Scène rare au Palais Bourbon : des jeunes de quartiers prennent la parole. Ce mercredi 22 mai, le sujet de l’audition organisée par la députée LFI du Val-de-Marne, Rachel Keke, les concerne. Cette rencontre a pour objectif de poser la problématique des rixes entre quartiers et de réfléchir à la manière d’endiguer ce phénomène. Cette audition est aussi un préalable à la préparation d’une proposition de loi sur le sujet.

Au fil de l’après-midi, trois tables rondes se succèdent, animées par les députés LFI de Seine-Saint-Denis et du Val-d’Oise, Éric Cocquerel et Carlos Martens Bilongo.

La réalité d’un phénomène

L’après-midi débute avec Marwan Mohammed, sociologue, auteur du livre très remarqué “Y’a embrouille, une sociologie des rivalités de quartiers” (Eds Stock. 2023). L’universitaire pose le contexte : « Les rixes ne sont pas banales, c’est une forme de violence ancrée dans un lieu, dans les têtes et dans le temps qui fait partie de l’ordre de choses. » Selon lui, les habitants des quartiers se sont accoutumé aux rixes, avec les dommages physiques et psychiques qu’elles comportent. L’urgence, à ce stade, est de refuser cet état de fait, estime le sociologue.

Au cours de cette audition, les militants et responsables associatifs énumèrent leurs statiques. Trois morts en un mois à Saint-Denis, quatre morts en trois ans dans le nord-ouest de la Seine-et-Marne. Trois morts, en trois ans, au Pré-Saint-Gervais et en Seine-Saint-Denis. Des histoires que Ramsès Kefi, journaliste, a, lui aussi, documenté. Il est notamment l’auteur de “À la base, c’était lui le gentil” (Eds. XXI. 2023).

Le mérite revient aux gens qui après le drame y restent

« Les rixes posent un problème au journaliste, on raconte des histoires incomplètes. Les journaux ne peuvent écrire sur un temps long, un temps nécessaire pour comprendre ses logiques », expose Ramsès Kefi. Un phénomène complexe à appréhender et qui reste trop souvent dans la rubrique faits-divers, alors même qu’il s’agit d’un phénomène de société qui tarde à être pris en compte par les pouvoirs publics. Trop souvent, les quartiers victimes de ces violences restent sans réponse. « Le mérite revient aux gens qui après le drame y restent », appuie le journaliste.

Durant cette introduction, une mère habitante d’un quartier populaire prend la parole. Elle présente un vocal, d’une situation d’embrouille, des insultes et des menaces, pleuvent puis un coup de feu retentit. Le silence dans l’assistance. « Je vis avec cette peur chaque soir. », explique-t-elle, émue aux larmes.

Stopper les rixes, une utopie “réaliste” ?

Éric Cocquerel anime la 2ᵉ table-ronde avec des acteurs de terrain qui sont parvenus à endiguer ce phénomène. Koula Kanamakasy et Adel Amara, ont créé l’association “No rixe” par « devoir citoyen », exposent-ils. Pour illustrer l’historicité des rixes sur son territoire, Adel Amara rappelle les paroles d’un son du rappeur du 94, Rohff : « Tiens un coup de genou pour Villiers les Hautes Noues, Si y’a embrouille entre cités, faites la paix, Le commissariat craint l’émeute au Bois L’Abbé. »

Ils étayent leur engagement sur leurs territoires, réunir les petits et les grands, des quartiers rivaux, les faire discuter, servir de contre-exemple, trouver une issue. Jusqu’à l’aboutissement de projets en commun ouvert aux deux territoires. « On pense avoir sauvé des vies », résume-t-il. Bamba ancien jeune « en embrouille », a bénéficié de ce projet. « Aujourd’hui, c’est la paix et ça me fait plaisir de voir nos petits frères discuter avec la commune rivale », témoigne-t-il. L’association No rixe et leurs jeunes sont surpris de l’impact de leur initiative :  « J’ai arrêté les rixes, je suis content de dire à ma mère que pour ça, je suis à l’Assemblée nationale. »

Un manque de moyens des collectivités ?

Marwan Mohammed est revenu sur les conséquences invisibles des embrouilles, les scolarités gâchées, dû au stress et l’anxiété subies par ces collégiens et lycéens des quartiers populaires. Selon ses recherches, l’attrait des embrouilles compense un manque de reconnaissance chez les élèves en échec scolaire précoce, un défi à relever pour de l’éducation nationale en quartier prioritaire de la ville.

Ali Matelo est un acteur associatif engagé contre les rixes. Il est notamment l’initiateur du 77 à vélo qui embarque des jeunes de quartiers rivaux dans des parcours en bicyclette. Il pointe un autre angle de mort de cette problématique : l’absence de prise en charge psychologique. « On n’a pas de psy dans les quartiers », résume Ali Matelo. Un champ de compétence qui dépasse les interventions des acteurs dans la salle.

En l’absence de politiques publiques à la hauteur pour enrayer les violences entre quartiers, les intervenants posent aussi la question du financement de leurs initiatives. Des sources de financement de l’Union européenne en faveur des quartiers populaires existent, selon le fondateur de 77 à vélo. Cette observation est partagée par l’assemblée du jour, mais les financements ne sont pas toujours visibles des acteurs de terrain.

… Ou un manque de volonté ?

À la 3ᵉ table ronde, les responsables associatifs dénoncent le manque de volonté des collectivités territoriales, pire, l’auto-organisation ne serait pas appréciée des élus locaux selon eux. Samir Elyes, porte-parole de l’Assemblée des quartiers, fait part d’un mail reçu durant sa prise de parole. « Mon collègue, responsable associatif, reçoit une menace de coupure de subvention du maire de sa commune, à la suite de la présence de Rachel Kéké à notre réunion publique sur les rixes. » Le mail met avant le principe de non-laïcité de la structure associative subventionné par sa municipalité et conventionné par la CAF.

Rachel Keke députée de la 7ᵉ circonscription du Val-de-Marne, conclut :   « Les intimidations ne nous effraie pas. » La députée annonce une réunion le 12 juin prochain pour plancher sur une première écriture d’une proposition de loi sur le sujet.

Nadhuir Mohamady

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