Comme nous l’avons annoncé hier, nous publions ici la suite de l’interview du candidat Stéphane Pocrain par le Bondy Blog. Les lecteurs voudront bien nous pardonner la longueur de ce texte. Contrairement aux journaux et aux émissions de TV, les pure-player ne connaissent pas de limite de place. Nous avons décidé de tirer parti de cet avantage pour passer l’entretien dans son intégralité. Les autres candidats qui voudront nous rencontrer auront droit au même traitement, avis aux amateurs !

(Hanane Kaddour) Vous n’êtes plus chez les Verts et affilié à aucun parti. Quelle sera votre écurie dans cette campagne ?

Nous sommes en train de créer un nouveau parti politique. Comment remettre en mouvement un certain nombre d’idées dans le débat public ? On ne peut pas le faire seul. A l’élection présidentielle, on présente toujours une personne. Certes, je suis candidat, mais au nom d’un collectif, des gens qui viennent de plusieurs horizons. Des gens qui travaillent sur les banlieues mais aussi des gens qui s’interrogent sur le fait qu’en France, c’est toujours à l’Etat de décider si deux conjoints du même sexe peuvent se marier ou pas, avoir des gosses ou pas. Des intellos mais aussi des militants associatifs ou des déçus du PS, qui en avaient marre de compter les points dans les réunions entre chefs de file. Et, bien sûr, des écologistes qui pensent que les Verts ont tendance à oublier que l’écologie devrait concerner d’abord les classes populaires. Je vous donne l’exemple d’une mesure prioritaire pour moi. En France, il y a une norme dans la construction des bâtiments ou des lieux publics qu’on appelle HQE pour « haute qualité environnementale ». Pourquoi ne déciderait-on pas, puisque la priorité c’est la banlieue, que tous les logements sociaux qui s’y construisent doivent respecter cette norme ? Et là-dessus, la France pourrait être la championne d’Europe. Les Verts se battent pour la HQE mais pas assez pour les classes populaires. Il faut mener les deux combats en même temps, parce que l’environnement c’est aussi une question sociale. Quels logements sont mal isolés ? Ceux des gens qui n’ont pas de moyens. Qui se chauffe, très cher, à l’électricité ? Les foyers les plus modestes. Les écolos qui pensent comme moi sont en train de me rejoindre.

(Hanane Kaddour) Vous avez de l’argent pour mener votre campagne ?

Pas assez. Je ne suis pas héritier, je ne suis pas rentier. En plus, comme là j’arrête de faire de la télévision, cela ça va être financièrement un peu compliqué. Mais je fais le pari qu’en utilisant les nouvelles technologies, comme Internet, on peut lever des sommes relativement importantes. Je pense que des gamins qui sont capables d’envoyer des textos surtaxés à la Star Academy pour choisir Magali ont aussi le droit de choisir leur candidat à la présidentielle. Je ne vois pas pourquoi, au lieu de dire « élimine Magali », on ne pourrait pas dire « vote Pocrain ». J’ai vraiment envie qu’on crée une formation politique qui s’inscrive dans la durée et que cette campagne soit citoyenne aussi dans ses modes de financement.

(Sada Fofana) Quelles seront vos premières mesures si vous êtes élu Président ?

Pour moi, l’urgence des urgences, c’est la caisse nationale pour l’autonomie de la jeunesse. Je pense aussi qu’il faut une conférence nationale sur la ville, un peu comme à la fin de mai 68, il y a eu les Accords de Grenelle. Le prochain président doit mettre en place d’urgence une conférence nationale pour la ville, dans laquelle on va discuter de choses très concrètes, comme le triplement des moyens de la de protection judiciaire de la jeunesse. Nicolas Sarkozy dit que la prévention ne marche pas, qu’il n’y a que la répression. Je l’invite à faire un tour dans les prisons surpeuplées pour voir que quand on rentre en prison avec un BEP en criminalité, on en ressort à bac + 5. Les gens qui sortent de taule ne sont pas réinsérés. Et comme j’en ai marre qu’on tape sur les parents de banlieue, en disant qu’ils ne savent pas tenir leurs mômes, que toute manière « c’est normal  parce qu’il n’y a que des polygames », je dis : posons la question des moyens financiers pour la protection judiciaire de la jeunesse, de la politique familiale dans ce pays, du statut d’autonomie de la jeunesse. Cette conférence nationale nous permettra aussi d’aborder, avec les élus de terrain et les militants associatifs,  la question de la construction massive de logements sociaux, le redécoupage de la carte scolaire, les transports en commun, la création d’entreprise dans les quartiers, etc.

(Nadia Boudaoud)  Avez vous le sentiment de représenter les jeunes des émeutes de novembre ?

J’ai été porte parole des Verts parce que j’ai été élu par une assemblée militante. Aujourd’hui, personne en France ne peut dire « je suis le porte parole des jeunes de banlieue, » ou alors « le porte parole des Noirs , des Maghrébins, des discriminés ». Ce qui compte, ce sont les propositions politiques pour changer la situation Pendant des années, quand on parlait de la question des discriminations raciales, on nous disait : « ce qui compte, c’est d’abord la question sociale, il faut se battre sur la question du chômage, pour l’augmentation du SMIC, pour les minima sociaux ». Ce faisant, on oubliait tranquillement de prendre en compte le fait qu’il y a des gens qui ne trouvent pas de boulot parce qu’ils sont noirs ou arabes ! Et maintenant il y a un effet de mode contraire : priorité à l’ethnique ! On camoufle la question sociale, celle des classes populaires. Aux Etats-Unis, l’affirmative action a fait émerger une élite noire, comme Oprah Winfrey. C’est la journaliste la plus célèbre, la plus riche, elle est noire. Mais en même temps, les prisons américaines sont remplies de Latinos, de Portoricains et de Noirs. Sarkozy essaie de nous faire croire que la situation des Noirs et des Arabes va s’améliorer d’un coup de baguette magique, sans toucher à la question de la répartition des richesses dans ce pays, sans avoir une nouvelle politique fiscale, sans lutter contre le chômage de masse. C’est pipeau. L’arbre des discriminations ne doit pas cacher la forêt des inégalités.

(Samy Khaldi) Comment allez-vous financer toutes les mesures que vous présentez ?

Je considère d’abord que la France n’est pas un pays pauvre. Il y a de l’argent, mais dans un certain nombre de domaines, il est très mal employé. Prenons la jeunesse. Aujourd’hui, il y a de multiples allocations, pour le logement, les études, etc. Le simple fait de regrouper ces différentes allocations dans une seule caisse, comme je le propose, dégage 7 milliards d’euros. Ces mesures pour la jeunesse, c’est aussi une politique qui mécaniquement remet des fonds dans l’espace social, notamment parce que le jeune, quand il a un boulot, il peut consommer, cotiser pour sa sécu, sa retraite… Il faut aussi accepter de ré-ouvrir la discussion avec le patronat sur des questions qui fâchent : voilà des gens qui ont des retards dans les diverses caisses où ils cotisent et auxquels on ne demande pas de verser l’argent qu’ils doivent à l’Etat. Et puis il y a aussi des économies, mais c’est ma vision d’écolo, à faire au ministère de la Défense. On a la même doctrine en matière de dissuasion, notamment nucléaire, qu’il y a 30 ans. Sauf que le monde a changé.

D’une manière générale, C’est moins un problème d’argent que de choix politique. La solidarité nationale a un coût. Mais le chômage a aussi un coût.

(Hakim Azzoug) Vous ne risquez pas de diversifier la gauche, et de créer un 21 avril bis ?

Comme vous l’avez dit vous-même, ça va diversifier, pas diviser ! Personne ne me donnera des complexes de n’avoir pas voté Lionel Jospin au 1er tour. Si on veut comme aux Etats-Unis un grand parti démocrate et un grand parti républicain qui sont d’accord sur l’essentiel, il faut le dire clairement. Il faut se souvenir un peu de l’histoire. En 1981, Mitterrand avait quasi autant de candidats à gauche du PS que Jospin qu’en 2002. La différence, c’est que Jospin n’est pas Mitterrand. La différence, c’est que François Mitterrand a su rassembler la gauche pour battre la droite. Lionel Jospin avait plutôt un bon bilan, mais pourquoi a-t-il accepté de suivre la droite sur certains éléments, comme l’insécurité ? Pourquoi un homme de gauche a-t-il commencé sa campagne en disant « mon projet n’est pas socialiste » ? Moi je maintiens que la priorité dans les quartiers, si on veut agir contre l’insécurité, c’est la baisse du chômage Quand la gauche hésite à savoir si elle va voter ou pas le couvre feu pendant la crise dans les banlieues, je n’ai pas le sentiment que c’est moi qui divise la gauche. J’ai le sentiment qu’il y a un certain nombre de gens de gauche qui oublient quelle est l’utilité sociale de la gauche. Et aujourd’hui, la situation est extrêmement dangereuse. Les sondages disent que Ségolène Royal bat Sarkozy au second tour, tant mieux. Mais que disent-ils pour le 1er tour ? Que la droite est devant la gauche. Ca veut dire que l’offre politique portée par la gauche au 1er tour n’est pas suffisante. Mon boulot c’est ne pas de piquer les voix des Verts, du PC, de la LCR ou du PS… si certains de leurs électeurs veulent voter pour moi, c’est très bien. Ca veut dire qu’ils auront considéré que je porte mieux  que les partis que je viens de citer, les valeurs de la gauche – mais ma principale mission, c’est de donner envie à des gens qui ne votent pas d’aller voter. Mon rôle n’est pas de diviser la gauche, mais de multiplier les voix de la gauche.

(Mohamed Hamidi)  A votre avis, comment va être accueillie votre candidature par les représentants de la gauche et des Verts? Allez vous tenir la route jusqu’à la présidentielle, recueillir les 500 signatures, ou voulez vous juste agiter le débat, jouer le lièvre ?

Sur la première question, je ne vais pas répondre. Je ne veux pas faire de commentaires sur les commentaires. Je pense qu’ils vont prendre ma candidature au sérieux. Quand je vois que dans les intentions de vote, les Verts sont donnés entre 1 et 2%, je pense qu’ils auraient tort de mépriser la candidature d’un de leurs anciens porte-paroles. Quand on voit les difficultés que le Parti Socialiste a pour parler à la jeunesse, à la France des banlieues, à la France qui travaille ; quand on voit que toutes les luttes qui ont été victorieuses contre le gouvernement de droite sont parties de la jeunesse – en particulier le CPE – ils auraient tort de considérer que ma candidature n’est pas utile.

Et sur la 2ème question, je n’ai pas un tempérament à jouer le lièvre. 500 signatures, c’est possible. Il y a 36 000 communes dans ce pays. Je sais qu’un certain nombre de maires de terrain, de conseillers généraux ont envie de ma candidature. Les discours sur la division de la gauche conduisent aussi à l’impuissance politique. L’idée, ce n’est pas de faire un coup, c’est de transformer le paysage politique français. Il y a quelques temps, on se moquait de François Bayrou lorsqu’il disait que l’UDF allait résister à l’UMP. Comme il a eu le courage d’affirmer ses convictions, il n’a pas disparu du paysage politique. Certes, il n’est pas majoritaire dans la droite aujourd’hui, mais il compte dans le paysage.

(Mohamed Hamidi) Donc, en gros, vous seriez le centre de la gauche ?

Le cœur de la gauche. Les électeurs de gauche sont beaucoup plus à gauche que ce qu’a fait la gauche au gouvernement. C’est d’ailleurs pour ça que Jospin n’est pas arrivé au second tour. Il y a plein d’électeurs qui ont préféré voter Noël Mamère, qui était pour la régularisation des sans-papiers, pour l’écologie, pour le mariage gay. Ils ont préféré voter Besançenot, parce que Besançenot était pour la justice sociale, pour la préservation du système de retraite. Ils ont préféré voter Christine Taubira, parce qu’elle était pour une République qui s’ouvre à sa diversité.  Je suis persuadé qu’on est capable dans les mois qui viennent d’avoir des surprises. C’est ce qu’a révélé le vote du 29 mai. Ce que j’ai retenu de la campagne du référendum, c’est que les gens avaient envie qu’il y ait de la politique, qu’il y ait du débat politique. Si on pense que les Français veulent simplement voter pour des grands partis installés, je n’ai aucune raison d’aller à la présidentielle. Il n’y a que des coups à prendre. Mais je respecte suffisamment le peuple de mon pays pour savoir aujourd’hui que les Français veulent du débat, ils veulent des idées, ils veulent du changement, ils veulent de la volonté. C’est aussi une question de démocratie, de renouvellement démocratique. On a un gouvernement de droite qui perd toutes les élections, depuis le 21 avril, qui se fait battre dans la rue par 3 millions de personnes, qui est pris dans l’affaire Clearstream et qui ne démissionne pas. Et moi je n’aurais pas le droit de me présenter à l’élection présidentielle ?

(Essi Gnaglom) Il paraît que vous allez ouvrir un blog. Qu’est-ce qu’on y trouvera ?

Des choses assez différentes. Ce sera un blog de campagne, dans lequel on va développer nos propositions. Parce que là, tout ce que je vous ai dit, ça reste un peu allusif, c’est une discussion à bâtons rompus. Il y aura le programme, et des choses plus personnelles, une espèce de carnet de route de la campagne, où je raconterai ce que disent les gens. J’aime bien écrire et j’aime aussi l’idée d’interactivité. Ma campagne sera, peut-être pour la 1ère fois en France, une vraie campagne internet, une cyber-campagne. Je mise beaucoup sur cet outil de communication. Il y a beaucoup d’hommes politiques qui font des blogs dans une logique verticale, leur parole doit descendre vers le peuple. Mais les équipes qui travaillent avec moi réfléchissent à faire un blog qui soit réellement transversal, horizontal, où je puisse réellement me faire interpeller, où les gens puissent aussi alimenter ma démarche de candidat.

(Hakim Azzoug) Quelles sont vos relations avec les autres partis de gauche ?

Je ne me connais pas d’ennemis à gauche. Ma priorité pour 2007, c’est que le gouvernement actuel et tous ses représentants soient battus. Pour ça, la gauche doit élargir son offre politique redonner envie à des gens qui n’allaient plus voter, répondre aux attentes de changement qui se sont exprimées le 29 mai ou dans les quartiers de façon violente. Réapprendre à écouter la voix de la jeunesse telle qu’elle s’est fait entendre dans les manifestations sur le CPE. Elle doit arriver à se rassembler pour battre la droite. Quel rassemblement ? Je me sens en phase avec quelqu’un comme Arnaud Montebourg. Sauf que j’observe avec intérêt qu’il est minoritaire au PS. Je ne pense pas qu’il soit minoritaire sur ses idées, il est tenu en minorité. Et si des gens comme Arnaud Montebourg, José Bové, Christine Taubira, Noël Mamère pouvaient être dans la même formation de gauche, pour que la gauche soit vraiment à gauche, et qu’on soit majoritaires, je serais le premier à les accueillir. En créant une nouvelle force politique, je pose quelques jalons. Je pense qu’il va falloir un nouveau grand parti à gauche, majoritaire à gauche, et qu’il faut bien à un moment donné que quelqu’un s’y colle et pose la première pierre. Je sais bien que seul, je ne serai pas majoritaire. Mais je dis à tous ceux qui, à un moment ou un autre, sont minoritaires dans leur formation alors qu’ils sont majoritaires dans le peuple de gauche, je leurs dis qu’il faudra oser poser la question d’une nouvelle formation à gauche.

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