« Tu peux pas rentrer, ni pour un câlin, ni pour des mots. » C’est par ces mots que Luna* résume ce qu’elle a vécu durant le premier confinement. Cette étudiante en classe préparatoire parisienne s’est trouvée dans l’impossibilité de rentrer chez ses parents en Equateur, n’ayant pu récupérer son titre de séjour avant le 17 mars. Quelques mètres carrés d’espace personnel, une colocataire avec qui elle s’entendait de moins en moins bien, le silence par peur d’inquiéter sa famille, la solitude, ont été son quotidien pendant trois mois.

Le cas de Luna est loin d’être isolé. De nombreux étudiants étrangers ont été contraints de se confiner en France au mois de mars ainsi qu’au mois de novembre. En plus des difficultés administratives, les raisons de rester lors du premier confinement étaient liées à l’incertitude face à l’avenir. Adam*, étudiant égyptien en troisième année à Sciences Po, avait toujours espoir pendant le premier confinement que les cours reprennent en présentiel.

C’est désormais la peur de contaminer leur famille ou de se retrouver dans un pays dans lequel la situation est plus catastrophique encore que celle de la France qui pousse les étudiants étrangers à rester.

Aujourd’hui, la plupart des universités et grandes écoles ont annoncé des cours en distanciel jusqu’à la fin du premier semestre. C’est désormais la peur de contaminer leur famille ou de se retrouver dans un pays dans lequel la situation est plus catastrophique encore que celle de la France qui pousse les étudiants étrangers à rester. Pour ceux qui viennent de pays avec d’autres fuseaux horaires, le décalage horaire est aussi une variable à considérer que tous les établissements ne prennent pas en compte.

Le confinement étant plus souple cet automne, certains examens ou travaux pratiques continuent également d’avoir lieu en présentiel, ce qui nécessite pour certains d’être sur place. Pour Inès, rentrer en Tunisie « n’est pas une option », pour ce confinement, puisque son école de management maintient la tenue d’oraux au sein de l’établissement.

Durant le premier confinement, 43% des étudiants étrangers présentaient les signes d’une détresse psychologique.

Les étudiants étrangers semblent particulièrement souffrir de l’isolement et de la solitude lorsqu’ils sont confinés. Durant le premier confinement, 43% présentaient les signes d’une détresse psychologique, contre 29% des étudiants français. Cela se manifeste notamment par une inquiétude quant à la situation sanitaire et économique que traverse leur pays et un sentiment d’impuissance face aux difficultés auxquelles leurs proches peuvent faire face.

On perçoit également une certaine lassitude vis-à-vis de l’enseignement en distanciel : « ça fait neuf mois que je suis à distance et c’est particulièrement compliqué, être à distance me désintéresse des cours et ne me donne aucun appétit intellectuel », constate Adam.

Si l’exposition répétée aux écrans, le manque de communication avec les enseignants et l’augmentation de la charge de travail personnel causés par le télé-enseignement ne sont pas propres aux étudiants étrangers, ces derniers sont plus susceptibles d’être dépassés par la situation. « Ton 100% ici n’est pas ton vrai 100% », explique Luna.

Dans leur chambre, les étudiants étrangers tentent de travailler, réussir leurs examens, sans inquiéter les parents restés au pays. © Jessica Wright. 

L’urgence de devoir joindre les deux bouts alliée à la difficulté des cours

L’attente du renouvellement de leur titre de séjour s’additionne pour certains étudiants aux angoisses liées au confinement. C’est le cas d’Assane*, étudiant sénégalais de 26 ans. Etudiant en France depuis trois ans, le premier confinement du mois de mars, malgré ses encombres, n’est pour lui plus qu’un lointain souvenir. Les préoccupations liées à l’impossibilité d’effectuer un travail de terrain auquel l’habituait son Master de géographie sont maintenant noyées au milieu d’autres questions bien plus urgentes.

Cela fait plus d’un mois qu’Assane ne dispose plus de titre de séjour, et la sous-préfecture de Meaux ne répond pas à ses lettres recommandées. La pression financière s’accroit, puisque le sésame le prive à la fois de son job étudiant, perdu à la date d’expiration de son titre, ainsi que des aides au logement de la CAF qui lui permettent de payer une partie de son loyer.

L’ONVE rapporte que les étudiants étrangers qui ont dû interrompre leur activité rémunérée ont été impactés plus que les autres durant le premier confinement : ils ont subi des pertes estimées à 426 euros par mois en moyenne, soit presque deux fois plus que la moyenne des étudiants dans la même situation. Ainsi, l’enquête révèle que « près d’un étudiant étranger sur deux a déclaré des difficultés financières plus importantes que celles rencontrées habituellement ».

En période de confinement, trouver un petit boulot en extra ou en soutien scolaire relève de la mission impossible. Sans aide de son université ni du Crous, il a contacté une assistante sociale, car il ne sait pas s’il pourra payer son loyer encore longtemps, alors qu’il est dorénavant sans source de revenu. L’étudiant tente de garder la tête froide, et de trouver un stage, indispensable à la validation de son année d’études, mais il confie que sa situation financière et administrative le tourmente, et rend parfois très difficile la concentration sur des cours à distance.

Devant leurs écrans, des étudiants étrangers avec le sentiment d’être livrés à eux-mêmes

Être un étudiant étranger demande de fournir des efforts supplémentaires pour s’intégrer et s’adapter à un système d’éducation différent de celui qu’on connaît. Selon Luna, pour les mêmes résultats, un étudiant étranger doit travailler plus qu’un étudiant français. C’est encore plus le cas lorsque les cours sont dispensés à distance et qu’on est plus souvent « livré à soi-même ».

« Il n’y pas presque jamais d’aides spécifiquement destinées aux étudiants étrangers, c’est même plus difficile pour nous de les obtenir », remarque Luna. Un constat partagé par l’ensemble des étudiants étrangers interrogés, qui bénéficient seulement des aides de la CAF et, dans le cas de Adam, d’une bourse d’excellence.

La solitude, le manque d’accompagnement, autant de facteurs qui rendent la situation compliquée pour les étudiants étrangers. © Jessica Wright

Plus généralement, les étudiants étrangers déplorent l’absence d’accompagnement personnalisé au sein de leurs établissements. À titre d’exemple, Inès fait remarquer qu’il n’y a pas d’aides spécifiques apportées aux étudiants étrangers dans son école lors de la recherche d’une alternance alors que « c’est assez difficile d’avoir un entretien quand ton nom de famille est difficile à prononcer ».

Les étudiants étrangers qui ont déjà vécu le premier confinement en France semblent tout de même avoir pris leurs précautions pour mieux vivre celui amorcé à partir d’octobre dernier. Inès, qui a souffert d’un lumbago pendant le premier confinement, a investi dans une chaise de bureau, un écran et un clavier d’ordinateur.

Luna a décidé de déménager dans un foyer pour étudiantes et jeunes travailleuses, une solution qui lui permet de disposer de son espace à elle tout en étant en contact avec d’autres jeunes filles auprès desquelles elle peut trouver du réconfort, en attendant peut-être de retrouver sa famille en Équateur, si 2021 le permet.

Samia Hanachi

Photographie à la Une : Jessica Wright. 

* Les prénoms ont été modifiés à la demande de certains étudiants interviewés.

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