« Une ligne a été franchie, samedi. » Depuis son arrivée à la mairie de Stains en 2014, Azzédine Taïbi est régulièrement la cible de violences racistes. Le 8 octobre dernier, un groupe d’extrême-droite a fait irruption dans l’enceinte de la Mairie. Ces individus cagoulés s’en sont pris verbalement et physiquement aux employés de la ville.

L’agression a été revendiquée, après coup, par le groupuscule d’extrême droite l’Action Française sur les réseaux sociaux. « Ces gens sont capables de passer à l’acte, ça aurait pu être plus grave », alerte le maire de Stains.

Les militants du groupuscule d’extrême-droite ont mené cette action en réaction à une initiative citoyenne soutenue par la mairie. De façon éphémère, des habitantes de Stains ont renommé certaines rues du nom de femmes ayant marqué l’histoire. Un nom a retenu l’attention, celui de la première épouse du prophète Mahomet, Khadija Bint Khuwaylid.

« Il y a eu Simone Veil, Mère Thérésa, Jeanne d’Arc ou Greta Thunberg. Une palette de femme qui représente le monde. Il n’y avait aucune intention communautariste », rappelle Houria Seddiki, responsable de la Maison pour tous des quartiers Maroc et Avenir. Une des porteuse du projet.

Fachosphère, Cnews… La mécanique de la haine

Une fois portée à sa connaissance, la fachosphère s’en empare. Une photo de la plaque est reprise en boucle sur twitter. L’émission Morandini Live, sur CNews, en fait le thème d’un débat où le chroniqueur d’extrême droite, Garen Shnorhokian, brandit une photo de l’organigramme du conseil municipal de Stains.

L’ex porte-parole d’Éric Zemmour dit n’y voir « aucun Français de souche ». Une référence à la théorie conspirationniste et raciste du “grand remplacement”. Lors de cette émission, le maire de Stains est reçu en duplex et interviewé par Jean-Marc Morandini.

Le présentateur remarque à voix haute la présence d’un drapeau palestinien dans le bureau du maire et lui intime de s’en expliquer. L’accusation d’antisémitisme est à peine masquée. Samedi dernier, la haine déborde finalement des réseaux sociaux et s’invite à la mairie de Stains.

« Les militants de base veulent de l’action et plus seulement de la théorie »

L’Action française n’est pas la première organisation d’extrême-droite a mené des actions coup de poing. Avant elle, Génération identitaire a réussi à s’offrir une notoriété avec des méthodes identiques. En 2019, les militants de Génération identitaire avaient occupé le toit de la CAF de Bobigny pour y déployer une banderole où était inscrit : « De l’argent pour les Français, pas pour les étrangers. » L’association a été dissoute par le ministère de l’Intérieur en mars 2021.

Ces méthodes traduisent un sentiment d’impunité, comme l’explique le politologue spécialiste de la droite radicale, Stéphane François. Leurs motivations ? « La première raison : faire de la pub dans les médias et sur les réseaux sociaux. La deuxième : attirer de nouveaux militants. Et la troisième : Les militants de base veulent de l’action et plus seulement de la théorie. En gros, ils s’ennuient. »

L’Action française compense son manque de militant par du sur-activisme

Organisation nationaliste et royaliste fondée en 1899, l’Action française a, au cours du temps, perdu de sa superbe dans les milieux d’extrême-droite. Pour le politologue, ce groupuscule n’est « que le fantôme, le reliquat de ce qu’elle a été. Aujourd’hui, l’Action française compense son manque de militant par du sur-activisme ». 

Mais que fait le ministère de l’Intérieur ?

À la suite de cette action, le maire de Stains a publié une lettre ouverte au ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, demandant la dissolution de l’Action Française. « Il y a quelques années, à un conseil municipal de Nanterre, un déséquilibré a tué 8 élus. Est-ce qu’on attend qu’il y ait un drame avant de réagir ? », interpelle le maire de Stains

Le locataire de Beauvau a pourtant la main lourde sur les dissolutions d’associations. Depuis sa nomination à Beauvau et la promulgation de la loi dite « séparatisme », pas moins de 10 associations ont été dissoutes. À ce jour, le ministre de l’Intérieur n’a pas condamné publiquement l’attaque raciste de l’Action française.

Des attaques racistes à répétition

Par le passé, Azzedine Taïbi a signalé à plusieurs reprises les menaces dont il faisait l’objet aux pouvoirs publics. Il a déjà déposé une première plainte, il y a deux ans.

À l’époque, le maire de Stains avait été la cible d’insultes racistes et de menaces de mort sur les réseaux sociaux. Une vague de haine consécutive au soutien qu’il avait apporté au collectif pour Adama. Une fresque où le visage d’Adama Traoré apparaissait à côté de celui de George Floyd avait notamment été inaugurée dans sa ville.

Il n’y a pas une semaine où je n’ai pas le droit à un article ou à une attaque

Une deuxième plainte a suivi contre l’avocat Gilles-William Goldnadel. En octobre 2020, ce dernier avait publié un tweet : « Visitez Stains, cité islamo-communiste, capitale du séparatisme islamiste et de la médiocrité racialiste ». Mais comme la première plainte, la seconde n’a pas été instruite.

Depuis, les attaques de la fachosphère se sont multipliées. « Il n’y a pas une semaine où je n’ai pas le droit à un article ou à une attaque directe par les médias ou sur les réseaux sociaux », explique Azzédine Taïbi.

Trois nouvelles plaintes déposées par le maire de Stains

Son conseil, Me Arié Alimi, fait savoir que trois nouvelles plaintes ont été déposées. Une dirigée contre l’éditorialiste de CNews, pour injure à caractère raciale et diffamation à caractère racial. Une deuxième plainte contre les tweets racistes dont les comptes sont identifiés.

La troisième plainte est dirigée contre l’Action Française pour violences physiques et morales. Deux employés de la mairie auraient été bousculés. « Les deux employés de la mairie ont d’ailleurs probablement été bousculés du fait de leur appartenance ethnique ou religieuse », indique Me Arié Alimi.

Deux autres infractions sont visées dans cette plainte : la dégradation de bien public (concernant les plaques du projet “place aux femmes”) et la tentative d’incendie criminel. « Ces violences visent la ville de Stains. lls (l’Action française) prétendent qu’elle serait sujette au grand remplacement. Ils l’affirment clairement dans leur communiqué », précise Me Arié Alimi.

Névil Gagnepain

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