« Repose en paix Mireille ». Dans son anorak bleu, l’air un peu perdu, l’homme qui tient la pancarte attend que le cortège démarre, place de la Nation, à Paris. « Merci, d’être venu, c’est important », répète le manifestant à ceux qui filment. Il est près de 18 heures 30, ce mercredi 28 mars.

La marche blanche en mémoire de Mireille Knoll, octogénaire de confession juive brutalement assassinée le 23 mars dernier dans son domicile, doit partir d’un moment à l’autre. Dans cette affaire, deux jeunes hommes, dont son voisin, ont été mis en examen pour homicide volontaire à caractère antisémite.

Tout le monde dit que l’antisémitisme revient, moi, je ne pense pas qu’il soit parti un jour

Plusieurs milliers de personnes s’élancent d’un pas lent sur le boulevard Voltaire. L’heure est au recueillement. À quelques détails près : certains politiques se bousculent et se hissent aux première loges aux côtés de la famille pour avoir leur place derrière la grande banderole « La France unie contre l’antisémitisme ». Un peu plus loin dans le cortège, quelques mains de carton jaune perchées sur des bâtons affichent fièrement leur « Touche pas à mon pote ! » aux côtés de pancartes « En France, on tue des grands-mères parce qu’elles sont juives » et de roses blanches. « J’ai été élevé dans le traumatisme de la Shoah et ce qui se passe aujourd’hui me donne l’impression de revivre la même chose avec ma famille », s’émeut Michel, 58 ans, traducteur aux cheveux poivre et sel.

L’affaire fait resurgir peur et indignation face à l’antisémitisme en France. Le symbole est fort : Mireille Knoll avait échappé à la rafle du Vél d’Hiv’, en juillet 1942, et à l’horreur des camps nazi. Depuis la mort de son mari, un survivant d’Auschwitz, elle vivait seule dans son logement HLM de l’est de Paris. « Tout le monde dit que l’antisémitisme revient. Moi, je ne pense pas qu’il soit parti un jour, se désole Rachel, 24 ans, venue avec son père. Quand les gens savent que je suis juive, c’est toujours les mêmes remarques sur l’argent, l’influence supposée des juifs dans le monde. Le pire c’est que certains ne se considèrent pas comme antisémites ».

L’émotion dépasse largement la seule « communauté juive ». « Je fais partie de l’Alliance des femmes pour la démocratie contre la racisme, on est là parce qu’on est pour le respect de l’autre, pour lutter contre l’antisémitisme et contre toutes les formes de discriminations. Cela fait 50 ans que l’on mène ce combat et malheureusement il est encore d’actualité aujourd’hui, c’est pour ça qu’il faut continuer à lutter », précise Élisabeth, qui a « l’âge d’être grand-mère ». À ses côtés, Tina Madonya, chanteuse à Belleville, distribue des feuilles sur lesquelles est inscrit le célèbre slogan de Mai 68 : « Faites l’amour, pas la guerre ». « C’est important d’être là aujourd’hui pour montrer sa solidarité, parce que c’était une grande dame avec une histoire incroyable. Je suis transsexuelle et je me sens concernée par cette haine car elle est dirigée contre nous tous, c’est pour ça qu’il faut être présent les uns pour les autres ».

Parmi les manifestants, Tina Madonya, chanteuse à Belleville.

Les suspects étaient connus des services de police

76 ans après y avoir échappé, Mireille Knoll a peut-être succombé à la haine des juifs. La justice s’interroge encore sur le véritable mobile des suspects : les enquêteurs privilégient la piste d’un vol qui aurait mal tourné pour des raisons qui restent à éclaircir.

Le corps de la vielle dame a été retrouvé partiellement calciné, vendredi, dans son modeste appartement incendié, au deuxième étage d’un HLM du 11e arrondissement de Paris. La retraitée de 85 ans a préalablement reçu onze coups de couteau. Deux suspects ont été écroués : un SDF de 21 ans et un homme de 27 ans, qui n’était autre que le voisin de la victime. Le premier était connu des services de police pour des vols avec violence, le second pour agression sexuelle sur la fille de l’auxiliaire de vie de Mireille Knoll. Les deux hommes se sont connus en prison. Ils reconnaissent tous deux leur présence sur les lieux. Mais lors de l’interrogatoire, le plus jeune accuse son complice présumé d’avoir crié « Allahou akbar » en poignardant la victime. Le parquet de Paris les a mis en examen pour « homicide volontaire en raison de l’appartenance vraie ou supposée de la victime à une religion ».

Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon persona non grata

Sur la place de la Nation, ce mercredi, un vif mouvement éclate soudain dans la foule. « Insoumis, dehors ! Insoumis, dehors ! Mélenchon, pourriture ! » Le leader des la France Insoumise est pris à partie par un groupe de manifestants. « Il divise les gens en prenant des positions contre Israël », s’indigne un homme, la soixantaine, cheveux blancs, plus loin dans le cortège. Tout comme Marine Le Pen, présidente du Front national. Le Conseil représentatif des organisations juives de France (Crif), principal organisateur de cette marche blanche, s’était explicitement opposé à leur présence. Mais « Maintenant que [le caractère antisémite] est avéré, nous appelons tout le monde, je dis bien tout le monde, à participer à cet événement”, a cependant repris Daniel Knoll, fils de la défunte, mercredi matin sur le plateau de BFMTV : « Le Crif fait de la politique, moi, j’ouvre mon cœur, à tout le monde ».

En voyant l’agitation qui entoure le chef des Insoumis, Joseph Cohen, habitant du quartier, se désole de la scène offerte aux médias : « Cette réaction n’est pas normale, cela va encore nous retomber dessus et tourner en boucle dans les médias », lâche-t-il. « Les excommunions prononcées dans les médias sont déplacées ici et dans ce contexte, estime Emmanuel Gordien, 60 ans, président de l’association Comité Marche du 23 mai 1998 (CM98), qui perpétue la mémoire des victimes de l’esclavage. Nous sommes ici pour exprimer une indignation universelle face à l’horreur de ce crime. Je suis viscéralement opposé à Marine Le Pen, mais je pense qu’elle doit pouvoir venir ici si elle le souhaite », conclut-il. La représentante du FN aussi est huée à plusieurs reprises. « Pourquoi t’es là Marine, ce n’est plus un détail ? » lui lancent des passants et manifestants.

En fait, on ne sera jamais en sécurité en France

L’année dernière, Sarah Halimi, 65 ans, avait été battue et jetée par la fenêtre par un de ses voisins, là aussi dans le 11e arrondissement de Paris. Un meurtre dont le scénario entre cruellement en résonance avec le drame de ce vendredi. À l’époque, le parquet avait tardé à qualifier l’acte d’antisémite.

« En fait, on ne sera jamais en sécurité en France, lance un jeune homme au groupe qui l’entoure. La seule solution, c’est de partir en Israël« , conclut-il. Le nombre d’actes antisémites reste élevé en France, où la communauté juive, qui représente moins de 1% de la population, est la cible d’un tiers des faits de haine recensés.

Fatma TORKHANI et Alban ELKAÏM

Crédit photo : Fatma Torkhani

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