Devant les grilles du lycée Maurice Utrillo de Stains (93), les pancartes font office d’éventail ou servent à masquer les visages des nombreuses caméras venues couvrir le mouvement de grève. « C’est une mobilisation unanime. Tous les services ont répondu à l’appel », observent deux membres de « l’équipe vie scolaire » qui préfèrent rester anonymes.

Depuis le 4 septembre 2023, une note de service adressée par le nouveau ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal, formalise l’interdiction des abayas et des qamis au sein des établissements scolaires.

En réaction, le personnel du lycée Maurice Utrillo à Stains (93) s’est mis en grève reconductible depuis ce mercredi 6 septembre. Plus tôt dans la matinée, une délégation était accueillie par le chef d’établissement en présence de la directrice académique adjointe de l’Académie de Créteil. Chose rare, le rectorat a dépêché sur les lieux son service communication.

« À moins que ce soit le début d’un mouvement plus grand »

De loin, les élèves observent la scène. « Je comprends la mobilisation, mais je ne sais pas si ça va aboutir à quelque chose de concret », commente Maïmouna, élève en classe de première. « À moins que ce soit le début d’un mouvement plus grand », reprend-elle.  À côtés, sa camarade s’enthousiasme. « On a perçé sur Twitter ! », remarque Jenny, en 1ʳᵉ STMG.

Depuis lundi, les élèves portant une abaya sont priées de rentrer se changer. La veille, une fille portant un kimono noir a été rappelée à l’ordre dans leur lycée.  D’après un professeur, d’autres élèves vêtues d’un kimono, mais de couleurs vives cette fois-ci, n’ont pas été réprimandées.

La note diffusée par le ministère de l’Éducation nationale ne définit pas ce qu’est une abaya, laissant la définition de ce vêtement aux équipes éducatives.

Dans le département, comme sur le reste du territoire, 50 inspecteurs académiques membres des «  équipes académiques des valeurs de la République » inspectent les 240 établissements de Seine-Saint-Denis. « Deux jeunes filles se sont présentées ce matin en abaya, mais elles portaient des vêtements en dessous », précise la directrice du service communication du rectorat. « Il n’y a pas de sujet abaya à Maurice Utrillo », balaye-t-elle.

Le personnel refuse de faire « la police du vêtement »

« Pour le moment, ce sont les inspecteurs académiques qui se chargent de faire respecter le nouveau règlement. Mais dans quelques jours, à 7h45 devant les grilles, il n’y aura plus que nous et les surveillants », s’insurge un CPE qui refuse, comme ses collègues, de faire « la police du vêtement ». Présent au moment de l’incident du kimono la veille, il confie avoir eu « les larmes aux yeux ». « J’aurais honte de faire ça. »

Maïmouna et Jenny décrivent une rentrée calme. « On a été bien accueillies », s’exclament d’emblée les jeunes filles. « Il m’arrivait de porter des abayas l’année dernière », raconte Maïmouna. « On m’a déjà dit de faire attention et d’alterner mes tenues. Le proviseur m’a dit que ce n’était pas une décision qui venait de lui. Et on ne m’a jamais fait de remarque devant les autres élèves », relate-t-elle.

Ils disent abaya, mais dans certains cas, même les pantalons larges ne passent pas

Plus que l’interdiction de l’abaya, c’est son application qui dérange les jeunes filles. « Ils disent abaya, mais dans certains cas, même les pantalons larges ne passent pas », évoquent les jeunes filles. La veille, à Enghien-les-Bains (Val d’Oise), une amie de Jenny aurait été sommée de rentrer chez elle se changer. « Elle portait une tenue large qu’elle porte simplement parce qu’elle a des complexes », précise Jenny. « Ils l’ont humiliée, elle a fini en pleurs. »

Fin juin déjà, une élève de l’académie de Versailles avait été exclue de cours pour avoir porté un kimono en classe. Elle avait ensuite été placée en garde à vue. Contactée avant la rentrée des classes, l’avocate de l’élève n’a pas répondu à nos sollicitations.

« Ils ne visent pas toutes les personnes, ils visent les personnes qui les dérangent », croient comprendre les élèves de Maurice Utrillo. « En France, les musulmans dérangent », souffle Maïmouna.

Aya, élève en seconde, partage ce point du vue. Pour elle, mieux vaut avoir les cheveux lisses que bouclés, être « Blanche plutôt qu’Arabe ». « J’ai lu sur twitter que c’était une grève honteuse. Je ne suis pas du tout d’accord. Ça nous donne de la force », juge-t-elle en observant le rassemblement.

« On veut faire comprendre à ces jeunes filles qu’on est fière de travailler avec elles », lance un CPE au micro. « Il y a un rapport d’autorité évidemment, mais pas d’hostilité », juge-t-il. Venus des villes voisines ou plus lointaines, des enseignants du Bourget ou d’Argenteuil ont fait le déplacement pour soutenir « ce beau mouvement ». « C’est un front large et unitaire, c’est ça la force de Maurice Autrillo », observe Omar Slaouti, professeur à Argenteuil (92) et membre du collectif pour Ali Ziri.

Absence de personnels, sous-effectif…

« On entend souvent dire que l’interdiction de l’abaya est un moyen de faire diversion pour ne pas parler des vrais problèmes. Ce n’est pas une diversion », estime Omar Slaouti. Lui insiste sur le caractère islamophobe de cette interdiction. Reste que le personnel de Maurice Utrillo entend également dénoncer les nombreuses difficultés auxquelles ils font face en cette rentrée.

Dans ce lycée, qui accueille plus de 1 200 élèves, les CPE ne sont plus qu’au nombre de trois. « Dans l’idéal on devrait être six, pour faire face au décrochage scolaire énorme », calcule un CPE. « L’année dernière, nous avions un CPE en temps partiel en plus et, déjà, j’avais l’impression de ne pas pouvoir faire mon travail correctement », abonde un autre membre du lycée. À l’issue de la mobilisation, l’académie de Créteil leur aurait assuré maintenir le poste de CPE en temps partiel « mais uniquement pour cette année », précisent les grévistes.

La promesse d’un prof devant chaque classe « est un mensonge d’État », s’insurge aussi le personnel mobilisés. Absence d’infirmière scolaire depuis plusieurs années, classes en filière professionnelle de 30 élèves au lieu de 24… Les griefs sont nombreux.

« Dans ces conditions, il n’y aura pas de rentrée », entonne le personnel du lycée. La grève, elle, est reconduite pour demain. Le Conseil d’État qui a été saisi d’une requête contre l’interdiction de l’abaya doit rendre sa décision avant la fin de la semaine.

Méline Escrihuela

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