450 personnes. Quatre cent cinquante.  C’est le nombre de femmes, d’hommes, et d’enfants qui ont dû quitter, ce mercredi matin, le lieu qui les abritait, à Vitry-sur-Seine. En direction d’un avenir encore plus incertain. Associations, soutiens et élus étaient présents sur place pour dénoncer, d’une même voix, une politique indigne de dispersion et d’invisibilisation. Les associations, alertées de l’opération depuis plusieurs jours, avaient fait tourner un appel à soutien dès cinq heures du matin, rue de Seine à Vitry-sur-Seine.

Le jour n’est pas encore levé lorsque des habitants commencent à quitter le lieu au compte-goutte, leurs maigres effets personnels entassés dans des sacs et des valises. Une jeune mère, d’un pas pressé, tire derrière elle son bambin qui traîne les pieds, encore dans la torpeur d’un réveil prématuré. Certains hésitent. Une femme sort, s’éloigne, avant de revenir sur ses pas et de demander ce qu’elle doit faire. Elle explique être déboutée du droit d’asile et craindre la confrontation avec la police, au risque d’être envoyée en Centre de rétention administrative (CRA). Mais si elle choisit de partir de son côté, elle n’aura pas accès aux places de mise à l’abri prévues par la préfecture.

Selon les associations Médecins du monde et United Migrants, pas loin de la moitié des habitantes et habitants ont quitté les lieux avant l’opération de police. Soit parce qu’ils appréhendent la police, l’enfermement en CRA pour ceux sous OQTF ou simplement parce qu’ils savent qu’aucune solution ne leur sera proposée. Certains ont donc préféré simplement partir, d’autres ont pu trouver refuge chez des amis.

Un dispositif policier impressionnant

Sept heures. Le flot de personnes qui quittent les lieux s’interrompt lorsque six cars de CRS se garent devant l’entrée du 26 rue de Seine. Quelques minutes plus tard, une centaine de gendarmes s’engouffre par le portail, puis dans le bâtiment. Certains portent des échelles et des baudriers pour accéder aux toits, d’autres des béliers pour enfoncer les portes des chambres. La scène se déroule dans un calme relatif. Les habitants ne montrent aucune résistance, leurs valises sont déjà bouclées depuis ce week-end.

330 000 personnes sont privées de logements personnels dans le pays, c’est ça la base du problème

Lentement, les entrailles du vaste bâtiment de bureaux, ancien siège de l’entreprise Ouibus, se vident de leurs occupants, qui s’amassent dans la cour, encerclés par les forces de l’ordre. La préfecture installe des tables sur le parking, pour faire une évaluation rapide des situations personnelles et administratives des habitants. Ils sont orientés, en fonction, dans différents bus. « 80% des gens ici sont en situation régulière, la moitié au moins sont des réfugiés statutaires et une centaine travaille », explique Jhila Prentis, associative d’United Migrants, qui effectue des permanences juridiques hebdomadaires dans le squat depuis son ouverture.

Pour ces habitants, qui travaillent et paient des impôts en France, le squat reste le dernier rempart à la rue. « Il y a une crise du logement terrible en France, rappelle Jhila. 70 000 personnes sont à la rue en Île-de-France, et 330 000 personnes sont privées de logements personnels dans le pays, c’est ça la base du problème. »

La crise du logement conjuguée à une saturation totale du dispositif d’hébergement d’urgence, qui voit ses places diminuer les dernières années malgré une demande toujours plus accrue, pousse ceux qui n’ont pas d’autres solutions à investir des lieux vacants. « Il y a cinq millions de mètres carrés de bureaux vides dans la région », rappelle-t-elle. « Fin 2021, l’année de l’ouverture du squat, on était environ 270 ici », détaille Hamdan, qui fait partie des premiers à avoir occupé le lieu, et est délégué des habitants. « Mais en avril 2023, après l’expulsion d’Unibéton à l’Île-Saint-Denis, 180 personnes nous ont rejoints. Puis à nouveau une centaine après l’expulsion de Thiais, précise-t-il. Sauf que cette fois, il n’y a plus d’autre squat où se replier. »

« Il faut être sérieux un peu et arrêter de nous pousser de bâtiment en bâtiment », se désespère Faris, un ancien résident d’Unibéton, qui en était délégué des habitants. Pour lui, la situation fait courir toujours plus de risques, surtout depuis la promulgation de la loi Kasbarian qui criminalise les squatteurs. « Il va falloir ouvrir d’autres squats, avec des risques d’amendes ou de peines de prison », déplore-t-il.

Les habitants dispersés et “ré-hébergés” sans garantie de pérennité

Selon les informations de la préfecture, ce mercredi, 280 places de « ré-hébergement » étaient prévues pour les habitants de Vitry. Parmi elles, 80 en régions, à Angers et Bordeaux notamment. L’objectif affiché du jour était de « trouver toutes les solutions les plus adaptées en fonction des situations personnelles ». La préfecture précise que les départs en région se font sur la base du volontariat. Seulement, si les personnes refusent la solution proposée en région, elles ne sont pas redirigées dans d’autres dispositifs, mais simplement invitées à quitter les lieux. D’après les associations, une famille avec des enfants scolarisés à Vitry a par exemple été envoyée à Bordeaux.

Ce discours de façade ne convainc plus personne à Vitry. Associations et habitants sont conscients que, bien souvent, les mises à l’abri proposées par la préfecture se terminent à la rue. « On le sait, la plupart des gens qui sont autour de nous, dans quelques semaines, ils sont dehors. Il y a toujours ce vernis social sur les évacuations », confirme Paul Alauzy, coordinateur chez Médecins du monde. Pour autant, il reconnaît que, cette fois, un travail a été réalisé suite au diagnostic social de France Terre d’asile notamment. Bien que ce diagnostic aurait été réalisé trop rapidement, trop tardivement, il devrait, pour autant, permettre l’obtention de places plus pérennes pour les personnes les plus précaires.

« Il y avait une femme enceinte, par exemple. Elle va avoir une place en Centre d’hébergement d’urgence. Normalement, ça, c’est au moins pour plusieurs mois. On espère que des gens qui ont des papiers vont aussi avoir des places », avance Paul Alauzy.

A Vitry, il n’y a pas les JO, on dérange qui ?

Dans la cour règne un mélange de résignation et d’incompréhension. Depuis des mois, les associations réunies au sein du “revers de la médaille”dénoncent un “nettoyage social” à l’approche des JO : « On ne comprend pas. Les habitants disent : “ à Vitry, il n’y a pas les JO, alors on dérange qui ?” Personne ne sait qu’ils sont là, ils font leur vie normalement, il n’y a aucun problème », s’interroge Jhila Prentis.

Pour l’heure, aucun permis de construire où de détruire n’a été délivré pour le bâtiment qui aurait pu rester occupé des mois sans que cela ne pose de problème. Mathilde Panot a suivi les opérations et négocie depuis juillet 2022 avec les services de l’État pour « essayer de gagner du temps pour les habitants. » Venue ce mercredi pour exprimer son soutien, elle explique qu’un projet de transports en commun se prépare et qu’il est sûrement en partie responsable de l’évacuation.

« Si l’État prenait ses responsabilités et qu’il faisait les milliers de places d’hébergement supplémentaires dont on a besoin, des lieux aussi gros n’auraient pas besoin d’exister », lance la députée « 2023, c’est l’année où il y a eu le moins de constructions de logements sociaux depuis 2005. C’est aussi l’année avec le plus fort taux d’expulsions de la décennie. » Pour elle, une telle politique bafoue les droits fondamentaux des personnes concernées avec un message décevant à l’approche des JO. « Les Jeux olympiques pourraient au moins, pendant plusieurs mois, permettre que des gens puissent avoir accès à un hébergement digne, mais ce n’est même pas le cas », déplore la cheffe de file des Insoumis à l’Assemblée.

Aux alentours de 11 heures, l’évacuation se termine. Les derniers habitants passent aux tables de la préfecture. La cour se vide, laissant par ci et là des dernières traces de ceux qui ont fait vivre le lieu pendant près de trois ans. Pour eux, l’avenir s’assombrit un peu plus. La communauté créée au sein du squat, qui permettait l’entraide et un suivi juridique et de santé réguliers par les associations, s’éteint en même temps que les lumières des bureaux. En attendant qu’un autre lieu recrée cette émulation, pour un temps seulement.

Névil Gagnepain

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