« L’Algérie, mon beau pays, Je t’aimerai jusqu’à la mort, Loin de toi, moi je vieillis, Rien n’empêche que je t’adore, Avec tes sites ensoleillés, Tes montagnes et tes décors, Jamais je ne t’oublierais, Quelque soit mon triste sort », L’Algérie, mon beau pays, Slimane Azem.

Des yeux noirs entourés de khôl, de longs cheveux argentés, masqués par du henné et un foulard à fleurs. C’est ainsi que l’on découvre Messaouda Dendoune, une Yemma emblématique de ces femmes de l’Algérie rurale, qui ont traversé la Méditerranée, une vieille dame à la personnalité attachante arrivée en France il y a plus de 60 ans. Nadir Dendoune, accompagné d’une vieille caméra à cassette, rend hommage à ces oubliées de l’Histoire qui ont tout abandonné pour suivre leur mari en France. Car il y a plus inconnu que l’immigré, il y a sa femme.

Des Figues en avril n’est pas un film mais une invitation. Messaouda nous ouvre la porte de son F2 situé dans une cité de l’Ile Saint Denis. Elle nous y prépare le café avec sa vieille cafetière moka. On regarde dans sa petite télévision l’émission « Les Douze coups de midi ». On contemple avec tendresse les photos de famille décorant le couloir au papier peint beige. On la suit dans son quotidien qui semble bien réglé : marché, cuisine, vaisselle, nettoyage du sol (« une fois par semaine mais avant, quand il y avait les enfants, c’était une fois par jour »). En la regardant, je ne peux m’empêcher de penser à ma grand-mère. Si la mienne ne vient pas de Kabylie, ne porte pas de khôl et n’a pas les cheveux aussi longs, elle a en commun avec Messaouda tous ces gestes et ces paroles que les filles et fils d’immigrés ne connaissent que trop bien. Mima va au marché tous les mardis, elle cache ses cheveux blancs avec du henné et regarde les séries turques mal doublées sur 2M ou Al Jazeera. Et enfin, comme Messaouda, elle a quitté sa terre natale pour suivre mon grand-père en France.

Ce récit d’exil, ces histoires de déracinement se perdent à travers les générations. Des Figues en avril constitue à mes yeux un véritable travail de mémoire. Il me rappelle que si je suis ici en train d’écrire ces quelques lignes en français, c’est parce que mes grands-parents ont décidé de tout laisser derrière eux pour offrir à leurs enfants une nouvelle vie.

Azzedine MAROUF


Je suis Kabyle et très fière de l’être. Cette identité heureuse, je l’ai ressentie dans tout mon être, dans chaque particule de mon corps en regardant Messaouda Dendoune nous raconter sa vie. Le cœur serré, je buvais les paroles de cette dame de 82 ans nous rapporter dans sa langue maternelle, dans ma langue maternelle, ses souvenirs. Dans son intimité, ses habitudes du quotidien, ses mimiques, son récit nostalgique, j’y ai vu ma grand-mère et ma mère. Dans son visage marqué par la vie, ses petits yeux plein de malice, sa solitude et ses chants, j’y ai retrouvé toute la sagesse des femmes kabyles, qui ont vécu, beaucoup vécu.

J’ai pleuré, oui, on n’y échappe pas. J’ai pleuré en pensant à toute l’admiration que je porte aux femmes de ma famille, leur courage, celui d’avoir porté les leurs, d’avoir accompagné leur mari et élevé leurs enfants. Comme le dit cette « fille de la montagne », on n’abandonne jamais quelqu’un chez nous, « c’est la honte ». Malgré son âge avancé, Messaouda continue d’être la béquille de son mari.

Entre quelque larmes, il y a eu aussi beaucoup de rires. Cette femme est drôle, naïvement drôle, tout comme ma grand-mère. Ces mots étaient profondément sincères. En l’écoutant, je me suis rappelée à quel point ma langue est belle. Comme l’a écrit la romancière Faïza Guène, cette langue, c’est celle des sentiments. Dans les dernières minutes du documentaire, encore des larmes et un sourire : j’étais heureuse que ce documentaire existe, il est la voix de toutes les femmes immigrées kabyles.

Célia KADI


Des Figues en avril sonne comme une invitation au voyage. Le voyage d’une femme de Kabylie, qui a déposé valises et rêves aux côtés de son mari et de ses enfants. C’est aussi le voyage de mes parents, eux aussi originaires d’Algérie.

La caméra de Nadir Dendoune suit les pas de sa mère, l’épouse presque à chacun de ses mouvements, de ses rires, de ses chants. Messaouda nous invite à nous asseoir et nous déballe ses souvenirs, marqueurs d’un passé heureux. Conservés dans une boîte, comme un trésor, les photos défilent. La chibaniya se rappelle des moments capturés par chacune d’entre elles et s’émerveille : « Oh là là ! C’était avec ton père en Australie. Nous avions mangé des figues de barbarie en plein mois d’avril, alors qu’en Algérie elles ne mûrissent qu’en juillet-août. Là-bas, j’ai eu la chance d’en manger en avril ! », s’exclame-t-elle avec candeur, les yeux rieurs et le sourire espiègle. Et ce mari dont elle parle souvent et qu’on voit un peu partout en photo, où se trouve-t-il ? Atteint d’Alzheimer, Mohand Dendoune a été placé dans une maison médicalisée.L’absence se ressent jusque dans les mots de Messaouda qui ne le nomme jamais par son prénom mais d’un affectueux « le vieux », suivi parfois d’un « tu comprends ce que je viens de dire ? » adressé au fils. La mère de famille reste debout malgré tout : « Je me sens seule, mais je garde patience. Et même avec une canne, j’irais le voir, même avec une canne… »

Parfois, Messaouda reste de longues minutes sur le balcon, seule, et contemple longuement la vue. Comme si elle s’octroyait une échappée, une parenthèse, une bulle sans soucis. Puis, les chants sur le pays nous emportent, l’incontournable Slimane Azem et ses paroles sur l’exil nous transportent sur les terres de nos ancêtres. Et la nostalgie refait surface. « On aurait aimé vieillir sur nos terres. On aurait voulu rester au pays. Mais nous devons vivre sur la terre des Français. Que Dieu nous pardonne« . Je n’ai pu retenir mes larmes face à celles de cette dame de 82 ans. J’entrevois ici la souffrance qui a touché mes parents. J’entends encore les paroles de mon père : « Ferial, c’est dur, très dur de vivre loin de son pays. C’est dur d’être immigré« . Mes parents qui ont quitté leur terre, leur patrie, comment pourrais-je leur rendre grâce pour ce sacrifice de toute une vie ? C’est le combat qu’ils ont voulu mener et c’est le devoir de mémoire de toute une génération, ma génération. Alors si ces lignes peuvent être mon hommage à eux et à tous ces exilés, qu’il en soit ainsi.

Ferial LATRECHE

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