Non-remplacement de professeurs, classes surchargées… Les sujets liés à l’éducation sont nombreux, mais c’est sur un tout autre objet que l’attention médiatique s’est fixée en cette rentrée scolaire. Le ministre de l’Éducation national, Gabriel Attal, a annoncé le 27 août dernier l’interdiction du port de l’abaya dans les établissements scolaires.

Une interdiction qui prétend s’appuyer sur la loi de 2004 proscrivant « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une apparence religieuse ». Cette nouvelle restriction fait polémique et, une nouvelle fois, vise les jeunes femmes musulmanes. Alors que la modest fashion, ou “mode pudique”, connaît un essor en France, nous en avons discuté avec les premières concernées.

Il y a différentes motivations à s’habiller modestement

Selon une étude menée par le cabinet Dinar Standard et Thomson Reuters, le marché de la modest fashion s’élevait à 257,5 milliards d’euros, en 2018. Une mode qui, selon cette même étude, devrait atteindre un montant de 318 milliards d’euros en 2023. Ce marché en pleine expansion met au-devant de la scène une mode pudique, souvent caractérisée par des vêtements amples.

« Il y a différentes motivations à s’habiller modestement, que ce soit pour des raisons de tendance ou de pudeur », affirme Sabrina Palazone, directrice du magazine Modest Fashion France (MFF).

Si certaines jeunes femmes font le choix de la modest fashion pour suivre les tendances, d’autres ont des motivations plus personnelles. C’est le cas de Julie, étudiante de 21 ans. « J’ai commencé à m’habiller pudiquement avant ma conversion à l’Islam, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le regard des gens dans la rue, sans parler des mains baladeuses. La deuxième raison, c’est que je n’assumais pas forcément mes formes, je préférais les cacher », témoigne-t-elle.

Une charge mentale à rude épreuve

Ces femmes évoquent leur malaise, voire leur angoisse, face à cette interdiction et les polémiques qui en découlent.  « Ça nous plonge dans un climat de peur et de rejet. Ces filles sont réduites à une communauté. C’est le droit des femmes qui est bafoué en général. Ça laisse la porte ouverte à l’excès et au racisme », s’inquiète Sabrina, la fondatrice de MFF.

Nous nous sommes rendus au marché de Saint-Denis, là où un grand nombre de commerçants vendent des abayas. Nous avons rencontré certaines de ces jeunes femmes qui ont fait le choix de s’habiller de manière pudique. C’est le cas d’Assia*, étudiante de 20 ans. « Ces polémiques m’atteignent. Mais je ne laisserai pas tous ces débats et ce traitement médiatique me faire peur, me faire douter dans mes choix d’orientations professionnelles. Je considère avoir ma place en France, je ne vois pas pourquoi je ne m’y sentirais pas à ma place », insiste l’étudiante.

Quand Macron a fait le parallèle entre l’assassinat de Samuel Paty et l’abaya, j’étais très offensée

Si certaines font preuve de résilience face à ces polémiques, pour d’autres, les prises de paroles politiques sont difficiles à entendre. Aya, fraîchement sortie du lycée, évoque la prise de parole d’Emmanuel Macron, sur le port de l’abaya. Dans son interview avec le youtubeur Hugo Décrypte, le président de la République a fait lien entre l’assassinat de Samuel Paty et le port de l’abaya. « Quand Macron a fait ce parallèle, j’étais très offensée parce que j’ai compris, comme beaucoup d’autres jeunes filles musulmanes et surtout voilées, qu’on me comparait à un terroriste, c’est très blessant », déplore Aya.  

Une appréhension sur ce que le futur leur réserve

Les législations et polémiques ciblant les femmes musulmanes se multiplient depuis plusieurs décennies. De l’hystérisation du débat autour des femmes portant le voile, à ces déclinaisons : burkini, burqa, abaya… Après l’interdiction de l’abaya, des étudiantes ont témoigné de dérives. Certaines se sont vu refuser l’entrée devant les grilles de leur établissement scolaire alors qu’elles portaient des kimonos ou des pantalons amples.

« On attend de voir comment la suite se passera. Il y a eu énormément de dérives, d’injustices. Ça fait peur pour la suite. Il faut accompagner ces femmes », plaide Sabrina. Certaines familles ont décidé de saisir la justice après que leurs filles ont été refoulées à l’entrée de leur établissement.

Kamélia Ouaïssa

*prénom modifié

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