Une banderole noire, secouée par les bourrasques, flotte devant le massif portail de fer de la maison des Métallos. Elle s’étend juste en dessous d’une lyre de métal forgé, hommage à la manufacture d’instruments de musique installée dans le bâtiment à la fin du XIXe siècle. Dessus en lettres capitales : « L’heure est grave, pas de logement, pas de JO, on reste à Paris. »  Quelques personnes se massent autour du portail, gardé par des agents de sécurité dépêchés par la mairie de Paris. L’entrée est filtrée, les journalistes ne sont pas les bienvenus. Il faut se faufiler.

À l’intérieur, une petite allée pavée mène au perron du bâtiment principal. Le rez-de-chaussée est transformé en dortoir. Des couvertures, oreillers, matelas et toutes sortes d’effets personnels sont disposés à même le sol. Il est à peine dix heures. Des jeunes, les yeux encore embués de sommeil, se servent un café et une assiette de semoule à une table sur laquelle est disposé un petit déjeuner spartiate.

Depuis ce samedi 6 avril, la Maison des métallos est occupée par plus de 200 jeunes sans solutions d’hébergement, fédérés autour du Collectif des jeunes du parc de Belleville et leurs soutiens. Lundi soir, ils dénombraient 244 mineurs garçons et huit filles. Parmi eux, la majorité dorment actuellement dans des gymnases réquisitionnés par la mairie de Paris, mais au moins 70 sont à la rue.

Dans un communiqué, les occupants réclament des hébergements dignes, une couverture médicale digne, l’accès aux cantines solidaires de la Ville de Paris pour se nourrir, l’accès à l’école, des transports gratuits et la présomption de minorité.

Une occupation pacifique à l’organisation méticuleuse

D’un geste souple, Diallo passe une balayette autour de la table du petit-déjeuner. « C’est important pour nous, pour notre santé, justifie-t-il. On dort là, à nous de tenir le lieu propre, on est beaucoup, tout le monde doit y mettre du sien. » Arrivé en France au mois de mars, le jeune homme explique dormir depuis dans la forêt de Vincennes, dans une tente fournie par une association. « On est dehors, on subit la pluie et le froid, on sent notre santé se dégrader de jour en jour », explique le Guinéen. « Les jeunes, les enfants, doivent être protégés par la société. Pas laissés dehors, exposés au danger », ajoute-t-il, révolté.  

Diallo a eu vent de l’occupation via le bouche-à-oreille. Il ne connaissait pas encore les jeunes du parc de Belleville. À la Maison des Métallos, il a pu les rencontrer, profiter d’une nuit au chaud, et trouver un collectif avec lequel il se voit s’investir pour lutter pour ses droits. Pour le droit à un logement digne, pour le droit d’aller à l’école.

À l’étage du bâtiment, racheté par la mairie de Paris à l’Union des Fraternelles des Métallurgistes au début des années 2000, des jeunes sont attablés aux tables du café du lieu. Abdoulaye, lui, connait bien le collectif, puisqu’il y est depuis sa création. En pianotant des doigts sur la table, il retrace l’histoire de leur lutte avec précision. « Quand nous sommes arrivés en France, on pensait être accueilli dans un pays de droit, assène-t-il. Mais tous les mineurs qui viennent ici sont soumis à des tests de minorité et 95 % ne sont pas reconnus mineurs », déplore le jeune homme.

Lorsque le verdict tombe, les mineurs non reconnus comme tel sont contraints de lancer un recours. S’ensuit une interminable période d’attente qui peut dépasser les six mois. « Pendant ce temps-là, tu es livré à toi-même, tu dors dans la rue, tu ne peux pas travailler, tu ne peux pas te soigner, tu n’es pas pris en charge quand tu vas à l’hôpital », décrit Abdoulaye.

Une émancipation qui peut se faire qu’à travers le collectif

Ce système, bien trop de jeunes en pâtissent et sont contraints de tenter de survivre avec l’aide d’associations solidaires. Cet hiver, ces organisations ont recensé 3 492 personnes sans solution d’hébergement dans la rue de la capitale. Et une bonne partie sont des mineurs, des enfants. C’est dans ce contexte que le collectif de Belleville s’est créé. En septembre 2023, plusieurs centaines de jeunes dormaient chaque nuit dans le parc du 20e arrondissement.

Au fil des semaines, les exilés ont le temps de créer du lien entre eux et avec des riverains. « On a commencé à organiser des AG et des petits déjeuners tous les dimanches pour pouvoir faire venir d’autres jeunes et discuter avec eux », se souvient Abdoulaye. Conscients que leur force réside dans le collectif, les mineurs s’organisent et sillonnent les campements de la région et les distributions alimentaires pour rallier des camarades à leur cause. Le collectif prend de l’épaisseur. Lors de l’évacuation qui survient au matin du 19 octobre, 400 à 500 personnes sont présentes. La préfecture a affrété des bus pour emmener les occupants dans des centres.

Mais tous dénoncent des conditions indignes dans les centres d’accueil, et une prise en charge qui ne durera que quelques jours. Éparpillés suite à l’évacuation du parc, les jeunes se retrouvent isolés et ont dans un premier temps du mal à maintenir le lien. Mais le collectif, déterminé à continuer la lutte, multiplie les actions d’occupation de lieux appartenant à la mairie de Paris, comme la Maison de l’Air dans le 20e arrondissement. « Ça nous a permis d’ouvrir plus de 600 places dans des gymnases », se félicite Abdoulaye. Une petite victoire arrachée, mais qui évidemment reste largement insuffisante.   

La solution est précaire. D’autant plus que les dernières semaines, le bruit court que des gymnases vont être réquisitionnés pour loger les forces de l’ordre pendant les Jeux olympiques. Le collectif décide alors d’occuper la Maison des Métallos pour réclamer des solutions pérennes.

Mardi après-midi, dans un communiqué, la Ville de Paris « demande la mise à l’abri immédiate par l’État des personnes concernées »  et déplore que ce soit «  la 7e fois qu’un bâtiment municipal est ainsi occupé, faute d’intervention de l’État. » Et d’ajouter : « Cette nouvelle occupation intervient dans le prolongement d’une série ayant conduit la Ville de Paris à prendre en charge 450 jeunes mis à l’abri au sein de cinq équipements parisiens. » 

La municipalité pointe les responsabilités de l’État en la matière et refuse de continuer à s’y substituer de façon répétée. Elle va même jusqu’à citer des lieux vacants qui pourraient être réquisitionnés par le gouvernement, comme l’hôtel-Dieu, pour parer à cette situation d’urgence. Contactée, la préfecture de Région n’a pour l’instant pas donné suite.

Le collectif des jeunes du parc de Belleville «  l’avant-garde de la lutte anti-raciste »

Dans son communiqué, le collectif annonce qu’il ne quitterait pas la Maison des Métallos tant qu’une délégation ne serait pas reçue par la mairie de Paris et la Préfecture. Et le mot d’ordre est clair, il faut une solution pour tout le monde, ils resteront solidaires jusqu’au bout. « On essaie tout le temps de nous diviser, de proposer quelques places pour certains, mais ils n’ont pas compris que cette lutte n’était pas que pour nous », martèle Abdoulaye. Il a cœur de faire changer les choses, de se battre pour un accueil digne pour tous. Des représentants de la Ville sont passés une première fois lundi soir, mais sans pour l’heure de proposer de solution.

Et Abdoulaye voit déjà plus loin. « Ce n’est pas une lutte que pour des logements, on lutte pour les droits humains en général. Et toute personne qui lutte pour une cause juste mérite d’être soutenue. Alors, en tant que collectif, on a manifesté lors de la journée internationale des droits des femmes, on a manifesté avec les syndicats, avec la CGT. » Le collectif tente de nouer des liens, de créer des ponts entre les luttes, de les faire converger. « Quand on voit se qu’ils font, on se dit qu’ils sont un peu l’avant-garde de la lutte anti-raciste », observe Jeanne, l’une de leurs soutiens, un brin admirative.

Dans les jours et les semaines qui viennent, le collectif s’attend à voir des bus de la préfecture venir chercher les occupants des gymnases pour les emmener en régions. « Mais aucun jeune n’acceptera de partir », affirme Jeanne. Pour ceux qui sont en attente d’un recours, quitter l’Île-de-France pourrait être synonyme d’abandonner toute chance d’être reconnu mineur. Et ce serait surtout synonyme de quitter ses camarades et la lutte.

Névil Gagnepain

Photo : Dario Nadal

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