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Dans une des salles du sous-sol de la Bourse du Travail de Paris, les prises de parole se multiplient. Les interventions portent à la fois sur l’actualité, les prochaines échéances militantes et sur l’importance du partage d’expériences entre les villes et les collectifs.

« Dans l’organisation de ce week-end, chaque discussion a été pensée pour répondre à l’actualité, à la hauteur du racisme et du danger grandissant que subissent les immigrés », explique Kahina de la Marche des Solidarités et du collectif des Jeunes du Parc de Belleville. « Malgré tout, on n’est pas désespérés, on a toujours pris la rue, la parole et l’espace public et on continuera. Même si c’est de plus en plus compliqué, surtout pour les militants sans-papiers qui sont vulnérables aux escalades législatives et pénales en raison de leurs situations administratives », admet-elle.

« Notre lutte est aussi intersectionnelle. Il est important de le rappeler pour lutter contre l’instrumentalisation du féminisme ou des causes LGBT. Récemment, avec le meurtre de Philippine, c’est ce qui s’est passé avec le collectif d’extrême-droite Nemesis qui pointe du doigt les hommes immigrés et racisés comme un danger pour les femmes », soulève Kahina.

La peur d’une escalade répressive contre les sans-papiers

L’annonce du nouveau gouvernement suscite aussi beaucoup d’appréhensions. Anouk, déléguée du collectif Marseille contre Darmanin, constate la puissance et l’exemplarité des luttes des sans-papiers, mais aussi leur manque d’effets et de retentissements politique. « Je pense que les gens se rendent compte du danger que représente le gouvernement Barnier pour les personnes immigrées, mais puisqu’elles sont isolées et mal représentées, la cause ne mobilise pas autant qu’elle devrait », suppose-t-elle. Devant l’assistance, Alison, assistante sociale et syndicaliste, prend la parole. « Les lois Darmanin nous empêchent de travailler. Nous savons que nos conditions de travail sont liées aux conditions d’accueil des personnes qu’on accompagne », dénonce-t-elle.

Pour les personnes sans-papiers, le quotidien devient de plus en plus hostile et difficile. « Moi, je m’inquiète beaucoup, la situation est grave. De jour en jour, rien n’avance et les expulsions, les lois anti-immigration nous attaquent », déplore Enzo, qui est aussi venu de Marseille.

Critiques des grands mouvements de gauche et calendrier militant autonome

Comme le rappellent plusieurs personnes présentes, pendant les législatives, le NFP parlait d’antiracisme dans les médias. « On a eu l’impression que la gauche découvrait le racisme », s’étonne un militant.  Mais après le 7 juillet, aucune mesure concrète n’a pu être appliquée et les syndicats comme les partis semblent être revenus « à la normale ». La question des dates de mobilisation tend déjà : le 14 juillet dernier, la Marche des Solidarités organisait une marche internationaliste et anti-impérialiste main dans la main avec les collectifs pour la Palestine et la Kanaky. Non seulement le NFP et les syndicats n’ont pas participé ni relayé, mais ils avaient organisé une autre marche le même jour.

Un membre du Collectif de sans-papiers du 20ᵉ arrondissement aborde plus concrètement le thème des marches et plus spécifiquement, de leur interdiction. Il fait observer que le droit de manifester est de plus en plus atteint. Pourtant, des dates importantes à commémorer approchent comme le 7 octobre, le 18 décembre (journée internationale des migrants)… À propos de cette dernière date, un autre représentant du même collectif fait un point historique. « L’ONU elle-même a reconnu cette date comme journée internationale des migrants, c’est un jour de lutte qui concerne tout le monde. parce que l’immigration a fait le monde. L’immigration, ce n’est pas que des Africains non plus. Toutes les nations se sont construites par des migrations. »

Des moments de partage et d’espoir

Si les échanges portent principalement sur les mobilisations et l’actualité, ce week-end a aussi pour but de créer des liens entre les jeunes de diverses villes. « Je suis venu pour expliquer la situation à Marseille, mais aussi écouter les gens d’ici pour trouver des solutions concrètes. Nos parcours et nos obstacles sont similaires. Avoir des papiers, un logement, une éducation, c’est notre combat. Ce sont nos droits et nous devons les obtenir. On nous les refuse donc on va lutter pour les arracher », assure Camara.

Les luttes parisiennes semblent impressionner les militants d’autres villes. Anouk salue cette combativité et cet aboutissement en reprenant l’exemple des grèves sur les chantiers des JOP. « Les collectifs de Paris ont une grande force. Nous sommes venus pour observer et reprendre les bonnes idées. Ici, les gens sont plus nombreux, la ville est très intense, très dense. À Marseille, nous sommes soutenus par des bénévoles, mais nous sommes moins motivés. » Avec émotion, un jeune de Lille exprime sa gratitude envers les organisateurs. C’est une des premières fois en France qu’il y a une telle assemblée. « Les jeunes de Belleville, vous ne vous rendez pas compte, mais vous êtes un modèle pour nous. Tout ce que j’ai appris m’a beaucoup motivé. »

La question de l’accès aux cours de français et à l’éducation

Samedi soir, les rencontres continuent dans un cadre plus informel au siège syndical historique de la CNT (Confédération nationale du travail) dans le 20ᵉ arrondissement. Le repas a été préparé par les Jeunes du Parc de Belleville. Amaya et Philomena, des militantes qui accompagnent des mineurs non-accompagnés, s’inquiètent des délais d’obtention de rendez-vous auprès des CASNAV (Centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés). Ces établissements sont censés dispenser des cours de français aux jeunes allophones (qui ne maîtrisent pas la langue du pays dans lequel ils se trouvent).

« J’essaye d’obtenir un rendez-vous depuis plus de deux mois et je ne suis pas le seul. Beaucoup de jeunes font des tentatives depuis trois, quatre mois, mais pas de réponse », raconte Hassane, un mineur accompagné par l’association des Midis du Mie et ancien occupant de la maison des Métallos. Philomena et Amaya expliquent que passé 18 ans, ce droit d’inscription expire. « C’est aussi ça le cynisme de ces procédures. » Un tractage et des interventions auront lieu dans la semaine pour mobiliser les professeurs des dispositifs UPE2A des CASNAV.

L’internationalisation des mouvements antiracistes et antifascistes pour horizon

Le lendemain, les collectifs se retrouvent, cette fois-ci dans les locaux de l’AERI à Montreuil, un espace associatif. Au programme, des témoignages de militants anglais, allemands, grecs… et une approche des sujets anticoloniaux comme la Palestine et la Kanaky.

La nécessité de se coordonner aussi à des échelles internationales est évoquée. De leur côté, les fascistes et les groupes d’extrême-droite sont effectivement très connectés à travers l’Europe. Weyman Bennett, militant et représentant de l’organisation anglaise Stand Up to Racism est interrogé sur la démarche à suivre.

« Il faut absolument une convergence antifasciste »

« Notre organisation agit depuis 20 ans avec les mots d’ordre simples que sont l’antifascisme, l’antiracisme et l’anti-islamophobie. Avec les attaques racistes des derniers mois en Angleterre, nous avons été contactés par des dizaines de milliers de messages sur les réseaux, nous demandant des pistes pour réagir. Il faut, à mon sens, multiplier les réunions internationales comme celle-ci. Tommy Robinson par exemple, un des leaders fascistes anglais, organise le 26 octobre une manifestation où il est prévu que 30 000 personnes viennent depuis toute l’Europe. Il faut absolument une convergence antifasciste ce jour-là. Il faut envoyer un message de résistance fort à Meloni, à Le Pen… », appelle Weyman Bennett.

Selon lui, empêcher l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen est une priorité absolue et cela fait partie des raisons de sa présence ce week-end. « La France est le 5ᵉ pays le plus riche au monde et est dotée de l’arme nucléaire. Vous imaginez si une femme d’extrême-droite était à sa tête ? », s’effraie-t-il.

De tout ce week-end, ce sont les rencontres avec les jeunes à travers la France qui auront le plus marqué les esprits. « On est dans la grande ville, donc les choses s’intensifient plus vite », remarque Fousseiny, un jeune de Belleville, en discutant avec une militante de Clermont-Ferrand qui raconte le manque d’énergie ou de stimulation dans les petites villes.

Louise Copeaux-Sanchez

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