Depuis l’annonce fracassante de la dissolution de l’Assemblée nationale, trois personnes ont péri sous les balles des forces de l’ordre. À Cherbourg (Manche), quelques heures avant la prise de parole présidentielle, un jeune homme a été touché par une balle dans le dos. En Nouvelle-Calédonie, le décès d’un indépendantiste a fait grimper le bilan meurtrier à neuf morts. Le 19 juin dernier, la ville d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis, a été endeuillée par la mort d’un habitant suite à une intervention de la police.

Au petit matin, Yahya Diakité, un Ivoirien de 47 ans, a été abattu par la police municipale de la ville, armée depuis 2021. Selon les autorités, la victime aurait agressé un agent de la propreté avec un tournevis avant de s’en prendre aux forces de l’ordre. Plusieurs enquêtes ont été ouvertes pour « violences volontaires avec arme sur personne chargée de mission de service public et personne dépositaire de l’autorité publique ». Le tireur, quant à lui, a été placé en garde à vue pour « violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner par personne dépositaire de l’autorité publique ». 

Une cinquantaine de personnes ont participé au rassemblement. Yahya Diakité était une figure connue du quartier. ©MélineEscrihuela

Un drame à la forte symbolique politique

« Il était fragile mentalement », glissent les habitants du quartier, ce mercredi 21 juin. « Mais il n’a jamais agressé personne », s’empressent de préciser les personnes interrogées. À l’heure de la sortie des classes, une cinquantaine de personnes s’est rassemblée sur les lieux de la mort de Yahya : une école, un passage piéton et un bistrot où la victime avait ses habitudes. Quelques gamins paradent avec de la peinture sur le visage, signe du cours d’art plastique qui touche à sa fin. D’autres enfants rejoignent le rassemblement accompagnés de leurs mamans. « Yahya était le visage du Landy. Il était connu de tout le monde », appuie Fatima Yaou, conseillère municipale d’opposition dans cette ville dirigée par une maire de centre-droit.

«  La police aurait pu trouver un autre moyen de l’immobiliser »

Organisé en deux temps trois mouvements, le rassemblement réunit des habitants du quartier, l’Union locale Solidaires Aubervilliers et le député sortant de la circonscription, Bastien Lachaud (LFI), qui concourt sous les couleurs du Nouveau Front Populaire. « Après la mort de Yahya, il y a eu un silence assourdissant. Ce n’était pas possible de ne rien faire », souffle Fatima Yaou, à l’origine de l’hommage.

Depuis une vingtaine d’années, Yahya Diakité traînait dans les ruelles de la « petite Espagne », un quartier entre Saint-Denis et Aubervilliers. Originaire de Côte d’Ivoire, sa santé mentale s’est dégradée au fil des années. Sa famille évoque une histoire d’usurpation d’identité qui aurait marqué le début de ses problèmes médicaux et financiers.

Yahya finit à la rue. « Il a essayé de se soigner, mais les médicaments l’endormissaient. Il voulait se battre seul », explique l’une de ses sœurs, Salimata. «  Voyez comme il était beau », insiste Aïssata, une habitante du quartier qui tient une photo du défunt. « Cette histoire d’usurpation a détruit toute sa vie », pointe-t-elle, émue aux larmes.

Pour subvenir à ses besoins, Yahya était mécanicien selon certains, électriciens selon d’autres. Des petits jobs ici et là, un travail de subsistance, pratique commune dans les quartiers populaires. « Il faisait un peu de tout. Parfois à titre gratuit », se remémore Demba, un habitant de Landy. « On venait le voir parce que c’était quelqu’un d’intelligent. Il savait aussi bien réparer une enceinte bluetooth que peindre des vitres teintées », poursuit Geoffrey, un autre habitant d’Aubervilliers.

Yahya Diakité pratiquait la mécanique sauvage : il réparait les voitures à bas coup. Au bistrot Chez Marko, certains plats lui étaient servis gratuitement. ©MélineEscrihuela

« Voilà à quoi ça mène d’être à la rue »

Faute de mieux, Yahya dormait dans sa voiture qui lui servait de « refuge ». Selon Aïssata, sa voiture aurait été enlevée par brigade propreté de la ville à l’occasion de l’opération de nettoyage « Grande lessive » organisée conjointement par les agents de la ville et la police municipale. « Ce n’était pas la première fois que la mairie lui enlevait sa voiture », rapporte cette même habitante. Cet enlèvement aurait pu être à l’origine d’un accès de colère. « Mais la police aurait pu trouver un autre moyen de l’immobiliser », soufflent les habitants du quartier.

Si on ne gagne pas ces élections, on est tous foutus

Deux jeunes discutent. « Voilà à quoi ça mène d’être à la rue », lâche l’un d’eux. Bastien Lachaud, qui mène campagne dans la circonscription d’Aubervilliers et Pantin, voit dans la mort de Yahya Diakité, « le drame de l’immigration, la faillite de l’accueil et le problème du maintien de l’ordre ». « Il n’y a pas eu d’accueil, pas eu d’hébergement, pas eu de soin là où il en aurait fallu », constate-t-il.

Les deux sœurs de Yahya Diakité lors de l’hommage à leur défunt. ©MélineEscrihuela

Et après ?

« Trop c’est trop », explose Demba en prenant la parole. Le quarantenaire vit dans le quartier de Landy depuis sa naissance ou presque. Il raconte les provocations et la violence de la police municipale. « Votez, sinon on va être comme des chiens », lance-t-il à la volée.

Si on ne gagne pas ces élections, on est tous foutus

Fatima Yaou, elle aussi, rappelle l’échéance du vote. « Il faut dire aux jeunes, à ceux qui ont des papiers d’aller voter. Il y en a qui n’ont pas le droit de vote, mais qui aimeraient le faire ! », fait remarquer la petite dame aux plus grands. « Si on ne gagne pas ces élections, on est tous foutus », craint-elle aussi.

Avant de se quitter, Demba nous promet d’organiser une marche dans quelques jours. Une cagnotte sera mise en place à l’accueil de Chez Marko, le bistrot dans lequel Yahya avait l’habitude de commander des allocos. « On ne va pas se laisser faire », assurent les habitants. « On souhaite se battre », rebondit Salimata, la sœur du défunt. La famille a déposé plainte un peu plus tôt dans la journée.

Méline Escrihuela

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