ? Deux heures de carrière dans l’Education nationale quand on m’a invité à ma première soirée prof.

Pardonnez la vulgarité mais… Nardin bebek ! Tout ce temps à écouter les secrets de la vie scolaire de la 3e A, de la 5e C et des 4e译 d’il y a trois ans. Et les collègues absents qui se font casser assez de sucre sur le dos pour ouvrir une chocolaterie et fournir, en surplus, celle de Willy Wonka.  Le moment le plus intéressant c’est quand je suis parti faire caca. Je me faisais tellement chier.

Alors que les deux profs d’histoire se lançaient dans un exposé sur la crise iconoclaste aux Provinces Unies durant le XVIe siècle, on a même fini par perdre tous les autres enseignants. Ils ont alors retrouvé un peu d’humanité et lancé du pain et un « ca va ? » à leur compagnon de vie. Non ça ne va pas. N’écoute pas le « oui » plein d’amour soupiré pour ta belle âme. Lis dans ses yeux. Ils crient : « Par pitié, tuez-moi ! »

Ce soir-là, j’ai replongé dans ma plus lointaine enfance. Le bled, mon cul sur une pierre, les cailloux que je jetais devant moi pour seule occupation, à attendre que ma mère sorte du mariage de la tata depuis 7 heures du matin. Le soleil en forme olympique, les cousins qui me demandent un million de fois « Como tou ta pile ? ». 

J’ai pété une durite

A quatre ans, le temps passe au ralenti. Alors à minuit, après avoir débarrassé 5 hectares de terre de sa caillasse et m’être fait lourder par le grillon avec qui j’avais sympathisé : j’ai pété une durite. Une colère tellement phénoménale, que le lendemain je dus gravir une montagne, sur le dos de ma mère, pour voir une vieille qui croyait encore que les Romains étaient en Algérie. Elle m’a exorcisé. Ail, huile d’olive, coran : La Kabylie t’attend de pied ferme Dracula.

Il devait me restait un peu de ce djoune, ce mauvais esprit, durant cette première soirée prof. A un moment, mes collègues, qui m’avaient oublié, se sont retournés vers moi. J’étais à oilpé. Nu comme un verre vide. Le Naked man  à la Bondynoise. Il fallait absolument qu’il se passe quelque chose, casser la dynamique mortifère de la soirée. Je plaide la folie passagère.

La victime devient un jour bourreau. Quand au bout de longs trimestres, j’ai pris le pli des soirées profs, j’en ai fait une, moi aussi, au restaurant de mon pote. Je me suis pris une de ces avoinées :

« Sur le coran de La Mecque relié en cuir de Cordoue, Idir, tu les ramènes encore une fois, je te brûle, je te mange et je te bois ! lls ont fait fuir les clients ! Et pour le pourboire, il ne me semble pas avoir dressé leur table dans le Sahara ! C’est pour ça que tu m’as quittée ???!!!! »

Ça devrait être un cas de divorce pour faute, les soirées profs. Laissez vos rombières et les conjoints à la maison. Un amant dans le placard ou une toutouze en furet serait une atteinte moins grave à votre couple, même si on n’est pas communiste. Mais un traquenard pareil…

Dîner de cons va !

Idir Hocini

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