Jalil arbore un t-shirt qui exige justice pour Nahel, mais il ne réalise toujours pas ce qu’il s’est passé. « Je suis allé à son enterrement, j’ai vu son corps de mes yeux, mais malgré ça j’ai toujours du mal à y croire. » Originaire du quartier du Vieux-Pont et ami de Nahel Merzouk, il était évident pour lui de se trouver à ce rassemblement, organisé ce dimanche à quelques mètres à peine de l’endroit où le jeune homme a été tué. Le soleil froid de novembre éclaire la place Nelson Mandela de Nanterre, mais ne réchauffe personne. Les visages, nombreux à soutenir celle que l’on connaît depuis juin dernier comme « la maman de Nahel », restent graves et gris.

Celui de Mounia Merzouk, encore plus que les autres. C’est à son initiative que tous sont réunis. Six jours après le début de l’été, son fils de 17 ans était abattu par un policier pour un refus d’obtempérer. À la suite de la libération sous contrôle judiciaire, mercredi dernier, du policier mis en cause, la mère de Nahel a appelé à la mobilisation. À la mémoire de son enfant, mais aussi pour dénoncer ce qu’elle qualifie de « véritable injustice ».

Entre colère et lassitude

Très fébrile au micro, Mounia tient à partager sa colère et son déchirement. « Ce policier a tué mon fils. Je n’ai plus sa voix, son sourire. Tout me manque de mon bébé. Je parle au nom de toute maman qui peut avoir cette douleur-là », déclare-t-elle, des sanglots dans la voix. « Ce policier n’a pas enlevé une vie, il en a enlevé deux, il m’a tuée en même temps, lâche Mounia. Il faut qu’ils arrêtent de tuer nos enfants ! ». Submergée par l’émotion, elle passe la parole et remercie ses soutiens, avec parmi eux d’autres collectifs et proches de victimes de violences policières réunis autour d’elle.

Ali Ziri, Alassane Sangaré, Amine Bentounsi, Souheil El Khalfaoui, Adama Traoré, Rayana, Camara, Malika… Les noms s’égrainent, les proches défilent au micro, tous pour raconter la même histoire, pour témoigner des mêmes sentiments d’injustice, de désespoir. Michel Zecler, tabassé par 3 policiers en 2020, prends à son tour le micro. « C’est difficile pour moi de parler. On est ici pour des morts, et moi, je suis en vie. Justice pour Nahel », appelle le producteur de musique. Des larmes coulent sur des joues, des yeux se baissent.

S’ils l’ont tué, c’est qu’ils s’en sont sentis autorisés. Dans ce pays, on a l’impression que la police fait sa loi

« Ma présence ici, c’est un cri de révolte, et c’est aussi pour la maman », explique Hayat. Elle travaille à l’Aide Sociale à l’Enfance, et a tenu à être là pour soutenir les proches de Nahel et dire son incompréhension face à ce qu’elle perçoit comme une impunité de la police. « S’ils l’ont tué, c’est qu’ils s’en sont sentis autorisés. Dans ce pays, on a l’impression que la police fait sa loi. Ils sont tombés de haut quand ils ont vu leur collègue en prison parce que ça n’arrive jamais. »

Les divergences entre les versions des policiers, qui ont conduit à la mise en détention de l’auteur du coup de feu, la mettent hors d’elle. « Il a fallu des vidéos pour avoir la vérité. Comment voulez-vous après ça que les jeunes croient en la justice ? On ne doit pas mourir dans ces conditions quand on a 17 ans. » Et de penser à la fin d’année qui approche. « Ce policier va passer Noël dans sa famille. Et la maman de Nahel ? Elle ne passera plus jamais les fêtes avec son fils ».

Une cagnotte qui ne passe pas

Dans la vidéo d’appel au rassemblement, la voix de Mounia se brise sur un point d’interrogation. « Comment la vie de mon fils peut-elle avoir si peu de valeur pour cette justice ? Quel message est envoyé ? ». Le 16 novembre, la députée de la France Insoumise, Rachel Kéké, proposait sa propre interprétation. « Message envoyé aux jeunes des quartiers populaires : votre vie ne vaut RIEN. Et pire, on s’enrichit de votre meurtre », a posté la députée sur X (ex-Twitter), en référence à la cagnotte lancée par Jean Messiha. La personnalité d’extrême droite est convoquée lundi 20 novembre par la Brigade de Répression de la Délinquance Astucieuse (BRDA), après une plainte de l’avocat de la famille de Nahel, Yassine Bouzrou, pour escroquerie en bande organisée.

Donner à cette cagnotte était pour ces donateurs l’occasion de mettre une nouvelle fois un bulletin dans l’urne

L’initiative de Jean Messiha, place Nelson Mandela, tout le monde l’a encore en travers de la gorge. Les 1 636 000 euros, récoltés chez 85 063 donateurs soulèvent l’indignation. Mornia Labssi, militante antiraciste, n’en revient toujours pas. « Tuer un Arabe, ça peut vous faire devenir millionnaire, c’est très préoccupant », résume-t-elle. « Donner à cette cagnotte était pour ces donateurs l’occasion de mettre une nouvelle fois un bulletin dans l’urne. Un bulletin d’extrême droite, qui dit “Les Arabes et les Noirs, dehors” ».

Quant aux prétendues motivations philanthropiques de Jean Messiha, elle en rit jaune. « Quand on a un minimum d’intelligence émotionnelle, on ne peut pas, dans une séquence comme celle qu’on a vécue, ouvrir ce genre de cagnotte. C’est un message politique, c’est mettre de l’huile sur le feu. »

La responsabilité de tous

Mornia ne peut cependant y voir la responsabilité unique de Jean Messiha. « On peut difficilement ne pas voir la relation de cause à effet entre la montée de l’extrême-droite et les médias mainstream qui donnent tribune à des gens qui ont des réactions violentes et réactionnaires. » Une méfiance envers les journalistes qui transparaît chez une grande partie des jeunes, venus rendre hommage à Nahel vêtus du t-shirt blanc à son nom et d’un masque qui camoufle leurs visages.

« Ils sont venus pour leur frère. On a beau nous user, nous discriminer, on est là », assure-t-elle. « Il y a des politiques, des syndicalistes, des collectifs de victimes de violences policières, des gilets jaunes, des familles et des jeunes des quartiers populaires… », ajoute Mornia. « On est debout et digne, et on converge. »

Nous sommes tous responsables de la vie de ces enfants

Au même moment, Assa Traoré prend le micro et harangue la foule : « Les morts qu’on a laissé passer avant Nahel ont provoqué la mort de Nahel. Nous sommes tous responsables de la vie de ces enfants. » Son indignation fait résonner sa voix sur les murs des immeubles alentour, mais sa main, gantée de rouge, ne tremble pas. « Nous sommes responsables de ne pas dénoncer, de ne pas être autant dans la rue. L’action doit être le moteur de tout le monde. » 

À ses côtés, surplombant l’assemblée sur le banc de béton, les autres intervenants opinent. Tous ou presque sont endeuillés par les conséquences de violences policières restées impunies. « Il y a eu des combats avant, ils n’ont pas eu peur de prendre la rue, de dire les choses », ponctue Assa. « Aujourd’hui, vous aussi, vous ne devez pas avoir peur. »

Ramdan Bezine

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