Devant la fresque du collège Nelson Mandela au Blanc-Mesnil, il règne une ambiance bon enfant ce vendredi 21 novembre : les élèves s’affairent avec des bombes de peinture, se parlent, rient, se prêtent des marqueurs, voire même chantent : la « Valse à Mille Temps » de Jacques Brel est entonnée par des élèves qui font partie de la chorale de l’école. Sur le mur apparaissent les visages de plusieurs icônes historiques : Bob Marley, Malala, Martin Luther King Jr., Rosa Parks et l’Abbé Pierre, peints par les élèves en petit groupe. N’Famoussa et Ibrahima, tous deux élèves de 6e, travaillent aujourd’hui sur Bob Marley. Pourquoi ce choix? “Comme Bob Marley c’était un peu le plus facile, on a choisi ça,” explique N’Famoussa. “Non c’était pas facile, c’était difficile !” le coupe Ibrahima. 

Pour cette deuxième édition du projet graffiti du collège Nelson Mandela, seize élèves de différents niveaux ont été sélectionnés pour réaliser une fresque dans l’établissement. Aujourd’hui, c’est le dernier jour de travail sur cette fresque intérieure, qui sera présentée au public en fin d’année scolaire, pour la fête de l’établissement. En avril, les élèves s’attèleront à réaliser une fresque extérieure, sur un mur de la cour du collège. 

L’artiste 2Rod accompagne les enfants du collège Nelson Mandela dans la réalisation de la fresque

Ce n’est pas la première fois que Cyril Paziot, enseignant en musique au collège, supervise un tel projet : l’année dernière, il avait déjà piloté la fresque du mur extérieur de l’établissement, qui s’était soldée en juin 2018 par un vernissage plein de fierté pour les enfants et le personnel impliqués dans le projet. Parmi les partenaires en soutien : la région Seine-Saint-Denis, la ville du Blanc-Mesnil, la Place (centre culturel Hip Hop des Halles à Paris) qui leur a permis de trouver des artistes pour aider au projet comme Swen 93 MC, 2ROD et Raphe HEC. Cyril Paziot explique ce choix d’artistes par leurs appartenance à différentes générations de graffeurs : Swen 93MC et 2ROD ont fait partie des premiers et Raphe HEC est un graffeur assez jeune. L’idée était de voir les différents styles de graf et différents thèmes.

Des élèves enthousiastes

Pour les élèves, le projet est une opportunité de voir le dessin d’un oeil nouveau. N’Famoussa aime dessiner depuis le CP mais ce n’était qu’un hobby. Son comparse, quant à lui, aime danser. “On voulait essayer d’apprendre à dessiner, et c’était aussi pour décorer le collège. C’était un moyen de s’occuper aussi », explique Ibrahima. Il est très exigeant avec ses dessins : “Des fois quand je dessine, si je rate et que mon trait part en zigzag, je déchire la feuille. » Les deux élèves voient dans cette fresque un moyen de s’exprimer, mais ce qui les intéressait surtout, c’était d’utiliser les bombes de peinture.

Le projet a aussi fait naître un intérêt nouveau pour le collège chez N’Famoussa et Ibrahima, de par la couleur ajoutée aux murs de l’établissement : “Quand on a fait la visite du collège [en CM2 ndr], c’est la première chose qu’on a vue. On s’est dit que s’il y avait encore un projet graffiti, on allait s’y inscrire,” raconte N’Famoussa.

La fresque extérieure réalisée au collège Nelson Mandela l’an dernier

J’arrive pas à me dire que c’est nous qui avons fait tout ça, aussi bien celui-là en intérieur que celui dans la cour. Au début, on se disait qu’on n’y arriverait jamais, et maintenant on est très content de nous !

Un avis partagé par des élèves qui avaient déjà participé au projet l’année précédente comme Sandro, élève de 4e, et Kewyian-Abeba, en 5e : “Avant, c’était tout gris, et dès qu’on a commencé à travailler avec la couleur, c’est devenu plus joyeux », se réjouit Kewyian-Abeba. Surtout, ce projet leur a permis de découvrir une nouvelle voie et de changer leur rapport à l’art : si avant, Sandro aimait déjà dessiner, ce n’était pas le cas pour Kewyian-Abeba, qui préfère le chant : “Je me suis dit que ça pourrait changer de ce que je fais tout le temps, c’est plus accessible et plus facile à comprendre que les peintures de Picasso, et même si l’on en voit un peu partout, ce n’est pas le même cadre dans un collège”, résume Kewyian-Abeba. “Et c’est impressionnant !” ajoute Sandro, secondé par Kewyian-Abeba : “J’arrive pas à me dire que c’est nous qui avons fait tout ça, aussi bien celui-là en intérieur que celui dans la cour. Au début, on se disait qu’on n’y arriverait jamais, et maintenant on est très contents de nous !” Un peu comme les personnes dessinées sur le mur, qui elles aussi ont fait des choses que l’on pensait impossibles.

Alicia, élève de 5e, et Alyssia, en 4e, travaillent principalement sur le portrait de Malala Yousafzai. Grâce à cette fresque, elles ont changé de perception vis-à-vis du graffiti. « Avant, on pensait que c’était pour les racailles », déclarent-elles en riant. Elles en sont même venues à préférer cette forme d’art à la peinture classique. “On peut mettre plus de couleurs, plus de formes, plus de fantaisie,” estime Alicia, prenant l’exemple d’une ré-imagination de la Joconde où cette dernière était plus colorée, plus vivante. Pour elles, le graffiti est la preuve que la peinture n’est pas quelque chose de daté : “On est jeunes et on voit bien que ça nous intéresse tous”.

L’enseignant raconte qu’il n’a pas été facile de mettre en place un tel projet : “ J’ai passé une année à écrire des lettres, et un an et demi à le préparer,” confie Cyril Paziot. Il s’inscrit dans une continuité pédagogique. Cyril Paziot s’intéressant beaucoup au hip hop, il l’enseigne dans son cours, avec tout l’historique derrière. Le projet a donc une portée éducative, et son objectif est pédagogique et sensibilisateur : il doit permettre de “développer et valoriser les compétences nécessaires à tout type de parcours professionnel” selon l’enseignant. « La motivation, l’écoute, le partage d’opinion, la patience, la conception d’une idée dans un cadre budgétaire et temporaire précis et l’originalité.” Le projet est une opportunité de croisement des disciplines, d’utilisation de l’esprit critique sur l’art urbain et ses résonances, afin d’apprendre la citoyenneté et le vivre ensemble en partageant une culture hip hop particulièrement présente en Seine-Saint-Denis. 

Transmettre une passion pour le graffiti et l’art en général

L’engouement des enfants ne manque pas de servir la cause des artistes, qui ont l’air d’autant s’amuser à travailler les couleurs qu’eux. 2 ROD et Swen 93MC graffent tous les deux depuis plus de 30 ans et animent depuis une quinzaine d’années des ateliers sur le graffiti avec des enfants. Ils étaient déjà venus aider Cyril Paziot l’année dernière sur la fresque extérieure, mais c’est la première fois qu’ils participent au projet de A à Z. Dès qu’on a la possibilité de redistribuer un peu ce que l’on a appris dans la rue on le fait” explique Swen 93MC, qui a fait partie de la branche graffiti de 93 NTM. “Aujourd’hui, c’est vital de transmettre le graffiti aux plus jeunes, principalement parce qu’il est confondu avec le street art.

Et il ne faut pas confondre le street art et le graffiti ! “Le street art c’est les arts de la rue, ça peut être n’importe quoi, l’idée c’est d’engouffrer tous les arts de la rue dans un seul mot, et ça nous efface. C’est le nom commercial du graffiti.” Swen 93MC explique notamment ce changement par le déplacement d’une exposition de Paris – à l’origine appelée Tag – à Monaco. “A Monaco le tag ça parle pas, c’est pas vendeur. Ils ont appelé ça street art et le nom est resté quand elle est revenue vers Paris.” Swen 93MC invite les enfants à voir le graffiti comme une passion, et non pas un métier, et à ne pas abandonner une passion juste parce qu’on pense être mauvais : “Les enfants me disent ‘Oh monsieur, le dessin vous l’avez fait en deux minutes!’ Oui, mais j’ai mis 35 ans à le faire en deux minutes,” souligne l’artiste.

C’est important de leur transmettre des codes de dessin ou d’images qu’ils puissent s’approprier, et qu’ils ne soient pas juste spectateurs

Pour 2 ROD, l’intérêt de transmettre le graffiti aux générations futures est surtout de transmettre une passion pour l’art dans toutes ses formes, et pour le graffiti qui n’est pas souvent valorisé comme tel : “On peut faire tout ce que l’on veut comme activité, du tir, de la musique, et caetera, mais nous dans le graffiti on n’a pas de place, donc c’est important de transmettre l’art aux plus jeunes. De plus, nous sommes dans un monde d’images, et c’est important de leur transmettre des codes de dessin ou d’images qu’ils puissent s’approprier, et qu’ils ne soient pas juste spectateurs.

Un projet pour sortir des clichés sur le 93

Alors que l’après midi bat son plein et que la fresque avance vers sa complétion, les enfants semblent avoir de plus en plus de mal à cacher leur excitation : N’Famoussa et Ibrahima montent et descendent les escaliers vers la salle de Cyril Paziot pour chercher des feuilles, des feutres, des citations, alors que d’autres élèves vont de portrait en portrait, sous le regard de Karim Hamra, surveillant au collège. Habitant du Blanc-Mesnil depuis sa naissance, le projet l’a intéressé à ses débuts, puis il est depuis devenu le surveillant de référence sur tous les projets de M. Paziot. Comme souligné par leur professeur, par les artistes et par les enfants eux-mêmes, Karim raconte que ce projet permet de donner aux enfants une nouvelle vision de leurs dynamiques de groupe : “ Ça leur permet de s’occuper et ils savent travailler, ils ne se bagarrent pas, tout se passe bien, on voit que ça leur plaît.” Une nouvelle facette des élèves se montre, hors des cours, des récréations et des dynamiques de la loi du plus fort.

Pour Karim, un tel projet contribue aussi à défaire le mythe selon lequel les REP et le 93 seraient des territoires perdus où tout fait peur, un mythe qui reste encore bien ancré dans les mentalités. Trouvant le graffiti plus accessible que les autres formes d’art, Karim espère voir fleurir le projet dans d’autres écoles de la ville du Blanc-Mesnil, maintenant que les artistes ont été mis en relation avec la mairie.

A 16h30, à la fin du temps prévu, les enfants n’ont toujours pas fini leurs portraits et continuent de s’affairer devant les murs avec des bombes, marqueurs et images rétro-projetées. Chacun veut faire quelque chose dont il sera fier, et pas seulement pour épater les parents ou les professeurs – qui ont tous montré beaucoup d’enthousiasme quand les enfants leur ont parlé du projet – mais aussi pour réussir à se dépasser eux-mêmes dans cette discipline artistique. 

Paloma VALLECILLO

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