Dès l’ouverture des portes du Zénith, la salle est en ébullition. « Il y a des personnes qui ont attendu depuis 8 heures du matin », s’exclame Malek Délégué qui aide sur place à l’organisation du concert. Avant le début du show, les spectateurs font le tour des stands présents à l’accueil. Boutiques de t-shirts, exposition photos, associations. Parmi elles, le Festival Ciné-Palestine, l’Union juive française pour la paix, Enfants de Palestine ou encore Urgence Palestine. Pour cette dernière, la situation est critique.

« On est dans un contexte où la guerre génocidaire menée depuis 7 mois par Israël a atteint des proportions qu’on n’avait pas imaginées », explique Sari, membre d’Urgence Palestine. « Nous-même, Palestiniens, on sait qu’on est victimes d’un processus d’épuration ethnique depuis la Nakba de 1948, dont on vient de célébrer les 76 ans la semaine dernière », poursuit Sari. Avec le collectif La Palestine nous rassemble, les bénévoles viennent en aide aux Palestiniens de Gaza évacués par la France dans des « conditions indignes ». Ils profitent de l’initiative pour rencontrer les gens, les informer et faire des appels à contribution.

On était très touchés par la situation à Gaza et la manière assez raciste avec laquelle c’est traité

À l’origine de ce grand événement, on trouve un compte Instagram intitulé “Not about us”. Le projet a été pensé par Houma sweet houma, le label du rappeur franco-algérien Tif, suite à un déclic durant la tournée de l’artiste en automne 2023. « On a commencé à voir une multitude de vidéos sur Twitter. Et donc, on s’est retrouvés tous ensemble face à ces informations permanentes toute la journée. On était en train de faire la fête, en train de faire des concerts et en même temps, on était très touchés par la situation à Gaza et la manière assez raciste avec laquelle c’est traité », explique Luna Sancho, bookeuse de Tif et membre de son label.

L’engagement commence doucement avec un drapeau palestinien affiché sur scène ou encore des stories Instagram du rappeur dénonçant les exactions de l’armée israélienne. Puis, il y a deux mois et demi, la décision d’organiser un grand concert caritatif dont les dons seront reversés à la Palestine est prise. Fin avril, l’événement est annoncé et la billetterie ouverte. Elle sera sold out en moins de 24 heures.

Le rappeur Tif sur scène lors du concert en soutien à la Palestine au Zénith. ©LiliaAoudia

Un concert entre moments de fête et de recueillement

Après un court DJ set en guise de première partie, le show s’ouvre sur un spectacle de dabké, cette danse traditionnelle originaire de plusieurs pays du Proche-Orient, dont la Palestine. Danse à laquelle va se joindre le chanteur palestinien Saint-Levant, coiffé d’un keffieh noir et blanc. Sur scène, il interprète son récent titre Deira, aux influences chaâbi, qui parle de l’exil forcé du peuple palestinien et qui rend hommage à l’hôtel de son père, détruit par les frappes israéliennes.

Pendant toute la soirée, le Zénith oscille entre moments de joie, de danse, de fête et instants de recueillement, d’hommage et de lutte. Après les prestations de Khali et Flenn, rejoint ensuite par Tif avec qui il partage un feat, place aux interventions. Devant un écran noir où s’affiche en lettres blanches le message “Don’t stop talking about Palestine”, une étudiante de la Sorbonne prend la parole. Elle s’appelle Yasmine et ses parents sont réfugiés palestiniens.

Face au public de 7 000 personnes, elle se met à lire, la voix tremblante, une lettre écrite à son cousin quelques jours après qu’il a pris la fuite avec sa famille et qu’il se fasse tuer sous les bombes dans une école de l’ONU. « Je suis désolée que le monde ne te regarde que maintenant. Pendant ce mois d’octobre, quand je me réveillais au son de l’alarme, toi, tu te réveillais au bruit des bombes. Quand je me brossais les dents, toi, tu nettoyais tes blessures… » Devant une foule silencieuse et à l’écoute, Yasmine termine son intervention en appelant à se mobiliser pour cette « cause qui unit tout le monde ». Le public scande son prénom avant de chanter “Tahia Falestine” (vive la Palestine en arabe).

La fête bat à nouveau son plein avec Alpha Wann, dont les apparitions se font rares. Le rappeur se réjouit d’être présent pour « un concert qui a du sens ». Il interprète quelques morceaux, suivi par Deen Burbigo, Nemir et El Grande Toto qui quitte la scène le poing levé. Puis soudain, le silence se réinstalle pour accueillir Imane, infirmière revenue de Gaza.

C’est une boucherie, c’est un carnage, on est les témoins directs de ce qui se passe là-bas

Sur scène, elle raconte les horreurs qu’elle a vues sur place et les souvenirs que laissent « les corps avec des membres manquants, les cris, la souffrance, la douleur, la peur, la mort ». « C’est une boucherie, c’est un carnage, on est les témoins directs de ce qui se passe là-bas », enchaîne-t-elle en finissant par dire sous les acclamations du public : « Il n’y aura ni oubli, ni pardon ».

Puis comme pour répondre au discours d’Imane, Soolking arrive, un drapeau palestinien à la main, pour interpréter son titre La Liberté. Toute la salle reprend alors le refrain en cœur : « La liberté, c’est d’abord dans nos cœurs, la liberté ça nous fait pas peur ». Au total, 15 artistes, dont Zamdane et des invités surprises comme Wejdene ou Rim’k, se sont succédé sur scène pour chanter l’amour, la paix, la cohésion et pour visibiliser les luttes palestiniennes.

À la fin du show, la cagnotte est actualisée. Avec les dons et les ventes des places de concert, le montant dépasse les 100 000 euros. L’argent servira à l’ONG Medical Aid for Palestine (MAP). « Ça nous semblait important d’offrir de l’aide médicale parce que l’entrée pour les matières premières est bouchée. La MAP est présente en ce moment même sur Gaza donc c’était un choix évident pour nous », souligne Luna. La cagnotte est encore ouverte une petite semaine avant d’être clôturée mercredi prochain.

Le rappeur Soolking sur la scène du Zénith. ©LiliaAouida

Des associations et des expositions pour sensibiliser

À l’heure où certaines personnalités publiques évitent de prendre position par peur de perdre des opportunités de carrière, cette mobilisation du milieu du rap est la bienvenue pour les acteurs associatifs. « Les artistes ont toujours eu ce rôle de faire bouger les consciences. Aujourd’hui, on constate, nous, Palestiniens, qu’ils sont comme tétanisés. Il n’y a aucun doute sur le fait que chacun d’eux, en leur for intérieur, dans leur cœur, nous soutient et est peiné par ce qu’il voit. On salue le fait que ça se mobilise aujourd’hui et on aimerait voir beaucoup plus d’initiatives de ce type », analyse Sari.

Le concert accueille un public plutôt jeune, entre 15 et 30 ans. L’occasion pour des organismes comme l’Association France Palestine Solidarité de sensibiliser cette partie de la population. « C’est très important pour nous parce qu’on essaie de toucher les jeunes. Ça nous fait beaucoup de plaisir d’être là et on espère qu’on aura de nouvelles recrues qui viendront par la suite manifester avec nous et participer à nos actions », s’enthousiasme Nathalie, bénévole.

Il y a une vraie prise de position courageuse, je ne pouvais pas louper un événement pareil

La plupart des jeunes sur place semblent déjà conscients du sujet palestinien. Amélie, 28 ans, travaille dans le milieu de la musique. Elle a décidé de prendre une place pour le concert, car elle trouvait l’initiative belle. « Ce sont des artistes qui nous ressemblent, avec des chansons qu’on aime bien, pour une cause que l’on soutient. On va à un concert, mais ce n’est pas juste pour du divertissement, c’est cool d’allier les deux », salue-t-elle avec le sourire. Même raisonnement pour Robinson, fan de rap, qui voit l’initiative comme un prolongement de son engagement dans les manifestations. « Moi, j’aime beaucoup le rap et là, il y a une vraie prise de position courageuse, je ne pouvais pas louper un événement pareil. »

L’art, un canal essentiel pour faire passer des messages et fédérer. Mohamed l’a bien compris avec son projet MysticDiapo. Le jeune homme qui collectionne depuis quatre ans des diapositives du monde entier a été invité par le label de Tif pour exposer au Zénith sa collection de photographies sur la Palestine. Parmi elles, des scènes de vie aux portes de Damas, d’autres montrant des bergers avec leurs troupeaux de moutons.

« Le but, c’est de révéler un autre regard sur la Palestine à travers des clichés datant des années 50 aux années 80. Je voulais montrer différentes âmes, différents visages, des enfants, des grands-parents pour réhumaniser ce qu’on a voulu déshumaniser. »

Sensibiliser sur la situation à Gaza tout en dévoilant la beauté de la Palestine, de sa culture, de ses héritages, c’était là tout l’enjeu de cette soirée de concert caritatif.

Lilia Aoudia

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