Pour un lundi soir d’hiver, il y a foule. Sous la lumière crue des néons de la salle Philippe Roux à la Courneuve, une bonne cinquantaine de personnes sont réunies pour assister à la réunion publique du collectif Stop galère. « On se croirait dans le T1 », blague même l’animateur de la soirée au sujet de l’affluence. Les rames du fameux tramway n°1 font justement face à la salle municipale.

Élus de gauche, syndicats, habitants de la Courneuve, tous sont là autour d’une préoccupation : les transports en commun. Il faut dire que l’actualité des Franciliens reste agitée par la dégradation des transports et la hausse du prix du pass Navigo. Sur les réseaux sociaux, la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, en prend pour son grade.

« Une partie de la situation est due au sous investissement de l’État », concède le président du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel. Si les galères de transports s’illustrent de façon limpide aux yeux des usagers, les raisons de ce marasme sont plus obscures.

Vers une privatisation du réseau de bus francilien

Le collectif Stop galère, qui réunit des élus franciliens, des usagers et des syndicats, se donne justement pour mission d’informer et de mobiliser sur l’avenir des transports en Île-de-France. Le 2 janvier, 250 élus de gauche ont dénoncé le projet de privatisation de la RATP dans les colonnes du Monde. En parallèle, la pétition lancée par le collectif Stop galère revendique déjà 50 000 signatures.

Ces élus s’élèvent contre le choix fait par Île-de-France Mobilités (IDFM) d’aller vers la privatisation des lignes de bus, aujourd’hui gérées par la RATP, à l’horizon 2025. Valérie Pécresse, elle, préfère parler d’ouverture à la concurrence. Une pirouette pour Vincent Gautheron, secrétaire de l’union syndicale CGT-RATP.

Devant une assistance attentive, le syndicaliste raconte la déliquescence des transports et des conditions de travail des salariés de la RATP, « une longue politique de casse ». Les premiers à en ressentir les effets sont les salariés, notamment les conducteurs dont la profession connaît de grosses difficultés en termes de recrutement.

Un exposé salué par un commerçant de la Courneuve. « Quand il y a des grèves à la RATP, il faudrait que l’on ait une traçabilité des causes », soulève ce dernier en pointant le fait que le message des mobilisations sociales n’est pas toujours clair pour les usagers.

L’inquiétude des personnels de la RATP

Ceux qu’on appelle aussi les machinistes-receveurs sont particulièrement inquiets de l’avenir du réseau de bus en Île-de-France. Le réseau de bus francilien a d’ores et déjà été découpé en 12 lots qui ont fait l’objet d’appels d’offres en 2022. Les lignes de bus devraient être ouvertes à la concurrence à partir du 1er janvier 2025.

Selon Valérie Pécresse, ce processus permettrait « d’augmenter la qualité de service » et de faire « baisser les coûts ». La fin d’un monopole public déjà expérimenté chez certains de nos voisins européens. Comparaisons à l’appui, un article de The Conversation met d’ailleurs en exergue le fait qu’en Europe « la privatisation du rail s’est traduite par une augmentation des prix et une perte de la moitié des effectifs ».

Pour enrayer ce processus, le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis appelle à « une grande conférence sur le financement des transports ». Car c’est bien là le nerf de la guerre. « Il serait juste de faire appel aux entreprises », esquisse Stéphane Troussel en suggérant de mobiliser la CVAE (l’ancienne taxe professionnelle). La récente augmentation du pass Navigo – amortie par une dotation exceptionnelle de l’État – n’a pas réglé en profondeur la question du financement des transports.

« On ne peut pas accepter que ce soit les usagers qui soient au bout du fusil »

Le bras de fer avec l’État et la région doit donc se jouer sur ce terrain. Et les élus de gauche espèrent voir leur lutte prospérer grâce à la colère déjà très palpable des usagers. « Il faut continuer à mobiliser, on ne peut pas accepter que ce soit les usagers qui soient au bout du fusil pour essuyer les manquements de la région, de l’État », enjoint le maire de la Courneuve, Gilles Poux.

Au cours des interventions, Sorayah Mechtouh, conseillère régionale d’Île-de-France, insiste aussi sur l’impératif écologique. « Aujourd’hui, rien n’est fait pour encourager l’utilisation des transports en commun », déplore-t-elle. En France, l’utilisation de la voiture individuelle représente à elle seule 16% des émissions de gaz à effet de serre.

« On sent qu’il y a un intérêt mais aussi beaucoup de colère »

L’animateur des débats, Yoann Rispal coordonne les réunions publiques Stop galère depuis le départ. « Aujourd’hui, c’est la 7e réunion publique, la prochaine aura lieu à Fontenay-sous-Bois et la suivante à Paris », indique le directeur de cabinet du groupe Communistes, écologistes et citoyens au Conseil régional d’Île-de-France.

« On constate une belle participation, on sent qu’il y a un intérêt, mais aussi beaucoup de colère », rapporte-t-il. Et pour cause, les galères de transports peuvent engendrer de graves conséquences pour les usagers : perte d’un emploi ou difficultés à en trouver, frais de garde…

« Les gens font bien le distinguo entre les responsabilités des machinistes et celle de l’État et de la région », note aussi Yoann Rispal. L’initiative s’est lancée en novembre dernier et regroupe des élus de gauche, mais aussi des représentants d’usagers et des syndicats. « Les décisions sont prises de façon collégiale », tient-il à préciser.

Le collectif Stop galère entend poursuivre réunions publiques et campagnes numériques pour sensibiliser les Franciliens. Le 5 janvier, le ministre des Transports, Clément Beaune, a assuré qu’un report de l’ouverture à la concurrence des bus franciliens était possible. Une annonce perçue comme une première victoire.

Héléna Berkaoui

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