Ce samedi après midi, dans la cuisine du foyer Sonacotra de Bondy, c’est le rendez-vous des tirailleurs. Décorations de guerre collées sur leurs boubous, les six anciens combattants sénégalais, qui ont tous au-delà de 70 ans sont très heureux de venir raconter leur engagement dans l’armée française. La plupart sont revenus en France pour se soigner et séjournent dans ce foyer de Bondy seuls. Leurs femmes et leurs enfants sont restés au pays et ils ne peuvent obtenir de visas pour venir les visiter.

C’est Nordine Nabili, l’un des journalistes qui parrainent le Bondy Blog qui a convoqué cette assemblée. Ils n’ont pas combattu pendant la seconde guerre mais la plupart sont allés en Indochine, en Algérie, au Niger ou en Mauritanie avant de retourner au Sénégal après l’indépendance.

« J’étais engagé volontaire » nous dit Baldé Yéro 73 ans. « Je n’étais pas pauvre. Mon père était chef de Canton. J’ai choisi de servir la France». Ils gardent tous en travers de la gorge « l’abandon » de la France après leur engagement. Ils se présentent tour à tour en citant leur classe, leur date d’incorporation et le terrain de leurs missions.

Bamba Babacar, classe 52, incorporé le 1er Mars 53 nous explique son parcours, son engagement en Asie et en Afrique. « Nous avons passé notre jeunesse pour la patrie, on est sorti sans rien ». « Lors de la dernière visite de Jacques Chirac à Dakar, on lui a dit que s’il ne faisait rien pour nous, il devait au moins faire quelque chose pour nos enfants, les laisser venir travailler en France, il a pris bonne note mais rien n’a été fait. »

Sagné Ousmane brandit ses photos de guerre, nous parle de ses médailles militaires obtenues en Mauritanie où on le nomme sergent. « Je voulais faire carrière dans l’armée mais j’ai été libéré de force en 1963 ».

Ils sont très reconnaissants envers l’équipe du film Indigènes d’avoir « déterré » ce problème. Ils avouent tous aussi que les associations d’anciens combattants français les ont toujours soutenues dans leur démarche. «Au combat, on était côte à côte. On disait, on est des français, le drapeau bleu blanc rouge on va le défendre, mais après, l’armée nous a oubliée».

Les pensions qu’ils touchent sont ridicules, ceux qui n’ont pas de pensions proportionnelles touchent 27 euros par mois.
Pour les autres, les pensions cristallisées en 1959 ne sont guerre plus importantes.
« Ce que nous touchons en trois mois, les anciens combattants français le touchent deux à trois fois en un seul mois » nous dit Mamadou Sarr, ancien parachutiste en Indochine et en Algérie.
Alors ce que ce film a fait pour la décristallisation des pensions les touche beaucoup. « On arrive à survivre depuis des années parce qu’on est ici, dans ce foyer, avec nos camarades et on s’entraide, sinon on ne pourrait pas».
Seul Madani Gaye, le doyen de 80 ans regrette que ce film ne montre pas assez l’engagement de tous les africains. « Il n’y a pas une seule section de tirailleurs sénégalais sur ce film, ce n’est pas normal».

Lorsque c’est au tour M’Bordj Gorgui de prendre la parole, ses acolytes lancent en riant : « Parlez plus fort, il est un peu sourd, c’est un ancien canonnier ».
Ce dernier nous dit qu’il aimerait adresser un message particulier à Ségolène Royale qu’il voit partout en ce moment. Il nous dit qu’il était là lorsqu’elle est née en Septembre 1953 à Dakar.

« C’est son père, le commandant Royal qui était responsable de mon unité. Le premier anniversaire de cette jeune fille s’est fait en ma présence alors je vais lui envoyer une lettre pour lui dire ça ».

On sent dans leurs paroles beaucoup de déception, de rancoeur mais aucune haine et surtout, beaucoup de dignité. « Nous sommes musulmans et notre religion nous apprend à patienter », nous dit le doyen.
Le soleil commence à tomber dans la petite cuisine du foyer et les tirailleurs repartent dans leur chambre pour se préparer à la rupture du jeûne.

 

Par Mohamed Hamidi.

Mohamed Hamidi

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