« Mince, est-ce qu’on a annulé le car scolaire qui nous emmène normalement à la piscine ? », s’interroge une enseignante en sortant de la salle des profs. Jeudi 15 décembre, l’équipe pédagogique de l’école élémentaire Henri Barbusse, à Arcueil (Val-de-Marne), fait grève. Tant pis pour le repas de Noël inscrit au menu de la cantine. Installés dans la salle de réfectoire vide, une dizaine de professeurs se mobilisent contre le manque de moyens associé à l’UPE2A – unité pédagogique pour élèves allophones nouvellement arrivés.

Pour le secteur d’Arcueil, le dispositif compte 22 élèves et il s’apprête à en accueillir trois de plus. Les jeunes sont rattachés à des classes banales et alternent entre des enseignements spécialisés et d’autres plus classiques. Autrement dit, l’UPE2A sert de béquille pour renforcer l’apprentissage du français.

Un dispositif particulier effectif seulement depuis fin novembre

Sauf que celle d’Arcueil tourne au ralenti. Avec un enseignant en arrêt non remplacé, puis remplacé par un confrère non formé à temps partiel, les élèves allophones n’ont commencé à bénéficier du dispositif que fin novembre. Résultat : ils ont été pris en charge une dizaine d’heures depuis la rentrée scolaire, en plus de l’enseignement classique. À noter qu’une seule personne à temps partiel gère l’UPE2A mobile. Elle se déplace d’école en école dans son secteur, contrairement au dispositif fixe.

Les élèves sont répartis en trois groupes de niveau pour encourager la prise de parole. Actuellement, ils bénéficient environ de quatre heures d’enseignement hebdomadaire. Soit deux fois moins que les neuf heures de prise en charge minimum (par semaine) prévues par la circulaire Valls de 2012.

Des professeurs démunis face aux élèves non-francophones

« L’objectif pour ces enfants, c’est qu’ils puissent rattraper le niveau et être scolarisés dans un cursus classique », indique Jean-Baptiste Bennoit, le directeur et co-secrétaire départemental de la FSU-SNUipp. Pour répondre aux besoins des élèves, les responsables du syndicat réclament un enseignant d’UPE2A à temps plein. En attendant, les professeurs des classes d’inscription font du bricolage. Autour de la table rectangulaire, tous ont une anecdote à raconter.

Certains disent avoir téléchargé Duolingo sur leur téléphone. Un autre explique qu’il doit parfois traduire la dictée en roumain. Certains professeurs achètent à leurs frais des bouquins de traduction pour leurs élèves. « On dit aux jeunes du secteur de venir dans notre école pour bénéficier du dispositif UPE2A, mais, en fait, il n’y a presque rien de prévu », soupire une enseignante qui parle de « maltraitance » à l’égard de ces enfants.

L’équipe éducative réclame une formation dès cette année dans le cadre des animations pédagogiques sur la scolarisation des élèves allophones. Mais aussi, l’ouverture d’une onzième classe à la rentrée 2023. Pour faire part de leurs revendications, les responsables de la FSU-SNUipp 94 ont rencontré la Direction des services départementaux de l’éducation nationale du Val-de-Marne (DSDEN 94), lundi 12 décembre. « On devait obtenir une réponse dans les 24 heures », soupire le directeur.

Postes supprimés durant le Covid : « La scolarité des enfants allophones accueillis a été sacrifiée »

Parmi les pistes proposées par la DSDEN 94, il y a celle de redéployer l’UPE2A de Gentilly sur les écoles d’Arcueil. Au risque de dégrader la scolarisation des élèves allophones de Gentilly sans répondre aux difficultés d’Arcueil, d’après les enseignants. « C’est déshabiller Paul, pour habiller Jacques », peste Cyrille Micheletta, délégué syndical Snuipp-Fsu qui a fait le déplacement à Henri Barbusse pour soutenir la grève. Contacté par le Bondy blog, la DSDEN 94 n’a pas donné suite à notre demande d’entretien. Idem pour l’académie de Créteil.

En France, les UPE2A concernaient 68 000 élèves pour l’année scolaire 2018-2019. Selon les chiffres officiels, plus de 800 jeunes sont concernés par le dispositif dans le Val-de-Marne, répartis dans une quarantaine de dispositifs. « Au moment du Covid-19, la fermeture des frontières a fait chuter les effectifs en UPE2A. L’académie en a profité pour fermer sept postes dans le département », explique Cyrille Micheletta.

Des postes ont été rouverts tard dans l’année, lors de l’arrivée des enfants réfugiés ukrainiens. « La directrice académique nous a confié que le nombre d’élèves était en constante augmentation. Mais le mal a été fait, la scolarité des enfants allophones accueillis dans ces dispositifs a été sacrifiée, et de nombreux collègues expérimentés sont partis », précise-t-elle. 

Plusieurs UPE2A en difficulté dans le département

Le syndicaliste avoue ne pas comprendre la logique de gestion des UPE2A. « On se demande s’il s’agit d’un véritable objectif de destruction ou si c’est juste l’application de dogmes absurdes qui conduisent l’administration à se tirer une balle dans le pied, surtout que le coût en termes de poste n’est pas énorme. » Le secteur Arcueil n’est pas le seul à éprouver des difficultés dans le département.

« Sur la circonscription d’Alfortville, 42 élèves sont inscrits dans un des dispositifs mobiles sur trois écoles (Bérégovoy, Octobre, Victor Hugo), dont 28 dans la seule école Bérégovoy qui compte également une Ulis ( dispositifs pour la scolarisation des élèves en situation de handicap) ! », indique Cyrille Micheletta. Une configuration qui rend l’organisation des UPE2A « impossible ».

Il est envisagé de fermer un voire deux des quatre dispositifs implantés dans ma commune

Selon les syndicats, la moitié des UPE2A dans le Val-de-Marne sont devenus mobiles, une transition encouragée par la DSDEN 94. Sur le terrain, c’est l’incompréhension, car bon nombre d’enseignants réclament le retour du rattachement aux écoles qui permettent un meilleur suivi des élèves. «Ce modèle permet aussi d’être vraiment intégré à une équipe pédagogique et d’échanger davantage avec mes collègues au sujet des élèves », estime une enseignante à temps plein dans une UPE2A fixe à Ivry-sur-Seine.

Pour l’instant, la spécialiste apprécie ses conditions de travail, mais reste méfiante au regard des défaillances dans les établissements voisins. Elle craint l’effet-domino : « Il est envisagé de fermer un voire deux des quatre dispositifs implantés dans ma commune. J’ai peur que cela change ma façon de travailler. »

Edit : à l’issue de leur grève, l’équipe éducative a réussi à obtenir une UPE2A à temps plein à Henri barbusse.

Audrey Parmentier

Articles liés