« Safyatou est réveillée, elle parle. Son pronostic vital n’est plus engagé », rapporte la grande sœur de l’une des trois jeunes percutés en scooter à Paris. Le ton est posé, mais laisse poindre une grande émotion.

Dans la soirée du 13 avril, trois adolescents ont chuté de leur scooter alors qu’ils tentaient d’échapper à un contrôle de police. Selon plusieurs témoins, ces jeunes ont été percutés volontairement par la voiture des forces de l’ordre.

Méline, 37 ans, a été un témoin direct du drame et son récit a contredit la première version des policiers. Pour elle, il n’y a aucun doute sur le fait que le choc « était prémédité ». Elle dit son effroi face à ce qu’elle a vu. « Je n’arrivais pas à y croire. Le bruit du choc, j’ai vu des corps s’éjecter. C’est vraiment traumatisant. »

Policiers suspendus et placés en garde à vue

Après avoir nié les faits, les agents de police ont reconnu avoir eu « des gestes pas appropriés », selon le ministre de l’Intérieur. Les trois agents ont été suspendus puis placés en garde à vue. L’un des policiers a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire.

Mercredi 26 avril, les familles des jeunes se sont réunies dans la petite salle du centre social de Rigole, dans le XXe arrondissement de Paris. Leur quartier. Autour d’une table, la sœur de Safyatou, son père et des membres de la LDH (Ligue des Droits de l’Homme) et d’associations du XXe arrondissement de Paris.

L’atmosphère est lourde. Un appel a été lancé pour créer un comité de soutien aux familles de Salif, Safyatou et Ilan. La démarche a été initiée par la LDH et plusieurs associations du XXe arrondissement pour appuyer les démarches des familles dans leur quête de vérité et de justice.

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Safyatou, la conductrice du scooter, âgée de 17 ans, est gravement blessée. Son petit frère, Salif, 13 ans a été touché au foie. Il a pu quitter l’hôpital, mercredi 19 avril. Quant à Ilan, 14 ans, il a été légèrement blessé à la jambe. Juste après l’accident, il a été placé en garde à vue pour « complicité de refus d’obtempérer ».

Plusieurs témoignages font état d’une volonté de la police de dissimuler la réalité des faits. Une enquête de l’IGPN est en cours. Et une plainte a été déposée pour « tentative d’assassinat par personnes dépositaires de l’autorité publique avec arme par destination », par l’avocat du jeune Ilan, Arié Alimi.

« Il y a un ciblage racial et social des Noirs, des Arabes »

Meriem, une militante du XXe arrondissement, laisse éclater sa colère et pointe le racisme, comme problème systémique et structurel dans la police. « Il y a un ciblage racial et social des Noirs, des Arabes et des musulmans qui sont identifiés comme des dangers. Ça permet de s’autoriser à briser, à massacrer des vies. » 

Pourtant, une certaine réticence à s’exprimer se fait sentir. Puis, les interventions de nombreux élus se succèdent. Ils saluent le courage et la dignité des familles dans cette épreuve douloureuse. Largement médiatisée, l’affaire a fait l’objet d’une sortie du polémiste d’extrême-droite, Éric Zemmour. Ce dernier s’est déclaré favorable aux « contacts tactiques », comme en Angleterre, qui autorise à percuter les véhicules en fuite. Une plainte a été déposée contre lui pour « apologie du crime ».

On est dans des quartiers populaires, donc tout est permis

Samba, l’oncle de Salif et Safyatou, remercie toutes les personnes présentes pour leur soutien. « Même si on ne le dit pas, il y a du racisme par rapport à ce qui s’est passé », avance-t-il. Pour Samba, ces jeunes auraient pu être interpellés autrement. « On pouvait les attendre au coin de la rue. On est dans des quartiers populaires, donc tout est permis », souligne-t-il.  

Au cours des échanges, l’idée d’organiser une marche émerge. Il s’agit de lui donner une très grande ampleur, au-delà du cas des trois jeunes. La mère d’Ilan y est d’ailleurs favorable et estime qu’il faudrait associer toutes les victimes des violences policières à la marche.

L’attitude des policiers dénoncée

Pour la mère d’Ilan, les droits de son fils ont été bafoués. « Toute la nuit, Ilan n’a pas eu le droit au repos. Il a eu droit à un flic de la BAC dans sa chambre !  » Et de retracer le périple de son fils : « Ilan va être mis en cellule. On ne lui donnera pas un médicament, dénonce-t-elle. À ce moment-là, il est interrogé une première fois sans adulte. Puis, une seconde fois, plus de 13 heures après. » Elle affirme également que sa présence a été interdite lors du dépôt de plainte de son fils contre les forces de l’ordre.

À l’issue de la réunion, plusieurs décisions sont prises. Un réseau sera organisé pour informer et réagir collectivement en cas de violences policières dans les quartiers du XXe arrondissement. Une cagnotte sera créée pour aider à payer les frais de justice.

Une première marche aura lieu dimanche 7 mai à 15 heures, de la place de la Réunion jusqu’à la mairie du XXe en passant par la rue de Bagnolet.

Hervé Hinopay

Photos / Marie-Mène Mekaoui

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