Devant la grille du lycée Simone-de-Beauvoir de Garges-lès-Gonesse, une vingtaine d’enseignants s’affichent en grève ce vendredi 11 mai. Ils protestent contre le manque de moyens dont ils disposent pour aider leurs élèves. Du côté des syndicats, la CGT et SNES sont représentés parmi les enseignants, affirme Lucie Durant, l’une des deux CPE de l’établissement, qui précise toutefois que certains enseignants mobilisés, comme elle-même, ne sont pas syndiqués.

Garges-lès-Gonesse est l’une des communes les plus pauvres du pays, avec un taux de pauvreté de 39,5% et un taux de chômage de 21,7%, selon des données 2014 de l’INSEE. L’établissement est l’un des deux lycées de la ville, et le seul à proposer des filières générales, en plus de deux filières technologiques. Sans surprise, la situation de ce lycée de 1061 élèves reflète celle de la ville, avec un taux de réussite au bac de 75% qui chute autour des 65-66% dans les filières L et ES.

Recrudescence des incidents

Les effectifs des classes ont déjà été exceptionnellement maintenus à 30 élèves au maximum. Mais la mesure ne suffit pas, estiment les enseignants. Pour la rentrée prochaine, ils craignent une perte d’heures liée à une réduction prévue des effectifs. Pour enseignants et CPE, la situation requiert au contraire une augmentation des heures, le contexte étant à la « recrudescence des incidents violents et des situations très problématiques », écrivent-ils dans leur état des lieux de l’année 2017-2018. En conséquence, il demandent une nette augmentation du nombre d’heures dont ils disposent, ainsi qu’un troisième CPE.

« Nous avons des élèves qui nécessitent beaucoup d’accompagnement sur le plan éducatif, mais aussi sur le plan social », explique Lucie Durant. Elle et sa collègue s’occupent de plus de 500 élèves chacune. « Nous sommes sollicités en permanence. Nous sommes aussi confrontés à un absentéisme très important et au décrochage. Lutter contre cela, mener des projets où les élèves pourraient s’impliquer, cela requiert du temps. Mais nous n’avons jamais le temps ».

« On se démultiplie sur tout, renchérit Mathieu, professeur d’histoire-géographie. On voit des situations de misère sociale, culturelle et cognitive abyssales. Je me sens parfois plus travailleur social qu’enseignant. La charge mentale est énorme ».

Places insuffisantes

Outre les difficultés sociales et économiques, beaucoup d’élèves présentent de grandes lacunes sur le plan scolaire, notamment en langue française, déplorent les enseignants. « L’un de mes élèves ne savait pas ce que voulait dire le mot ‘laideur’… Nous avons des élèves qui ne comprennent pas les textes qu’ils lisent, ni les consignes », s’inquiète Jean-Marc Salinas, professeur de français.

En plus de ces difficultés, une orientation pas toujours adaptée, faite en fonction des places disponibles plus que du profil, contribue aussi à décourager les élèves. « Il y a des élèves qui demandent la filière technologique mais ne peuvent l’avoir, faute de places. En filière générale, ils n’arrivent pas à suivre, explique Mathieu. Et dans le supérieur, au vu de la réputation du lycée, Parcours Sup ne va pas arranger la situation ».

Pour ceux qui échouent au baccalauréat, la situation s’aggrave. « Nous avons des élèves qui ont raté le bac et ne peuvent plus être réinscrits au lycée car il n’y a pas de places suffisantes. Ils viennent tout de même nous voir pour nous demander des cours. On ne peut pas refuser », témoigne un enseignant. « Nous faisons donc un grand nombre d’heures supplémentaires non rémunérées. On ne peut pas hiérarchiser les élèves. Le système tient donc grâce à la conscience professionnelle de ceux qui veulent faire leur travail correctement. Mais malgré cette conscience professionnelles, il y a beaucoup d’élèves dont on n’a pas pas le temps de s’occuper correctement », regrette Lucie Durant.

« Il semble qu’on abandonne les lycées de banlieue »

Selon les enseignants, une augmentation du nombre d’heures permettrait un dédoublement plus fréquent des classes et donc aux enseignants de travailler avec les élèves en nombre restreint. « En petit groupe, on a le temps de faire de la méthodologie. En classe entière, ça ne fonctionnera pas », affirme Thalia Denape, jeune enseignante de SES syndiquée à la CGT. « Avant, je blâmais les profs qui ne voulaient pas rester en zone sensible. Maintenant, au vu des difficultés rencontrées, je peux les comprendre. Ce n’est pas à cause des élèves, qui sont réceptifs et peuvent faire preuve d’une reconnaissance folle. C’est le cadrage qui ne correspond pas à leurs besoins ».

Avant Garges, Thalia Denape était en stage à Orléans. Elle se dit étonnée par la différence de moyens déployés entre les deux établissements qu’elle a fréquentés. « Il semble qu’on abandonne les lycées de banlieue », déplore-t-elle. Son collègue Cyril de Pins, professeur de philosophie, renchérit : « Les classes sont très hétérogènes et beaucoup d’élèves ont d’immenses lacunes. Nous sommes contraints à faire des compromis déchirants qui sacrifient soit les bons élèves, soit les élèves en difficulté ».

« On ne se sent pas prioritaires »

Devant l’établissement, un groupe d’élèves discute. L’une d’elle, Awa, 17 ans et élève de Terminale ES, confirme le constat : « On ne se sent pas prioritaires. On sait qu’on n’a pas les mêmes chances que les lycées parisiens, et si on nous retire des moyens, on va encore plus être sous l’eau ». À ses côtés, Karim, en Terminale lui aussi, craint l’augmentation des effectifs : « Déjà à 30 par classe, c’est beaucoup. Il y a des élèves qui font du bruit dès le début. Alors si on est plus nombreux, ça va être catastrophique… »

Et les parents dans tout cela ? Difficile de les atteindre, regrettent les enseignants. « Beaucoup de parents ne sont pas disponibles à cause du travail. Souvent, ils font confiance à l’institution et ne viennent que lors des réunions parents-profs… et encore », souligne la CPE. Certains parents sont toutefois mobilisés. Parmi eux, Yahia Salibi, père de trois enfants, tous passés par le lycée Simone-de-Beauvoir.  Deux sont aujourd’hui avocats, et son dernier est en Seconde. « Je me bats pour mon fils et pour les autres enfants. Je paie des professeurs particuliers et m’implique beaucoup dans la scolarité de mes enfants, mais tous les parents ne peuvent pas se le permettre ». Pour le chef d’entreprise à la retraite, il y a une « négligence » de la part des institutions : « Les élèves paient ce laxisme. La banlieue est négligée. C’est dangereux pour la société sur le moyen et long terme. On se demande pourquoi l’État ne fait pas ce qu’il faut pour qu’on réussisse ».

Une maman déléguée, qui préfère garder l’anonymat, confie quant à elle qu’elle aimerait scolariser ses enfants dans d’autres établissements. Pour elle, il faudrait surtout mettre en place une meilleure coordination entre les enseignants des niveaux maternelle, primaire et secondaire, et réduire le nombre d’élèves par classe. « On a l’impression que ce sont ceux qui râlent qui obtiennent des choses, mais à chaque année, il faut recommencer, désespère-t-elle. Il y a de bons élèves dans l’établissement, mais le contexte les tire vers le bas ».

Priorité au bac

Un rassemblement devant la Direction académique a été organisé vendredi en fin de journée, à l’occasion d’une réunion avec l’inspection académique. Du côté de l’institution, notre interlocuteur indique que les dotations des établissements du département sont établies en fonction de leurs problématiques, et ajoute que l’institution accompagnera le lycée dans le suivi de ses projets.

À l’issue de la réunion, un poste ouvert à des CPE stagiaires à mi-temps a été créé pour un an, et une dizaine d’heures, voire plus, pourraient être accordées, sous réserve de proposition d’un projet motivé, indiquent les enseignants. Ils estiment la réponse insuffisante. Mais pour l’heure, priorité au bac.

Sarah SMAÏL

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