Une table pliante, des sniwas (plateaux) de mille-feuilles algériens et un homme sont postés à l’entrée d’un grec. Tel un crieur qui annonce les nouvelles du jour, il lance à tue-tête : « Allez les mille-feuilles, les mille-feuilles ». Quelques passants s’arrêtent pour acheter la pâtisserie qui sera dégustée le soir même avec un thé à la menthe ou un café au lait.

Il est 15 heures et sur la rue d’Avron, située dans le 20ᵉ arrondissement de Paris, le monde est en ébullition. Des deux côtés de la rue, boucheries, épiceries et restaurants sont alignés les uns après les autres. Sur les trottoirs, caddies de courses et sachets en plastique accessoirisent les passants qui pressent le pas. Et pour cause, il ne reste plus que quatre heures et quelques minutes avant la rupture du jeûne.

Le ramadan a débuté le 11 mars. Durant un mois, selon le calendrier hégirien, les musulmans doivent s’abstenir de manger et de boire à partir du levé et jusqu’au coucher du soleil. Ce sont respectivement les prières du Fajr et du Maghreb qui rythment les horaires.

Une ambiance particulière où les traditions algériennes sont représentées

Durant cette période, « une ambiance particulière où les traditions algériennes sont représentées » imprègne la rue d’Avron, raconte Sami, les mains à la pâte. Il est en pleine préparation de Aghroum Akouran, une galette traditionnelle kabyle, traduite par “pain dur”. Gérant d’un restaurant traditionnel algérien, il est installé sur la rue depuis quatre ans.

À l’intérieur du resto, aucun client à l’horizon. Les chaises et les tables sont rangées. C’est à l’extérieur, devant l’enseigne, que l’affluence bat son plein. Là, deux tables sont posées de part et d’autre de la vitrine. Pour le plus grand plaisir de leurs papilles et au risque d’attraper le diabète, ils peuvent y trouver pâtisseries et crêpes salées maghrébines. Zlabia, cornes de gazelles, mhajeb (crêpes salées farcies) ou msemens, le choix est large.

La rue d’Avron, un « Barbès bis »

« Pendant le ramadan, c’est le bled, même le taxiphone devient un resto », sourit Sami. Pour Hakan, gérant du bar restaurant “Amsterdam” et de l’épicerie turc qui se trouve à deux pas, la rue d’Avron est un « Barbes bis ». Il fait référence au quartier Barbès du 18ᵉ arrondissement de Paris, connu pour être un lieu de rencontre et de commerce pour la diaspora algérienne de la capitale.

Lui aussi a installé des tables à l’entrée de l’ “Amsterdam”. Comme chez Sami, les passants peuvent acheter des produits principalement trouvés en Algérie, comme le Kalb El Louz, les mille-feuilles et bien évidemment le Hamoud, une limonade phare de la culture algérienne. Il s’est “adapté” à la clientèle, même s’il y a ajouté sa touche culturelle en vendant des produits turcs.

Les sautes d’humeur des ventres creux

Malgré l’ambiance festive, Hakan et Sami partagent un même grief. Ils déplorent le comportement de certains clients. Le premier dénonce « une animosité » des jeûneurs. « Ne pas manger ne doit pas influencer sur le comportement », peste-t-il. Certaines personnes « n’ont pas compris le principe spirituel » de ce mois béni, analyse-t-il. Sami est plus bref : « Les clients sont chiants, ils veulent que tout soit parfait ».

Chacun a laissé sa daronne au bled, voir des mamans avec des robes [traditionnelles kabyles] ça me fait penser à l’Algérie

Malgré les sautes d’humeur des ventres creux, les deux commerçants reconnaissent  l’atmosphère particulière de cette rue durant le ramadan. Une ambiance que l’on pourrait définir par une expression arabe utilisée pour pallier le mal du pays : “Reht el bled”. “L’air du pays”, en français, est employé lorsqu’une odeur, un plat, une musique ou un lieu renvoie à des souvenirs construits dans le pays natal. C’est une sorte de madeleine de Proust de l’exil. « Chacun a laissé sa daronne au bled, voir des mamans avec des robes [traditionnelles kabyles] ça me fait penser à l’Algérie », raconte avec nostalgie Karim, agent de la ville de Paris. Lui, Hafid et Lyes, ses collègues, ont profité de leur pause déjeuner pour acheter pains et pâtisseries chez Azzedine, gérant d’un restaurant algérien.

Chez Azzedine, il n’y a pas de table près des vitrines. À l’inverse de chez Sami ou Hakan, les clients sélectionnent leurs produits à l’intérieur du restaurant. Une télévision, accrochée au mur, est branchée sur une chaîne qui retransmet en direct les images de la Mecque. Mais impossible d’entendre le son, le brouhaha est trop important dans le resto. Une expression algérienne revient à chaque fin de discussion : « Saha ftourek ». Bon appétit.

Marie-Mène Mekaoui 

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